Mamadou Tandja, l’as du camouflage

Le 22 décembre, si le référendum constitutionnel du 4 août dernier n’avait pas eu lieu, le mandat du président nigerien aurait dû arriver à échéance. Seul contre tous, s’intérrogeant même sur l’utilité pour le Niger d’appartenir à la Cédéao, Mamadou Tandja se maintient au pouvoir grâce à un art consommé du camouflage.

Christophe Boisbouvier

Publié le 21 décembre 2009 Lecture : 5 minutes.

Depuis le 5 mai, quand il a annoncé son intention de rester au pouvoir au-delà de son mandat de cinq ans, Mamadou Tandja affiche une détermination à toute épreuve. Les manifestations ? Il s’en moque : « Ne vous en faites pas. Ici, l’opposition a une vieille tradition, celle de marcher dans la rue tous les samedis parce que c’est un jour férié. » Les sanctions de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et de l’Union européenne ? Elles le laissent de marbre : « Je ne suis pas de ces chefs d’État à qui l’on dicte la conduite à tenir. » Autant dire que ce 22 décembre ne lui fait ni chaud ni froid. Initialement, il devait quitter le pouvoir à cette date. Aujourd’hui, il défie quiconque de le faire partir avant 2012.

En fait, à 71 ans, le colonel Tandja est persuadé que les gens l’aiment et que c’est le peuple qui lui demande de rester trois ans de plus au pouvoir pour achever les chantiers qu’il a lancés. Jamais il ne semble habité par le doute. Et à ceux qui lui rappellent qu’à deux reprises, en 1999 et en 2004, il a juré sur le Coran de respecter la Constitution, il réplique avec un aplomb à couper le souffle : « Mon serment coranique, c’est de ne jamais trahir mon peuple et de ne jamais travestir ses aspirations. Si j’avais refusé la demande des populations, j’aurais outrepassé ce serment et Dieu m’en voudrait. » Dieu et le peuple… Voilà sa « légitimité ».

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D’où lui vient cette conviction qu’il est le meilleur ? Sans doute de son parcours exceptionnel. Fils d’un petit commerçant de Diffa, dans le sud-est du pays, Tandja a grandi en milieu haoussa et s’est engagé très jeune dans l’armée. Là, aux côtés du colonel Seyni Kountché, il a appris à servir son pays et s’est forgé une âme de nationaliste intraitable. Ce qui est moins connu, c’est que, à l’époque, il a fait la connaissance de riches commerçants haoussas, comme Balla Dan Sani. En 1974, quand Kountché a pris le pouvoir, le jeune officier aux dents longues s’est retrouvé préfet, puis ministre de l’Intérieur. Tandja est un homme d’ordre, mais aussi un personnage habile, chaleureux quelquefois, qui a toujours su s’entourer d’amis fortunés. Un de ses proches se souvient : « Un jour, il recevait un généreux donateur. Après l’audience, il s’est tourné vers moi et m’a dit : « Celui-là, c’est comme le citron. Il faut prendre le jus et jeter la peau ». » 

Savoir partir

Mais ce que le colonel Tandja a surtout appris dans l’armée, c’est la science du camouflage. Au Niger, les militaires ont une tradition putschiste (1974, 1996, 1999). Or, un bon putsch, c’est un coup que personne ne voit venir. Comme tous les officiers de la génération Kountché, Tandja a donc appris l’art de cacher ses intentions et de flatter celui qu’on fera tomber le lendemain. Il y a dix ans, quand il a été élu président, Mamadou Tandja a fait de grandes professions de foi démocratiques et beaucoup de Nigériens y ont cru. En mars dernier, lors d’une conférence de presse à Niamey en compagnie de Nicolas Sarkozy, il donnait encore le change : « Quand la table est desservie, il faut partir. Grandir, c’est partir la tête haute. » En fait, il pensait exactement le contraire. Commentaire d’un homme politique nigérien qui le connaît bien : « Ceux qui disent que Tandja tourne dictateur en vieillissant se trompent. En réalité, il n’a jamais été démocrate. Simplement, il s’est adapté aux circonstances, et il a pratiqué la dissimulation chère aux écoles militaires pour parvenir à ses fins : prendre le pouvoir et ne plus le lâcher. »

Qu’est-ce qui pourrait faire reculer Tandja ? « Le rapport de force, et seulement cela », répondent ses adversaires. « Souvenez-vous, en 2007, il traitait les rebelles touaregs de bandits armés et disait que jamais il ne négocierait avec eux. Aujourd’hui, il les a amnistiés et les a laissés rentrer. » De fait, en bon militaire, Mamadou Tandja ne respecte que ceux qui lui résistent. D’où ce ton moqueur – pour ne pas dire méprisant – avec lequel il parle de ses opposants. En réalité, la seule chose qu’il redoute vraiment, c’est un coup de force de la part de ses frères d’armes. D’où une frénésie sécuritaire autour de lui. Sa garde et son escorte ont été renforcées. Quand il se déplace dans Niamey, la ville est sous haute surveillance. En novembre, lors de la préparation de la fête de la Tabaski, ses services ont même déployé des détecteurs de mines autour de la grande mosquée de Niamey.

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Le président est-il de plus en plus isolé ? Apparemment non. Au gouvernement, il s’appuie notamment sur trois ministres : Albadé Abouba (Intérieur), Ali Mahamane Lamine Zeine (Finances) et Garba Lompo (Justice). Pour sa sécurité, il se repose essentiellement sur le chef des services de renseignements, Issoufou Sako. En privé, il aime dîner et refaire le monde avec de vieux camarades de sa génération, comme Daouda Diallo, du Conseil supérieur de la communication, et Alélé Elhadji Habibou, l’ancien ministre des Affaires étrangères. Mais gare à celui qui oserait lui dire non. « Le président est de plus en plus irascible », confie un familier du Palais. « Ses ministres et ses conseillers ont une trouille bleue de lui. Ils n’osent pas le contredire, même sur les sujets techniques qu’il ne maîtrise pas. » En fait, beaucoup disent à Niamey que l’une des rares personnes qui peut encore lui parler franchement est la première dame, Hadjia Larba.

De son côté, le fils aîné du couple, Hadia Toulaye Tandja, a défrayé la chronique en août. Il a été mis en cause par la presse locale dans une affaire de commissions qui seraient liées à l’exploitation de l’uranium. Du coup, il a porté plainte contre huit journaux de la place. En octobre, lors des législatives boycottées par l’opposition, il a été élu député suppléant. Beaucoup de Nigériens sont persuadés que, très vite, la titulaire du siège lui laissera la place. Certains font même un drôle de calcul. En 2012, le fils du président aura 40 ans, c’est-à-dire l’âge requis pour être candidat à la présidentielle. Or, c’est précisément en 2012 que Mamadou Tandja achèvera son « mandat à rallonge »… 

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Splendide isolement

Quant aux pressions de la communauté internationale, le président les traite avec mépris. Mieux, elles l’inspirent… Ainsi, le 22 juillet, il s’est payé la tête d’Obama, qui venait de déclarer à Accra : « L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais de fortes institutions. » Commentaire de Mamadou Tandja : « Barack Obama est libre de raconter ce qu’il veut. Je ne me fie pas à ses propos. » Un silence, puis : « Il vient de très loin. Je préfère m’arrêter là, […] car il y a des choses que je ne veux pas dire. J’espère que vous devinez où je veux en venir et ce à quoi je fais allusion. » Un sous-entendu qui pourrait signifier : « On ne sait pas très bien qui étaient ses ancêtres… »

Depuis le début de son bras de fer avec la classe politique et la communauté internationale, Tandja est comme ça. Rien ne l’arrête. Pas même l’icône Obama. « Tandja le bâtisseur », « Tandja le nationaliste » – comme le disent les hymnes à sa gloire – semble cultiver un splendide isolement et prendre plaisir à être seul contre tous. Fuite en avant ? Coup de bluff avant un repli tactique, comme avec les rebelles touaregs ? Avec cet as du camouflage, tout est possible.

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