Tandja face à l’armée

Des tracts qui circulent dans les casernes confirment ce que le chef de l’État savait : son armée n’est pas totalement acquise à sa cause. Il s’en méfie, et manie sanctions et récompenses pour tenter de calmer les tensions.

Christophe Boisbouvier

Publié le 30 novembre 2009 Lecture : 6 minutes.

C’est l’histoire de l’hyène qui invite la chèvre à boire le thé chez elle : « Assois-toi sur cette natte. Il n’y a pas de trou en dessous. » Aussitôt, la chèvre se méfie et s’assoit ailleurs. Bon choix. Il y avait bien un trou… Depuis le 10 novembre, le chef d’état-major de l’armée nigérienne appelle la troupe à ne pas faire de politique. À Agadez, à Tahoua, à Maradi devant les parachutistes, le général Moumouni Boureïma adresse le même avertissement aux soldats : « Je vous mets en garde contre toute tentative de remise en cause des institutions de la République. » Commentaire d’un gradé : « C’est la preuve qu’il y a un trou sous la natte. L’état-major sait quelque chose qu’il veut cacher. »

Cette « chose » que l’on ne saurait voir, ce sont sans doute des tracts anonymes qui circulent dans les casernes depuis plusieurs semaines. Intitulés « Acte n° 1 », « Acte n° 2 », etc., condamnent l’accueil réservé aux quelque huit cents ex-combattants touaregs fraîchement arrivés de Libye. Beaucoup de militaires ne comprennent pas pourquoi ces anciens rebelles logent dans les meilleurs hôtels, roulent en 4×4 et bénéficient d’une protection rapprochée… Surtout, l’un de ces documents – rédigé avec soin – affirme qu’après le 22 décembre, date initiale de la fin de son mandat, le président Tandja ne sera plus légitime. Selon ce texte, c’est justement parce que l’armée nigérienne est républicaine qu’elle ne peut reconnaître la légalité du pouvoir actuel au-delà du 22 décembre…

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Mamadou Tandja prend la menace au sérieux. Mieux que personne, il sait qu’il existe dans son armée une culture du coup d’État. Parce qu’il y en a déjà eu trois (en 1974, 1996 et 1999) et qu’il a lui-même participé au premier, aux côtés de Seyni Kountché. Et surtout parce que, au Niger, les putschistes n’ont aucune mauvaise conscience. À chaque fois, ils se présentent comme des redresseurs de torts – la famine de 1974, le blocage politique de 1996, la dérive autoritaire de 1999. De fait, en avril 1999, les assassins du général Baré ont promis – sous la contrainte, il est vrai – de rendre le pouvoir aux civils, et l’ont fait. 

Des anciens putchistes

Aujourd’hui, deux des figures du putsch de 1999 sont toujours aux affaires. Ce sont le général Moumouni Boureïma lui-même, dit Tchanga – du nom de son ethnie du sud-ouest du pays –, et le colonel Djibrilla Hima Hamidou, dit Pelé, commandant de la zone militaire de Niamey. Dix ans après, le chef de l’État ne veut pas que de jeunes officiers s’inspirent de Tchanga et de Pelé…

Pour parer le coup, le colonel Tandja joue d’abord sur la fraternité d’armes. Certes, à la différence de la majorité des cadres de l’armée, il n’est pas un Djerma de l’ouest du pays, mais, à 71 ans, il dispose d’un solide réseau d’amitiés. Soldes confortables, indemnités de mission… Il soigne les officiers supérieurs. « Depuis le début de son bras de fer avec les juges et la classe politique, Tandja multiplie les cadeaux, confie un gradé. Pour les officiers les plus en vue, le tarif, c’est une villa clé en main et un viatique de 20 à 50 millions de F CFA [30 500 à 76 000 euros, NDLR]. » Outre Tchanga, qu’il reçoit presque tous les jours, il choie tout particulièrement quatre généraux : Seyni Garba, adjoint de Tchanga ; Mamadou Ousseini, chef de l’armée de terre ; Seyni Salou, chef de l’armée de l’air ; et Abdou Kaza, conseiller national à la sécurité et ancien aide de camp du chef de l’État. Quand il va à l’étranger, ce sont précisément Tchanga et ces quatre officiers supérieurs qui viennent le saluer à l’aéroport. 

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Une garde choyée

Mamadou Tandja s’occupe aussi avec un soin jaloux de sa garde présidentielle : six cents hommes commandés par Hamidou Maigari, un homme de l’est du pays, comme lui. Le chef de l’État ne néglige pas non plus les chefs des principales unités de province (Maradi, Zinder, Tahoua, Agadez, etc.). En 1974, il se souvient fort bien que le coup d’État est parti de l’intérieur du pays. Enfin, le président veille au paiement régulier de la solde à tous les hommes de troupe. Petit problème : avec la fin de la guerre contre les Touaregs, les soldats ne touchent plus d’indemnités de mission. Pour un certain nombre d’entre eux, le revenu mensuel passe de 120 000 à 40 000 F CFA. Pour amortir le choc financier, Tandja envisage des mesures d’accompagnement.

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Il manie la carotte, mais aussi le bâton. Gare aux membres de l’état-major qui n’approuvent pas son passage en force pour prolonger son mandat jusqu’en 2012. En août dernier, le colonel Garba Maikido n’a pas voulu faire allégeance. Oh ! il n’a rien dit. Simplement, il a refusé le cadeau que ses frères d’armes avaient accepté. Aussitôt, il a été limogé de son poste de chef d’état-major adjoint de l’armée de terre et remplacé par un fidèle du régime, le colonel Salifou Mody. Était-ce aussi un avertissement feutré au patron de l’armée de terre, le général Mamadou Ousseini, qui n’aurait pas été l’un des plus farouches partisans de la réforme constitutionnelle du mois d’août dernier ? En tout cas, sur le curseur des sanctions, Tandja évite d’aller trop loin et de provoquer la troupe. Comme Garba Maikido est estimé dans les casernes pour sa bravoure au combat, il n’a pas été mis aux arrêts, ni rayé des cadres de l’armée. De même, après la diffusion des tracts anonymes dans les casernes, une dizaine de jeunes officiers – avec grade de commandant ou de capitaine – ont été longuement interrogés… puis tous relâchés. 

Hommes de confiance

Pour se préserver de toute mauvaise surprise, le chef de l’État s’appuie aussi sur ses services de sécurité. L’homme fort dans ce secteur, c’est Albadé Abouba. Ancien cadre dans une société d’uranium, ancien sous-préfet, Albadé est aujourd’hui ministre d’État, ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique. En septembre-octobre, il a même été Premier ministre par intérim. « Pour Tandja, il est d’une fidélité à l’épreuve des balles », dit de lui un familier du Palais. Depuis le début de la crise en mai dernier, le président a voyagé deux fois. Début septembre en Libye, et fin septembre au Venezuela. À chaque fois, c’est son ministre de l’Intérieur qui a « gardé la maison ».

Autre homme clé : l’ancien commissaire de police Issoufou Sako, l’actuel directeur du centre de documentation d’État. « C’est l’âme damnée de Tandja », disent les mauvaises langues. « Il a des dossiers sur tout le monde. » Pour surveiller ses compagnons d’armes, le colonel Tandja dispose encore du bureau du renseignement militaire. Son chef, le colonel Abdoulkarim Goukoye, est aussi porte-parole de l’armée. En juin dernier, quand l’opposant Mahamadou Issoufou a appelé publiquement les forces de défense et de sécurité « à désobéir » aux ordres illégaux du chef de l’État, c’est lui qui a répliqué à la radio d’État en affirmant que l’armée resterait neutre.

Cela dit, pour tenir la troupe, Mamadou Tandja sait qu’il ne suffit pas d’alterner sanctions et récompenses. À long terme, il faut convaincre. Et là, ce n’est pas gagné.

Au référendum du mois d’août comme aux législatives d’octobre, au-delà des chiffres officiels, tout indique que les militaires – qui votaient un jour avant les civils – se sont abstenus aussi massivement que les autres Nigériens. « D’après nos informations, seuls 10 % des militaires de Tahoua se sont rendus aux urnes, affirme le FDD [Front de défense de la démocratie]. C’est normal. Les militaires sont comme tout le monde. Ils ont une famille et des parents parmi les civils. »

Évidemment, le pouvoir mesure ce risque de coupure politique avec les hommes en uniforme. Il leur rappelle que, lorsque les opposants Mahamane Ousmane et Mahamadou Issoufou étaient aux affaires, entre 1993 et 1996, l’armée n’était pas si bien lotie qu’aujourd’hui. Mais l’argument pèse-t-il encore quinze ans après ?

Surtout, pour garder la confiance de la troupe, le président Tandja sait qu’il lui faut de l’argent. Beaucoup d’argent. Or, à la suite de la suspension du Niger par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), le 17 octobre, l’Union européenne vient de geler son aide au Niger. Les Chinois pourront-ils compenser ce manque à gagner ? C’est le pari du chef de l’État. L’uranium aidant, il estime que le temps travaille pour lui. Ses adversaires pensent exactement le contraire. C’est tout l’enjeu. 

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