Sarkozy-Villepin : qui tuera l’autre ?

Soupçonné d’avoir ourdi une machination pour barrer le chemin de l’Élysée à Nicolas Sarkozy, l’ex-Premier ministre Dominique de Villepin affronte aujourd’hui son éternel rival par tribunal interposé. Le procès, qui s’est ouvert le 21 septembre, s’annonce sanglant.

ProfilAuteur_JeanMichelAubriet

Publié le 29 septembre 2009 Lecture : 8 minutes.

Ces hommes-là sont des guerriers. Des mâles dominants que leur intelligence, leur ruse, leur courage, leur pugnacité et, plus que tout, leur inextinguible soif de pouvoir placent presque naturellement à la tête de la harde. À la Renaissance, leur sauvage affrontement se fût achevé par la mort de l’un d’eux, la tête tranchée sur le billot ou le corps lardé de coups de dague. Aujourd’hui, c’est devant la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris qu’ils règlent les comptes de l’affaire Clearstream. Mais que les amateurs de grand spectacle se rassurent, la haine est bien au rendez-vous. En 2006, Nicolas Sarkozy avait promis de retrouver et de « pendre à un croc de boucher » l’auteur de cette extravagante manipulation politico-judiciaire. Et il est en train de tenir parole. Dans son esprit, l’identité du « salopard », comme il dit, ne fait aucun doute. Il ne peut s’agir que son ennemi intime, Dominique Galouzeau de Villepin (55 ans), ministre de l’Intérieur au début de la conspiration, en 2004, et à ce titre, idéalement placé pour en tirer les ficelles.

Depuis quinze ans, ces deux-là s’attirent et se repoussent, se respectent et se jalousent, se séduisent (parfois) et s’exècrent (le plus souvent). Aussi différents qu’on peut l’être, ils paraissent liés par une sorte de connivence souterraine et ambiguë. L’un et l’autre ne donnent leur pleine mesure que dans les tempêtes. « Je vais vous dire un truc, Dominique, confia un jour le premier au second. Même quand on se déteste, on s’amuse. On ne s’ennuie jamais, on prend du plaisir. Donc on peut continuer ensemble, on se mettra sur la gueule, mais, de toute façon, on s’amusera, c’est l’essentiel. » C’était en juillet 2006, lors d’un déjeuner à Matignon1. Dirait-il la même chose aujourd’hui ? Peut-être, après tout…

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Nés l’un et l’autre à la politique dans l’ombre de Chirac, ils ne tardent pas à se dresser l’un contre l’autre, comme de jeunes coqs sur leurs ergots. Lors de la campagne présidentielle de 1995, Sarkozy, trompé sans doute par les sondages, joue la carte du « traître » Édouard Balladur. Plus qu’une erreur, une faute, la seule de sa carrière, que le clan Chirac lui fera chèrement payer. Entre le nouveau chef de l’État et son désormais ex-protégé, rien ne sera plus comme avant.

Pendant ce temps-là, l’étoile de Villepin n’en finit plus de monter au firmament de la chiraquie. Au Quai d’Orsay, où il dirige le cabinet d’Alain Juppé, puis à l’Élysée, dont il devient le secrétaire général en mai 1995, il sait se rendre indispensable. Parallèlement, il est membre de la cellule juridique, sorte de cabinet noir chargé de suivre les « affaires » politico-financières, qui, des HLM de la ville de Paris au financement occulte du RPR, ont fâcheusement tendance à se multiplier. Au côté de Me Francis Szpiner, Villepin va s’employer à les étouffer. Autant qu’il est possible.

Avocat retors, diplomate et orateur enflammé – personne n’a oublié le splendide coup d’épée dans l’eau que fut, en février 2003, son discours à l’ONU contre la guerre en Irak –, Villepin met en permanence en scène la haute idée qu’il se fait de lui-même. Son physique l’y incite. Très grand (1,93 m), chevelure de neige et bronzage éternel, il est élégant jusqu’à l’afféterie, altier jusqu’à la morgue. Comme Sarkozy, c’est un joggeur enragé, mais… moins enclin aux malaises vagaux. À l’inverse de lui, c’est un fou de littérature qui collectionne les poèmes comme d’autres les bibelots, mais aussi, hélas ! un essayiste inutilement emphatique.

Au fond, il n’aime que le pouvoir, ses ors et ses vanités, et méprise la politique. S’il condescend à s’y adonner, c’est à la manière de l’aristocrate qu’il n’est pas : en dédaignant de se faire élire. Pour lui, les députés sont « des cons ». « Dominique, il faut savoir si on fait de la poésie ou de la politique », lui lancera un jour Sarkozy, excédé par ses états d’âme, réels ou affectés2. S’il s’ébroue dans les cuisines où se mijotent les coups tordus, c’est pour se convaincre qu’il maîtrise le dessous des cartes. C’est souvent le cas, mais pas toujours. Sa carrière est jalonnée de fiascos retentissants. 

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La rancune de Bernadette

En 1997, il plaide avec fougue auprès du président pour la dissolution de l’Assemblée nationale. L’opération aboutit au retour de la gauche au pouvoir et lui vaut la rancune de Bernadette Chirac, qui le surnomme Néron : celui qui chante sur les ruines non de Rome, mais de la droite française, préalablement incendiée par ses soins.

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Quelques années plus tard, il dépêche dans la jungle colombienne une équipe de Pieds Nickelés chargée d’arracher aux griffes des Farc sa grande amie Ingrid Betancourt. L’appareil spécialement affrété finira par repartir. À vide.

Plus grave, Villepin, Premier ministre de 2005 à 2007, se montre impuissant à enrayer l’irrésistible ascension de Sarkozy vers le pouvoir. Il égale son rival dans la tactique et l’intrigue, pas dans la stratégie. Surtout, il répugne aux servitudes d’une campagne électorale. Courir de préau d’école en gymnase omnisports ? Très peu pour lui. Mieux vaut sans doute ignorer ce que, secrètement, il pense des électeurs.

Son arrivée au tribunal, le 21 septembre, lors de l’ouverture du procès Clear­stream, restera comme un grand moment. Calme, déterminé, indifférent à la cohue qu’il suscite – le grand style, le panache alla francese !, il se fraie un chemin sous le crépitement des flashs, flanqué de son épouse et de ses trois grands enfants. Message : une innocente famille française persécutée par le tyran de l’Élysée. On murmure que Villepin, toujours guetté par la grandiloquence, aurait été, lors de la préparation de sa défense, tenté de comparer Sarkozy à Hitler, ce dont ses conseillers l’auraient judicieusement dissuadé. 

Quel acteur !

Quelques instants plus tard, face à une forêt de micros et de caméras, l’ancien chef du gouvernement prononce quelques mots pleins de rage contenue : « Je suis ici par l’acharnement d’un homme, Nicolas Sarkozy, qui est aussi président de la République française. J’en sortirai libre et blanchi, au nom du peuple français. » Quel acteur !

Car, il le sait, l’issue est loin d’être assurée, de lourdes charges étant retenues contre lui : « complicité de dénonciation calomnieuse, complicité d’usage de faux, recel d’abus de confiance et recel de vol ». Il risque cinq ans d’emprisonnement, 45 000 euros d’amende et, peut-être, une peine d’inéligibilité qui l’empêcherait d’être candidat en 2012 contre Sarkozy. D’autant que le chef de l’État, qui s’est constitué partie civile aux côtés d’une quarantaine d’autres plaignants, préside aussi le Conseil supérieur de la magistrature. Et qu’à ce titre, il n’est évidemment pas sans influence sur la carrière des magistrats…

Tout, dans cette rocambolesque affaire Clearstream, suinte l’irrationnel et la démesure. Les personnages extravagants, sinon carrément allumés, y abondent.

Imad Lahoud, par exemple, l’informaticien franco-libanais. Trader repenti, gendre d’un grand banquier chiraquien (François Heilbronner) et mythomane notoire, il a réussi, plusieurs mois durant, à convaincre les services français de sa capacité à remonter les réseaux de financement d’Al-Qaïda. Pas toujours très scrupuleux, il a passé quelques mois en prison.

À sa sortie, en 2002, il a pourtant été recruté comme consultant par Jean-Louis Gergorin, l’ancien numéro trois du consortium aérospatial européen EADS. De son rôle dans l’affaire, il a donné aux enquêteurs les versions les plus contradictoires.

Aux dernières nouvelles, Imad Lahoud confirme avoir falsifié des listings informatiques de la caisse de compensation luxembourgeoise Clearstream, soupçonnée par certains de s’adonner au blanchiment d’argent, de manière à y faire apparaître une centaine de noms qui n’avaient rien à y faire, dont ceux de Paul de Nagy et de Stéphane Bocsa. Comme l’on sait, le nom complet du chef de l’État français est Nicolas Paul Stéphane Sarkozy de Nagy-Bocsa… La nouveauté est qu’il jure désormais l’avoir fait à la demande « expresse » de Gergorin – ce que ce dernier nie farouchement – avec l’accord de Villepin. Le 23 septembre, il est allé encore plus loin en révélant à la barre avoir rencontré Dominique de Villepin, en 2005, ce qu’il avait jusqu’ici toujours nié.

Un cas, ce Gergorin. Crâne d’œuf bardé de diplômes prestigieux (ENA, Polytechnique), il a le regard halluciné des grands paranoïaques et voit des espions partout. De préférence au sein de l’état-major de son groupe. C’est bien simple, il passe son temps à monter et à déjouer des complots – ces derniers généralement imaginaires. Longtemps, il a cru dur comme fer que Jean-Luc Lagardère, son patron décédé en 2003 d’une maladie nosocomiale, avait été éliminé par des mafieux russes résolus à faire main basse sur EADS ! 

Coup pour coup

Mis en possession par Lahoud des fichiers Clearstream, Gergorin est soupçonné d’y avoir, dans un premier temps, adjoint les noms de plusieurs de ses ennemis personnels dans le monde du business, dont celui d’Alain Gomez, l’ancien patron de Thomson, principal concurrent d’EADS, à l’époque. Dans un second, il aurait communiqué les listings trafiqués à Villepin, fait ajouter, sur sa suggestion, les noms de Nagy et de Bocsa et adressé le tout anonymement au juge Renaud Van Ruymbeke, qui, depuis plus de dix ans, instruit la très ténébreuse affaire des « frégates de Taiwan ». On sait que la vente desdites frégates a vraisemblablement donné lieu au versement de rétrocommissions au bénéfice de responsables politiques français. Suivez mon regard… Gergorin a bien reconnu être le « corbeau », l’informateur anonyme du juge Van Ruymbeke, mais jure que, à ce moment-là, il était convaincu de l’authenticité des listings.

En janvier 2004, Villepin avait pourtant confié à un maître espion, le général Philippe Rondot, autre personnage étrange, la mission de s’en assurer. Mais ce dernier a mis un temps fou à établir la falsification. Pendant ce temps-là, il prenait scrupuleusement des notes, des montagnes de notes concernant son enquête. Un véritable graphomane que ce préretraité du renseignement ! Il transcrivait notamment en détail, sur des carnets à spirale, le contenu de ses entretiens avec les protagonistes de l’affaire, désignés par des codes transparents. Lors de la perquisition à son domicile ordonnée par les juges d’instruction Jean-Marie d’Huy et Henri Pons, ces carnets ont été saisis. Ils constituent aujourd’hui la pièce maîtresse de l’accusation.

Face à ce faisceau de présomptions, l’ancien Premier ministre se défend bec et ongles, conteste – en vain – le droit du président à se constituer partie civile, soutient que ce dernier était informé du complot beaucoup plus tôt qu’il ne le prétend et l’aurait délibérément laissé se développer dans le dessein de le compromettre, lui, Villepin – ce qui n’est pas exclu mais ne change rien au fond de l’affaire…

Après l’interview télévisée du président en direct de New York, le 23 septembre, le ton est encore monté. Maladresse ou provocation délibérée, Sarkozy a en effet évoqué les « coupables » – au lieu des inculpés – actuellement jugés par le tribunal correctionnel de Paris… L’ancien Premier ministre va l’assigner en justice pour atteinte à la présomption d’innocence. Il a bien l’intention de rendre coup pour coup. Quant à connaître l’issue de ce combat douteux…

1. Voir Bruno Le Maire, Des hommes d’Etat, Grasset & Fasquelle, 2007.

2. Idem.

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