Une visite très attendue de l’ami américain

En chute libre dans les sondages, le Premier ministre Manmohan Singh compte sur la visite de Barack Obama à New Delhi (à partir du 6 novembre) pour redorer son blason. Sans doute se berce-t-il d’illusions.

Le chef du gouvernement indien lors du sommet du G20 à Toronto, le 26 juin. © Fred Thornhill/Reuters

Le chef du gouvernement indien lors du sommet du G20 à Toronto, le 26 juin. © Fred Thornhill/Reuters

Publié le 6 novembre 2010 Lecture : 4 minutes.

En novembre 2009, Manmohan Singh, le Premier ministre indien, fut le premier dirigeant étranger à être reçu, dans le cadre d’une visite d’État, par Barack Obama, désireux de marquer par ce geste l’importance qu’il attache aux relations entre les deux pays. Un an après, c’est au tour d’Obama de se rendre en visite officielle en Inde (du 7 au 11 novembre).

Si les démocrates américains ne paraissent pas en très bonne posture avant les élections de la mi-mandat, la situation de Singh est encore pire, dix-huit mois seulement après la victoire triomphale du Parti du congrès aux législatives. Sur le plan intérieur, rien ne va plus pour ce technocrate sikh de 78 ans, en poste depuis 2004. Selon un récent sondage réalisé par le magazine populaire India Today afin de désigner le favori des Indiens pour le poste du Premier ministre, Singh ne convainc que… 1 % des personnes interrogées – contre 17 % il y a un an !

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Une image d’incorruptible

La majorité d’entre elles s’est prononcée pour le jeune (38 ans) et fringant Rahul Gandhi, secrétaire général du Parti du congrès et héritier de la dynastie qui dirigea le pays près de quarante ans durant. « L’immense popularité dont jouit Rahul, écrit India Today, est amplifiée par la chute vertigineuse de Singh, preuve de l’existence d’un décalage entre l’image de modernisateur que les médias s’efforcent de donner du Premier ministre et le jugement de l’opinion. » Au moment même où paraissait ce sondage, un jury international réuni à New York décernait à Manmohan Singh le titre d’« homme d’État de l’année ».

Architecte de la modernisation de l’économie indienne, il est associé au tournant libéral pris par son pays, dès 1991. Ancien des universités d’Oxford et de Cambridge, il est passé par le FMI avant d’être appelé à prendre les rênes du ministère indien des Finances. Sa mission : sauver le pays de la banqueroute. Très vite, Singh a lancé des réformes d’envergure, libéralisé l’économie et ouvert le marché intérieur à la concurrence internationale.

C’est auréolé de cette image de réformateur incorruptible – qualité plutôt rare chez les hommes politiques indiens – que Singh est arrivé à la primature, en 2004, après que la présidente de son parti, Sonia Gandhi, a été empêchée par l’opposition de diriger le gouvernement en raison de ses origines italiennes. Problème : il n’a jamais manifesté aucun goût pour la politique politicienne, ne réussissant même pas à se faire élire au Parlement. Son parti a contourné la difficulté en mettant en place un duumvirat : le Premier ministre se charge du pilotage effectif du pays, laissant au chef du parti la tâche de réunir les conditions politiques nécessaires au succès de l’action gouvernementale.

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Le tandem Manmohan Singh-Sonia Gandhi a fonctionné, plutôt pas mal, entre 2004 et 2009. Mais face aux graves problèmes auxquels l’Inde est désormais confrontée, qu’il s’agisse des revendications indépendantistes au Cachemire, de nouveau à feu et à sang, ou de la guérilla maoïste qui sévit dans l’est et le centre du pays, il montre ses limites. Le gouvernement se montre indécis, incapable de prendre des initiatives politiques courageuses.

Carences répétées

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Ce blocage touche aussi l’économie et le social. Dans tous les domaines (retraites, banque, énergie), les réformes sont au point mort. Même des projets de loi très importants comme le Food Security Act (sécurité alimentaire pour les plus démunis) et le décret octroyant aux femmes un tiers des sièges au Parlement ne parviennent pas à voir le jour.

Cette carence des politiques s’est encore manifestée récemment, avec éclat, lors des Jeux du Commonwealth. Les stades et les lieux d’hébergement pour les sportifs n’ayant pas été livrés à temps, les compétitions ont failli être annulées, malgré des milliards de dollars dépensés. Quelques jours avant l’ouverture, le faux plafond de la salle d’haltérophilie et une passerelle menant au stade principal se sont effondrés ! La presse et le grand public ont amèrement reproché à la classe politique, et à Manmohan Singh en premier lieu, d’avoir confié l’organisation des Jeux à des bureaucrates notoirement corrompus, dont le cynisme et l’apathie ont eu un effet dévastateur sur l’image du pays à l’étranger.

C’est dans ce contexte qu’intervient la visite d’Obama, sur laquelle l’équipe Singh compte beaucoup pour redorer son blason. Elle rappelle volontiers que c’est elle qui est parvenue à convaincre les Américains de conclure un accord de coopération nucléaire qui permet aux entreprises indiennes d’acquérir des technologies sensibles. Singh n’a d’ailleurs pas hésité à rompre avec ses alliés communistes et à mettre en danger sa coalition pour faire entériner cet accord par le Parlement.

Alliée des Soviétiques pendant la guerre froide, l’Inde s’est progressivement tournée vers l’Occident et les États-Unis après la disparition de l’URSS, en 1991. En 1998, les essais nucléaires indiens ont brièvement interrompu le processus, vite relancé par la visite de Bill Clinton à New Delhi, en 2000, puis activement poursuivi par l’administration Bush. Le rapprochement, dont l’objectif essentiel, quoique implicite, semble être de contrebalancer la puissance montante chinoise, s’est traduit par une explosion du commerce bilatéral et des investissements américains.

Partenariat stratégique

Obama a déjà affirmé, notamment lors de la réception de Singh à la Maison Blanche, en 2009, sa volonté de renforcer ce « partenariat stratégique ». Il va sans doute la réaffirmer à New Delhi. Pourra-t-il aller plus loin et annoncer des initiatives fortes, tant dans le domaine politique (donner un contenu réel au partenariat stratégique) qu’économique (davantage de visas pour les ingénieurs indiens, allègement de la fiscalité pour les entreprises américaines délocalisées, etc.), comme semblent l’attendre ses interlocuteurs ?

Quoi qu’il en soit, il est douteux que la visite du président américain suffise à changer la donne de la politique intérieure indienne. Une ambiance de fin de règne prévaut en effet à New Delhi. Aux portes du pouvoir, une nouvelle génération piaffe d’impatience…

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