Joël Dervain : « La crise n’est pas encore finie »


Première entreprise ivoirienne, leader en Afrique de l’Ouest dans le raffinage, la société est directement affectée par la baisse de la consommation des produits pétroliers. Mais maintient ses investissements.

Publié le 11 août 2009 Lecture : 5 minutes.

Jeune Afrique : Le baril de pétrole vient de franchir la barre des 70 dollars, porté par les signes de redémarrage économique au niveau mondial. Cette évolution vous est-elle favorable alors que vous êtes le seul raffineur dans la sous-région et que vous traitez essentiellement du brut nigérian ?

Joël Dervain : Les cours du brut et ceux des produits raffinés ont leur propre évolution. Cette hausse du prix du baril est due en grande partie à la contraction de l’offre des pays membres de l’Opep. Elle ne répond pas à une hausse réelle de la consommation mondiale de kérosène, de produits distillés et d’essence. La demande est toujours atone, notamment aux États-Unis, premier consommateur mondial. Tous les raffineurs ont donc des stocks importants sur les bras, dont la valeur se déprécie. 

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C’est aussi votre cas?

Oui. Nous avions misé, en début d’année, sur une marge de raffinage de deux à trois dollars le baril, elle est actuellement de zéro, voire négative. Et puis nous sommes loin d’exploiter notre capacité annuelle de production, qui est d’un peu plus de 4 millions de tonnes. Notre production devrait chuter de 20 % en 2009 [3,8 millions de tonnes en 2008, NDLR]. Nous fournirons néanmoins le marché ivoirien, environ un million de tonnes, et celui des pays de l’hinterland, Mali et Burkina. Mais, au total, nous prévoyons de réduire nos exportations de 2,5 millions de tonnes à 1,5 million de tonnes. 

Avec quelles conséquences sur votre chiffre d’affaires ?

Il devrait baisser de 40 % [1 300 milliards de F CFA en 2008, soit 2 milliards d’euros, NDLR]. C’est une période un peu difficile, car nous avons enregistré 14 milliards de F CFA de perte l’année dernière et l’État peine à apurer sa dette, qui s’élève à près de 70 milliards de F CFA. Heureusement, nous avions réalisé plus de 40 milliards de bénéfices sur les années 2006-2007. Une note positive toutefois : dans le nord de la Côte d’Ivoire, on regagne des parts de marché. Les ex-rebelles rendent progressivement les stations-service à leurs propriétaires, qui recommencent à s’approvisionner chez nous. Globalement, le marché ivoirien progresse de plus de 10 % cette année. 

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Cette conjoncture difficile remet-elle en question vos projets de développement ?

Non, mais elle les diffère. Aujourd’hui, le problème est le même pour toutes les raffineries. Notre plan d’investissement, intitulé SIR 2020, poursuit deux grands objectifs. Le premier consiste à améliorer notre rentabilité. On va donc continuer de moderniser nos unités de production. Le second vise à nous tourner vers la fabrication de produits de dernière génération, plus respectueux en matière de santé publique, déjà commercialisés en Europe et aux États-Unis. Il s’agit notamment du gasoil sans soufre et de l’essence sans benzène. Tous ces projets demandent de gros investissements évalués à 1 milliard de dollars. On ne pourra les réaliser que si nous avons l’appui de l’État, qui possède plus de 50 % des parts de notre société.

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Sans l’appui d’un État ou d’un partenaire très solide, il est difficile d’obtenir les prêts des banques, qui se montrent frileuses. À moins peut-être de nous tourner vers de nouveaux partenaires, comme la Chine ou l’Inde, qui peuvent proposer des crédits assez avantageux sur une période longue, mais à condition que l’on adopte leurs technologies. 

Avez-vous prospecté les établissements bancaires et les partenaires dans ces pays ?

Pas encore. Ce sont des marchés où il ne faut pas se tromper d’interlocuteurs. Et puis, la SIR a un contrat d’assistance technique avec Total, qui détient 25 % de notre capital. Ce groupe est très introduit en Chine. Notre partenaire français pourra servir de relais lorsque l’on aura un projet solide à proposer. 

Et avec l’Angola, quelles sont vos ambitions ? La Sonangol est entrée à hauteur de 20 % dans votre capital. Est-ce une opération capitalis­tique ou envisagez-vous de coopérer pour transformer du pétrole angolais ?

Au départ, la Sonangol a profité du retrait des sociétés anglo-saxonnes – Exxon Mobil, Shell, Chevron, Texaco – du capital de la SIR pour mettre un pied dans le raffinage en Afrique de l’Ouest. Pour nous, cela ne s’est pas traduit par l’achat de pétrole angolais, car nos installations optimisent mieux le pétrole nigérian destiné à la production de diesel. En Côte d’Ivoire, pour 1 tonne d’essence vendue, on commercialise 6 tonnes de diesel. Toutefois, on cherche actuellement à réduire notre dépendance par rapport au brut provenant du Nigeria. Il s’agit notamment d’éviter les ruptures d’approvisionnement qui peuvent survenir quand les rebelles du Mend attaquent les installations dans la région du Delta. Certains bruts angolais sont très décotés car ils sont acides. Si on acquiert la technologie nécessaire pour les transformer, il y aura de bonnes plus-values à réaliser. 

D’une façon générale, le golfe de Guinée offre des perspectives alléchantes pour le développement du raffinage…

D’après une étude récente de la Banque mondiale, les pays du golfe de Guinée importent annuellement plus de 15 millions de tonnes de produits raffinés. D’ici à vingt ans, le parc automobile va également se développer, et le transport routier connaîtra un essor important avec l’émergence d’une classe moyenne plus importante, ne serait-ce que parce qu’il faudra acheminer davantage de marchandises pour nourrir des populations toujours plus importantes. Il y a donc de la place pour de nouveaux complexes industriels. D’ailleurs, l’Angola est en train de construire une raffinerie d’une capacité de 10 millions de tonnes. La Petroci prévoit également de construire la seconde raffinerie de la Côte d’Ivoire, d’une capacité de 3 millions de tonnes. 

De quoi envisager avec optimisme la fin de la crise ?

Certains pensent déjà que la crise économique mondiale est derrière nous. Ce n’est peut-être pas pour tout de suite. Attendons de voir les effets des mesures Obama [diversification des ressources et économies d’énergie, NDLR] qui vont prochainement être mises en œuvre sur le marché américain, premier consommateur mondial de produits pétroliers. On s’attend à une baisse des besoins et, inévitablement, par l’effet domino, à une baisse de la consommation des produits pétroliers. 

Oui, mais, à terme, cette consommation va bien augmenter avec l’essor du parc automobile mondial. Les capacités de raffinage sont-elles suffisantes pour répondre à la demande ?

C’est un peu le serpent qui se mord la queue. On investissait dans les raffineries quand les marges étaient de 10 à 15 dollars le baril. Aujourd’hui, nous sommes contents lorsque nous arrivons à obtenir 2 à 3 dollars. C’est loin d’être suffisant pour engager des investissements lourds. La dernière raffinerie construite en Europe date de 1977. C’est celle de Leuna, en Allemagne. La plupart des raffineurs ne font plus que du dégoulottage, c’est-à-dire du remodelage des installations industrielles existantes pour accroître leur production. Et demain, on pourrait manquer de raffineries. 

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