Jean-Bedel Bokassa, la gestion baroque du pouvoir personnel

Le « président à vie », violent et mégalomane, dont l’abitraire était la règle, incarne aujourd’hui l’image du vrai chef.

Jean-Bedel Bokassa, la quête effrénée du pouvoir absolu. © AFP

Jean-Bedel Bokassa, la quête effrénée du pouvoir absolu. © AFP

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Publié le 18 juin 2010 Lecture : 2 minutes.

Centrafrique, un si long purgatoire…
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Jean-Bedel Bokassa aurait pu être une réincarnation de José Gaspar Rodriguez de Francia, tyran qui a régné sur le Paraguay de 1814 à 1840 et dont Augusto Roa Bastos a campé un portrait décapant dans son roman Moi, le Suprême. Il aurait pu être aussi le patriarche, personnage terrifiant, mélange de l’Espagnol Franco, du Chilien Pinochet et de l’Argentin Juan Manuel de Rosas, raconté par Gabriel Garcia Marquez dans L’Automne du patriarche. On peut également le reconnaître dans le colonel Martillimi Lopez, héros de L’Etat honteux, de Sony Labou Tansi. Ou encore sous les traits du général Bwakamabé Na Sakkadé, peint par Henri Lopes dans Le Pleurer-Rire. Bokassa était tous ceux-là et plus encore.

Il reste en effet un cas unique dans la gestion baroque du pouvoir personnel. Il dépasse la réalité et parfois la fiction dans sa quête effrénée du pouvoir absolu. Ce n’était pourtant pas le roi nègre, le fou furieux que certains médias ont brocardé jusqu’à la caricature. Redoutable metteur en scène, Bokassa théâtralisait son pouvoir, espiègle tel un enfant ravi de jouer des mauvais tours, homme à plusieurs facettes, au double langage, rusé jusqu’au délire, mû par une soif inextinguible de tout posséder, Bokassa n’a peut-être pas d’équivalent.

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Né vers 1921 à Bobangui, non loin de la capitale, il se retrouve orphelin à 6 ans, son père ayant été tué par les Français. Une explication possible aux relations complexes, faites d’attirance et de répulsion, qu’il entretiendra avec la France durant son règne. Faute de briller à l’école des missionnaires à M’Baïki, Bokassa prend vite un raccourci en s’engageant volontairement dans l’armée coloniale en 1939. Après une formation à l’Ecole militaire préparatoire de Saint-Louis du Sénégal, il se retrouve en 1950 en Indochine, où il est affecté aux transmissions. Adjudant-chef en 1954, il est envoyé à Brazzaville, puis à Bangui. Transféré en 1962 dans l’armée centrafricaine naissante, le capitaine est promu commandant, avant d’être nommé chef d’état-major l’année suivante. A l’époque, Bokassa est le seul officier centrafricain. Personne ne prête attention à lui, il apparaît comme un simple soudard borné. Cela lui permet de mûrir ses projets sans éveiller le moindre soupçon. Le 31 décembre 1965, quand il renverse David Dacko, c’est à la surprise générale.

Bokassa est resté quatorze ans au pouvoir, avant d’être renversé par Dacko, avec l’aide de la France de Valéry Giscard d’Estaing. Son règne ne fut que violence spectaculaire, gestion patrimoniale et clientéliste, succession de scandales. Maréchal, président à vie, empereur, homme d’affaires, il avait réussi à phagocyter les institutions. Il était à la fois l’Etat, sa représentation et son incarnation dans tout ce qu’il a de violent et d’arbitraire. Mais, paradoxe des paradoxes, pour les Centrafricains, volontiers nostalgiques, Bokassa demeure aussi l’exemple du vrai chef, celui qui peut assurer l’ordre et imposer la discipline. Le seul à avoir construit le pays, malgré ses inacceptables excès et ses comportements de père fouettard qui n’hésitait pas à utiliser sa canne pour frapper quiconque le contrariait. En fin de compte, tout en dénonçant son caractère erratique, le peuple a fini par l’assumer en lui conférant cette dimension mythique du chef, venue de la nuit des temps.

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