Saddam Hussein, révélations d’outre-tombe

Le 30 décembre 2006, reconnu coupable de crimes contre l’humanité par le Tribunal spécial irakien, l’ancien homme fort du pays est pendu. Deux ans plus tôt, le raïs avait été interrogé par le FBI. L’administration Obama vient tout juste de lever le secret-défense sur ces entretiens historiques.

Publié le 11 août 2009 Lecture : 16 minutes.

« Job is done ! » Six ans se sont écoulés depuis le victorieux mensonge de George W. Bush prononcé le 1er mai 2003, au lendemain de l’invasion américaine de l’Irak. En fait de « mission accomplie », ce sont des dizaines de milliers de civils irakiens (certaines ONG américaines annoncent plus de 100 000 morts) qui ont été tués par d’interminables opérations de pacification et un terrorisme aveugle. Aujourd’hui, laissant derrière eux un pays ébranlé jusque dans son unité, les GI et les marines font leur paquetage avant de partir s’aventurer dans un nouveau chaudron, celui de l’Afghanistan. Ironie de l’Histoire, c’est à ce moment charnière que Saddam Hussein refait parler de lui.

Condamné pour crimes contre l’humanité et exécuté par pendaison le 30 décembre 2006, l’ex-président irakien avait longuement été « débriefé » par le FBI, de février à mai 2004. Soucieuse de se débarrasser des cadavres les plus encombrants laissés dans les placards de la Maison Blanche par George W. Bush, l’administration Obama vient de lever le secret-défense sur cette série d’une vingtaine ­d’entretiens.

Face au dictateur déchu, humilié devant les caméras du monde entier, se faisant épouiller la barbe après son arrestation dans un trou à rat, le 14 décembre 2003, c’est George Piro qui pose les questions. Agent spécial du FBI, d’origine libanaise et parlant couramment l’arabe et le français, Piro semble avoir conquis la confiance d’un Saddam Hussein déboussolé, sonné mais avec toujours une très haute idée de lui-même, de son destin. Et c’est avec une ruse tout orientale que l’agent Piro amène le raïs à se livrer. Sans doute très éprouvé après neuf mois de clandestinité et deux mois de détention, le prisonnier abandonne un à un les oripeaux de sa carapace de tyran. La véhémence tautologique dont il fera preuve pendant son procès, en 2006, n’est pas encore de mise. Mais, parfois, il se ressaisit et botte en touche face aux questions les plus embarrassantes – comme celles concernant l’exécution de la quasi-totalité de ses ennemis politiques ou les exactions massives commises contre les civils kurdes et chiites. Ébéniste de la langue de bois, Mozart de la rhétorique, souvent roublard, toujours sûr de lui, l’homme aux trois guerres responsables de la mort d’au moins deux millions d’Irakiens apparaît très satisfait de son bilan. Car, comme il le concède lui-même, « être en paix n’est pas chose facile ».

À noter, enfin, que le document final déclassifié par le FBI n’est pas un interrogatoire classique comprenant des questions et des réponses. Il s’agit d’un compte rendu en style indirect rédigé par Piro, entrecoupé de citations de Saddam Hussein. Il comporte par ailleurs d’importants passages censurés qui n’ont pas bénéficié de la levée du secret-défense pour raisons de « sécurité nationale ».

Habilement construit, ce document est aussi un outil de communication justifiant, a posteriori, vingt ans de politique américaine en Irak, même s’il n’y est que très rarement question de l’activisme officiel ou secret de Washington au Moyen-Orient. Il faut également mentionner une note confidentielle dans laquelle l’agent spécial souligne avoir obtenu la confiance de Saddam Hussein « en n’étant pas menaçant » avec lui. Même si, deux ans avant le procès du président déchu, il a expliqué clairement à celui-ci que « sa vie touchait à sa fin ».

C’est sous ces réserves que Jeune Afrique vous livre les principaux temps forts des confessions de Saddam Hussein, l’héritier galonné de Nabuchodonosor. Un témoignage qui aura un jour sa place dans les livres d’histoire. 

Contexte de l’interrogatoire

« Je parlerai de tout, sauf si cela blesse mon peuple, mes amis ou l’armée », met en garde Saddam, qui est tendu lors des premières entrevues. Il précise : « Je pense que les questions devraient être posées dans le cadre d’un dialogue et non pas d’un interrogatoire. » Selon Piro, Saddam s’est progressivement détendu au cours de leurs rencontres, s’autorisant parfois à rire en évoquant certains souvenirs. « C’est difficile de parler de moi », affirme pudiquement l’ex-dictateur, qui parle souvent de lui à la troi­sième personne. De même, il lui arrive d’opposer le secret d’État aux relances trop insistantes. « Si vous décidez de publier un livre de nos entretiens, assurez-vous qu’il soit aussi traduit en arabe », demande-t-il. Autre exigence du « détenu de haute valeur numéro un », selon la terminologie du FBI : que l’agent Piro s’adresse à lui comme à un chef d’État. « Je ne suis pas l’ex-président irakien. Je suis toujours le président de l’Irak. » 

Arrestation et cavale

Saddam affirme avoir quitté Bagdad le 10 ou le 11 avril 2003, alors que la capitale était sur le point de tomber aux mains des Américains. Il a présidé une dernière rencontre avec ses principaux lieutenants en leur ordonnant de se disperser : « Nous continuerons la lutte clandestinement. » La ferme où il fut arrêté, en décembre 2003, est la même que celle dans laquelle il s’était réfugié en 1959 après une tentative de putsch contre le président Kassem. Il est convaincu que sa planque a été dénoncée par un traître. Mais, dit-il, « Dieu nous a enseigné de ne pas être surpris d’être trahi ». Interrogé sur l’existence d’un ou de plusieurs sosies durant les derniers mois de son règne, il répond : « C’est de la fiction, du cinéma. » Invité à préciser quel était son véhicule de fonction à la veille de l’attaque américaine, et plus précisément s’il s’agissait d’une Mercedes noire, il répond : « Peut-être, nous avions des Mercedes de toutes les couleurs. » Il confirme l’existence d’une vingtaine de palais présidentiels, des « propriétés du peuple », construites plus pour des raisons de sécurité que pour le confort. La mobilité du raïs est en effet considérée comme l’une des clés de sa longévité politique.

Commentant la fin tragique de ses fils [Oudaï et Koussaï, tués par l’armée américaine le 22 juillet 2003 à Mossoul alors qu’ils étaient pressentis pour succéder à leur père et figuraient dans le premier carré des 55 digni­taires dont la tête avait été mise à prix par Washington, NDLR], Saddam explique : « Je pense encore à eux et à la façon dont ils ont été martyrisés. Ils resteront des exemples pour chacun dans le monde entier. » 

Son bilan et son prestige

Saddam considère avoir servi le ­peuple irakien pendant de longues années. Ses plus grandes réussites sont la mise en place de programmes sociaux et les améliorations enregistrées sur le plan économique, l’éducation, le système de santé, l’industrie, l’agriculture. « Il n’y a pas d’orphelins dans les rues en Irak », assure celui qui prétend n’accorder que peu d’importance à ce que les gens disent ou pensent de lui aujourd’hui. L’essentiel est ce que retiendra l’Histoire, dans cinq cents ou mille ans. Saddam pense qu’il sera reconnu pour sa loyauté et pour avoir « résisté à l’oppression ». Malgré les souffrances de la guerre contre l’Iran et de celle du Golfe, il souligne que le peuple irakien l’a réélu en 2002 avec 100 % des suffrages.

Quand il était au pouvoir, peu ­d’Irakiens se souciaient de savoir qui était sunnite ou chiite. Le parti ne consi­dérait pas l’appartenance ethnique ou religieuse. Ainsi l’un des principaux caciques du régime, Tarek Aziz, était-il chrétien. « Vous seriez même surpris d’apprendre qu’en 1964 le secrétaire général du parti était kurde », confie-t-il. 

Sa conception du pouvoir

Saddam se décrit comme un « révolutionnaire qui aime le peuple et le parti ». « Si j’avais voulu être un politicien, j’aurais pu. Mais je n’aime ni la politique ni les hommes qui la font », dit-il.

« Un leader ne se fabrique pas dans une usine en ­Europe. Il se développe graduellement », ajoute l’ancien maître de Bagdad, qui s’est toujours senti tenu par « une obligation morale envers le peuple irakien ». Il prétend ne pas aimer le pouvoir pour le pouvoir et affirme avoir demandé à deux reprises, en 1968 et en 1974, à être déchargé de ses responsabilités au sein du parti Baas. Il aurait pu devenir « fermier ». Mais le parti a refusé son départ. Et, en 1979, c’est parce que son prédécesseur Ahmed al-Bakr, malade, l’en a « imploré » qu’il a accepté de lui succéder. Il considère que certains se sont opposés à sa nomination car ils savaient qu’« il ne serait pas facile à instrumentaliser ». Avant de conclure : « Je n’ai peur de personne, je n’ai peur que de Dieu. »

Interrogé sur une conférence de gouvernement où on le voit avec un cigare, Saddam concède « fumer rarement », et seulement « en période difficile ». Quant au culte de la personnalité qui a marqué les dernières années de son règne : « Les citoyens irakiens choisissaient eux-mêmes d’afficher le portrait de Saddam Hussein dans leur ­domicile. »

Quand on lui demande s’il a commis des erreurs pendant son quart de ­siècle à la tête de l’État, il élude : « Vous pensez que je vais dire à mon ennemi que j’ai commis une erreur ? » 

La révolution baasiste de 1968

Saddam Hussein dresse un portrait sombre de la société irakienne avant la prise de pouvoir par le parti baasiste et souligne l’importance de son rôle personnel dans le coup d’État révolutionnaire.

En 1968, le peuple irakien n’avait « presque rien ». Les terres agri­coles étaient négligées et les méthodes d’agriculture, archaïques. L’économie irakienne dépendait presque exclusivement de la production de pétrole, principalement destinée à l’exportation et exploitée par des compagnies étrangères dont le contrôle échappait au gouvernement. L’Irak avait beaucoup à apprendre des autres pays. Saddam et ses compagnons ont intensément voyagé dans d’autres pays arabes. Ils ont découvert que Le Caire et Damas étaient beaucoup plus avancés que Bagdad. Ils ont aussi visité l’URSS, la France, l’Espagne, l’Iran et la Turquie. Mais, précise-t-il, « nous n’avions pas oublié que nous étions arabes et irakiens, et que les Irakiens ont leur ­propre façon de vivre entre eux ».

Sur les conditions du coup d’État militaire qui a renversé le président Abd al-Rahman Aref, en 1968, il af­firme avoir tout fait pour éviter « un bain de sang ». « C’est moi qui commandais le tank qui a bombardé le palais présidentiel. »

Interrogé sur la participation du colonel Abderrazak Nayif, le chef du renseignement militaire, il se souvient que celui-ci avait proposé de collaborer avec les « révolutionnaires » mais que, finalement, il avait été écarté du coup. « Avec une seule arme, j’ai saisi ­toutes celles de Nayif et de sa garde. C’était comme au cinéma, fanfaronne l’ex-raïs. Quand je promets quelque chose, je le fais. Nous avions promis qu’aucun mal ne serait fait au président Aref, et il ne lui est rien arrivé. » Le colonel Nayif, lui, fut assassiné à Londres peu après le coup d’État. Questionné sur les auteurs de cet attentat attribué aux services secrets irakiens, Saddam répond : « Dieu a tué Nayif. Il avait commencé à mener des actions hos­tiles à son pays. Il s’est rendu en Iran, a rencontré Massoud Barzani [le leader historique kurde, NDLR] dans le Nord irakien, et, selon certaines sources, il a rencontré Moshe Dayan [militaire et homme politique israélien, NDLR]. C’était des mauvaises actions. Qui l’a tué ? C’est un autre problème. Seul Dieu le sait. »

Interrogé ensuite sur l’assassinat, en 1980 à Bagdad, de l’ancien ­ministre des Affaires étrangères Abdelkarim Shaykhly, il résume « tous les crimes ne sont pas résolus » et rappelle que l’on n’a pas non plus identifié ceux qui avaient tenté de supprimer Tarek Aziz ou son fils aîné Oudaï [blessé de ­quatre balles au volant de sa Porsche en 1996, NDLR]. 

Le conflit israélo-arabe

« Toute tentative de comprendre les racines de la question palestinienne devrait être faite du point de vue d’un Arabe et pas seulement d’un Palestinien », tranche-t-il. Le fondement d’une solution définitive passe par l’établissement d’un État palestinien séparé. Après la guerre des Six Jours et la rapide défaite des armées égyptienne et syrienne, les habitants du monde arabe sont devenus « tristes et déprimés » et ont nourri une envie de révolution. Le président égyptien Nasser, même après la guerre des Six Jours, « pouvait représenter les ­Arabes » aux yeux du monde, alors que les autres dirigeants étaient « faibles ». Il était le seul à avoir une relation de proximité avec « les masses arabes ».

En 1973, le président égyptien Anouar el-Sadate n’a pas su ramener l’espoir chez les Arabes. Ce n’était pas un « homme de convictions », et le ­peuple et les soldats égyptiens n’étaient pas « motivés » par lui. En faisant la paix avec les Israéliens sans obtenir la rétrocession des Territoires aux Palestiniens, il est devenu « un traître à la cause ». Hussein affirme que l’Irak a participé à la guerre de 1973, avec une contribution militaire aérienne et une force terrestre combattant en Syrie. « Que pouvions-nous faire de plus ? Nous avons envoyé tous nos militaires combattre sous commandement égyptien et syrien. » Et, à propos de l’incapacité de l’état-major syrien à collaborer efficacement avec les forces irakiennes (cartes, moyens de communication) : « Un perdant ne sait plus où sont sa tête et ses pieds. »

Il ajoute que l’Irak a toujours accueilli les réfugiés palestiniens à bras ouverts dès 1948, puis en 1970 après le Septembre noir en Jordanie, et en 1991 après la première guerre du Golfe. « Nous les avons bien accueillis, nous leur avons donné des emplois et le droit d’avoir une terre et un logement », assure-t-il en précisant que « personne n’est aussi généreux qu’un Irakien ».

Interrogé sur les tensions qu’a pu susciter une telle immigration, il répond : « Si nous accueillons un hôte, nous avons le devoir de l’aider. Mais un hôte ne peut exiger ce qu’il veut pour déjeuner ou dîner. » 

La guerre Iran-Irak (1980-1988)

« Khomeiny aurait envahi tout le monde arabe s’il n’en avait pas été empêché par l’Irak. » Le pays a accepté à deux reprises les cessez-le-feu demandés par l’ONU, en 1980 et 1987, mais l’Iran les a refusés jusqu’en 1988, « après avoir perdu la guerre ». L’Irak avait reçu de l’aide des pays arabes. Saddam pensait que cette aide était un don et pas un prêt. Après la guerre, ces pays ont « changé d’avis » et demandé à être remboursés. Certains ont en outre considéré l’Irak comme une menace militaire. À l’inverse de l’Iran, dont l’armée avait été dévastée.

Entre Amara et Bassora, pendant la guerre Iran-Irak (1980-1988)

À la fin de la guerre, alors que l’Irak entamait sa reconstruction, le prix du baril de pétrole a chuté, atteignant 7 dollars le baril. Selon Hussein, il n’était pas possible de lancer ce chantier avec un prix à ce niveau. L’Irak considérait que le Koweït était responsable de cette situation, dans le cadre d’un « complot » beaucoup plus large. Le Koweït a ensuite fait savoir qu’il ne comptait pas suivre la décision de l’Opep demandant une diminution de la production pour faire monter le prix du pétrole autour de 16 dollars. Hussein précise en outre qu’il a lui-même demandé que les prix du brut ne s’envolent pas, pour ne pas pénaliser les pays occidentaux. 

Guerre du Golfe I (1990-1991)

S’adressant à Piro : « Je vous le demande à vous qui êtes américain. Quand les États-Unis ont-ils cessé les livraisons de céréales à l’Irak ? En 1989. Quand les États-Unis ont-ils demandé aux Européens de cesser la vente de technologies à l’Irak ? En 1989. Les États-Unis avaient un plan de destruction de l’Irak, un projet poussé par les sionistes, influents sur les élections américaines. Ce plan américain était aussi appuyé par des voisins de l’Irak, en particulier Israël, qui considérait l’Irak comme une dangereuse menace militaire depuis la fin de la guerre Iran-Irak. J’en suis convaincu. »

Parlant du Koweït et de la coopération militaire de celui-ci avec les États-Unis, marquée notamment par une importante visite, en 1989, du général américain Norman Schwartzkopf, le chef du commandement central de l’US Army, Saddam affirme que des manœuvres militaires menées avec l’Égypte et la Jordanie, avec l’appui d’Israël, désignaient l’Irak comme un ennemi potentiel. « C’est difficile d’éviter quelqu’un d’armé qui stationne devant votre maison, à moins de sortir et de tirer dessus », explique-t-il avant de souligner que la conquête du Koweït avait été menée « en moins de deux heures ».

Il y avait aussi des raisons histo­riques à considérer le Koweït comme la dix-neuvième province irakienne. « Si vous dites aux Irakiens que le Koweït fait partie de l’Irak, ils seront heureux », estime l’ancien président, qui rappelle que « la nation arabe, du riche au ­pauvre, est une nation avec une même langue, une même religion, des fron­tières com­munes et les mêmes attentes ». Le contexte international a également pesé dans le déclenchement de cette guerre, avec la disparition, en 1989, de l’équilibre entre les États-Unis et l’URSS. Enfin, toujours selon Saddam, c’est à cette époque que Washington a compris que la guerre en Afghanistan serait insuffisante pour maintenir l’activité de son complexe militaro-industriel. Après avoir espéré une médiation de l’Arabie saoudite, l’Irak a donc annexé le Koweït pour prévenir les projets d’agression israélo-américains et financer son effort de reconstruction. Et aussi pour « répondre aux vœux du peuple koweïtien, qui voulait se débarrasser de ses dirigeants arrogants et stupides ». Mais le « complot » international s’est refermé sur lui. Conscient des risques courus, Saddam déclare a posteriori qu’il aurait préféré « une solution pacifique ». 

Répression des Kurdes et des chiites

Concernant les rébellions qui ont ­éclaté en Irak au lendemain du cessez-le-feu de 1991, l’ex-raïs estime qu’il s’agissait avant tout d’opérations de « sabotage ». Dans le Sud, les insurgés n’étaient pas des révolutionnaires, c’étaient « des voleurs, des hors-la-loi infiltrés par l’Iran », qui « voulait contrôler le sud de l’Irak [à majorité chiite, NDLR] ». L’ordre rétabli dans le Sud, il estime avoir « restauré l’ordre » dans le Nord, au Kurdistan, en deux mois seulement. « Dieu nous a donné la victoire », résume-t-il.

Interrogé sur les exactions commises contre les populations civiles [notamment l’usage de gaz toxiques, comme en 1988 à Halabja, au Kurdistan, qui justifiera partiellement sa condamnation à mort en 2006, NDLR], il répond : « Un Irakien, civil ou militaire, sait ce qui est humainement acceptable comme conduite et il n’a besoin de personne pour lui dire comment se comporter. »

Piro le relance en lui lisant le témoignage d’un humanitaire qui affirme avoir vu un char irakien avec trois enfants ligotés sur son capot lors de son entrée à Bassora. « Mensonge ! » répond Saddam, qui, devant l’insistance de son interlocuteur à évoquer des boucliers humains, tranche : « Vous avez entendu ce que vous avez entendu. J’ai entendu ce que j’ai entendu. »

Invité par ailleurs à commenter le désastre écologique qu’a représenté la mise à feu des puits de pétrole koweïtiens, en 1991, il demande si cette décision a eu « plus de conséquences que l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl ». 

Armes de destruction massive

Malgré la défaite et l’embargo de 1991, l’Irak est parvenu en dix ans à « presque tout reconstruire ». Évoquant la résolution 687 du Conseil de sécurité de l’ONU contraignant l’Irak à déclarer l’existence de ses armes biologiques ou chimiques et à les détruire, il tient à préciser que cette résolution n’avait pas été adoptée « dans l’esprit des Nations unies » mais sur l’insistance des États-Unis. Il s’interroge aussi sur les exi­gences de l’ONU sur ce point, alors que d’autres résolutions, notamment celles concernant Israël, n’ont jamais été appliquées. Il rappelle que les États-Unis ont utilisé des armes interdites au Vietnam et se demande si les Américains donneraient leur accord à une inspection de la Maison Blanche par des Irakiens pour rechercher la présence de telles armes. Saddam ajoute néanmoins s’être plié à la résolution 687 en détruisant ses stocks d’armes illicites, et ce dès 1998, mais en commettant « l’erreur » de ne pas le faire sous supervision des Nations unies. C’est cette « erreur » qui a ensuite entraîné un dialogue difficile avec les inspecteurs des Nations unies alors que l’Irak était sous embargo international et que son espace aérien était limité. Selon Hussein, l’Irak a préféré prendre les devants plutôt que de devoir assumer les coûts et la logistique d’une mission d’inspection. Pourtant, l’Irak avait répondu à toutes les injonctions du Conseil de sécurité. Et, pour enfoncer le clou, Hussein s’exclame : « Mon Dieu, si nous avions eu de telles armes, nous les aurions utilisées contre les États-Unis ! » 

Oussama Ben Laden

Saddam Hussein affirme n’avoir jamais vu ou rencontré personnellement Oussama Ben Laden, qu’il compare à un « zélote ». En revanche, il ne nie pas qu’à deux reprises des responsables irakiens ont rencontré des membres d’Al-Qaïda, au Soudan (en 1994) et à Bagdad. Selon lui, « la religion et la politique ne doivent pas être mêlées ». 

Guerre du Golfe II

« Les États-Unis ont utilisé les attentats du 11 Septembre pour attaquer l’Irak », assure Saddam. Lors de la seconde guerre du Golfe, il estime que le seul allié des États-Unis était le Royaume-Uni. Tous les autres grands pays, comme la ­France, l’Allemagne, la Chine et la Russie, étaient contre la guerre. Pour résumer, malgré l’absence d’armes de destruction massive, « les États-Unis cherchaient un prétexte pour agir ». 

Les États-Unis

Saddam tient à préciser qu’il n’est pas « l’ennemi du peuple américain » – dont il dit apprécier la culture, et notamment le cinéma –, mais celui des « dirigeants américains ». « Les États-Unis ont payé cher leurs erreurs en Irak et dans le monde entier et continueront de les payer. Si vous demandez à un soldat américain venu en Irak chercher des armes de destruction massive, alors qu’aucune ne fut trouvée, pour remplacer la dictature de Saddam Hussein par une autre dictature s’il préfère rester ou partir, il répondra vouloir partir. » 

L’avenir de l’Irak

Au moment où sont conduits ces entretiens, Saddam se dit convaincu que l’Irak « survivra ». C’est une grande nation qui a franchi de nombreux seuils historiques. Les nations arrivent généralement « à leur apogée » une seule fois. L’Irak, dit-il, est parvenu à ce stade à plusieurs reprises. C’est le seul pays à avoir connu cela dans l’histoire de l’humanité. C’est un « don de Dieu ». Saddam espère que l’Irak va progresser dans tous les domaines, financier, religieux. Et, en tant qu’« humaniste », il souhaite la même chose pour le peuple américain.

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