1960, enfin libres !

Des millions d’Africains fêtent en 2010 le demi-siècle de leur drapeau, de leur hymne, de leur nation. Retour sur les années qui ont mené aux indépendances.

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Publié le 25 janvier 2010 Lecture : 3 minutes.

1960 : enfin libres !
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1960 : enfin libres !

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S’il est un anniversaire que Jeune Afrique se devait de ne pas manquer, c’est bien celui-là. Tout au long de l’année qui s’ouvre, dix-sept pays du continent, dont quinze francophones, célébreront leur demi-siècle d’indépendance, et votre hebdomadaire accompagnera, semaine après semaine, pays par pays, ce calendrier historique en posant à chaque fois la seule question qui vaille : qu’avez-vous fait de vos cinquante ans ? Une interrogation à laquelle nous nous efforcerons aussi de répondre, le moment venu, en ce qui nous concerne. Comme nul (ou presque) ne l’ignore en effet, le premier numéro de J.A. est paru un jour d’octobre 1960, année de tous les espoirs…

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Afrique action, dont le premier numéro sort le 17 octobre 1960, deviendra Jeune Afrique un an plus tard.

Ce fut une année de force joyeuse avec, pour tous ceux qui la vécurent, la certitude de participer à l’Histoire en marche. Le colon remballe son drapeau, un nouvel hymne national composé dans la fièvre claque au vent de l’unité et de la dignité retrouvée, et les « pères de l’indépendance » s’installent dans les palais des gouverneurs envolés pour l’ex-métropole avec leurs casques coloniaux sous le bras. Le soir, après avoir sagement écouté des discours pleins de promesses, les nouveaux citoyens s’étourdissent sous les lampions des bals. Bien sûr, la rumba prend parfois un goût amer. Des intellectuels à l’écriture acerbe comme Mongo Beti, Frantz Fanon, Cheikh Anta Diop, Guy Landry Hazoumé, Jacques Rabemananjara, et, au-delà des mers, Aimé Césaire, fustigent les mandataires autochtones de l’indépendance, cet « indigénat d’élite aux grands mots pâteux qui collent aux dents », selon la phrase féroce de Jean-Paul Sartre dans sa préface aux Damnés de la terre, que Fanon écrit cette année-là. Pour eux, la véritable indépendance est celle pour laquelle sont morts, sous les balles françaises, Ruben Um Nyobe et les insurgés malgaches de 1947, et non celle, factice, octroyée, manipulée, néocoloniale, qu’on leur offre sur un plateau en toc. Mais ces propos de militants, qui les entend vraiment alors que les quinze francophones viennent en groupe prendre place dans l’enceinte de l’ONU, aux côtés des quelques pays africains qui y siègent déjà ? Partout ou presque, en dépit des nuages qui s’amoncellent au-dessus de l’ex-Congo belge, c’est le temps de l’enchantement national. L’avenir paraît radieux.

Il ne faudra guère attendre, hélas, avant que la fête se gâche. À partir de 1962, année où René Dumont publie son célèbre L’Afrique noire est mal partie, le continent devient sous la plume des commentateurs un radeau à la dérive. Afrique « désemparée », « trahie », « convoitée ». L’assassinat de Lumumba, celui d’Olympio, les premiers coups d’État et l’instauration des partis uniques sont passés par là. Du jour au lendemain, toutes les rêveries semblent s’être consumées sous le feu des « soleils des indépendances » romancés par Ahmadou Kourouma.

D’un excès d’optimisme béat et souvent pompeux, très présent dans les discours ampoulés d’un André Malraux ou d’un Michel Debré venus remettre aux nouveau-nés les clés du pouvoir, on passe sans transition aux vaticinations cartiéristes de l’afropessimisme. En un clin d’œil, le miroir à travers lequel le monde regarde l’Afrique se brise, et ses morceaux, un demi-siècle plus tard, ne sont toujours pas recollés.

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Au fait, que signifie pour un jeune d’aujourd’hui le mot magique d’indépendance qui enflamma la génération de ses parents ? Rien ou presque. Cette page-là est tournée, définitivement, et les défis se déclinent désormais en termes d’éducation, de santé, de développement, de gouvernance et de démocratie. Le temps où l’on se mobilisait pour le drapeau, le droit d’éditer ses timbres-poste et d’émettre ses propres passeports est à la fois révolu et profondément intégré. Tant mieux. À condition de ne pas oublier que, pour qui veut comprendre l’Afrique d’aujourd’hui, tous les chemins ramènent à 1960.

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