Kassav’ : Trente ans de rythmes antillais

Rien ne va plus pour le zouk ? Allons donc ! Début mai, le groupe Kassav’, trente ans au compteur, faisait danser 20 000 personnes à Abidjan. Quinze jours plus tard, il remplissait le Stade de France, au nord de Paris, pour un concert événement. Aucun doute, la ferveur est toujours là.

Publié le 20 mai 2009 Lecture : 4 minutes.

Les présidents africains aiment le zouk. En 1996, Jocelyne Béroard et Jacob Desvarieux, les deux figures emblématiques du groupe Kassav’, étaient nommés « officiers du Mérite » au Sénégal par le président Abdou Diouf. Début mai, cette année, le président ivoirien, Laurent Gbagbo, accueillait les Antillais à l’occasion de leur retour à Abidjan et confiait au ministre de la Culture le soin de leur remettre une médaille.

Kassav’ a joué pour la première fois en Côte d’Ivoire au milieu des années 1980. Une longue histoire d’amour avec le continent commençait. Les tournées enflammaient le public. Les aventures parfois particulièrement rocambolesques vécues en Afrique pourraient remplir des pages. Aujourd’hui, quand les membres du groupe regardent en arrière, les souvenirs affluent. Il y a eu des galères au Gabon et au Cameroun, un concert cauchemar où le groupe dut se réfugier sous la scène sur laquelle tombaient une pluie diluvienne et des pierres lancées par des spectateurs en colère. Mais il y a surtout eu des moments extrêmement forts. « Nos premiers gros publics, c’est en Afrique que nous les avons eus, raconte la chanteuse Jocelyne Béroard. On remplissait les stades et cela nous excitait terriblement. » En 2009, Kassav’, qui a vendu plus de 4 millions d’albums dans le monde et donné plus de 40 concerts au Zénith de Paris (record de passage pour un groupe dans la salle parisienne), remplit toujours les stades africains. Au Parc des sports de Treichville, le 2 mai, à Abidjan, 20 000 corps se sont agités et 40 000 bras se sont levés pour les rois du zouk, les inventeurs de cette potion énergisante qui perdure envers et contre modes, malgré le ndombolo, le zouglou, le coupé-décalé et autres kuduro.

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Indémodable

Le zouk, cocktail détonnant de funk, de rock, de biguine, de gwo ka (musique traditionnelle de la Guadeloupe) et de calypso, a fortement imprégné bien des styles urbains en Afrique. S’il a influencé certains sons du Brésil (la lambada) ou la soca et le merengue des îles voisines, c’est sur tout sur le continent qu’il a laissé des traces.

Lorsqu’au milieu des années 1980 Kassav’ se pose pour la première fois en Afrique, impossible de mesurer l’impact qu’il va avoir. De l’Angola à la Côte d’Ivoire, du Togo au Niger et du Gabon au Burkina Faso et au Cap-Vert, il aimante des foules incroyables et fait rêver certains musiciens. Beaucoup vont mordre avec gourmandise dans ce gâteau prometteur, dont le public semble particulièrement friand. L’Ivoirienne Monique Seka, surnommée « la reine de l’afro-zouk », fait un tabac avec « Missounwa » en 1989, puis avec « Okaman » en 1995. Même succès pour le Gabonais Oliver N’Goma, dont le titre « Bane », en 1990, impose l’idée d’un zouk « cuisiné à l’africaine ». Au Cap-Vert, rares sont les musiciens qui ne glissent pas un zouk entre deux coladeras, cette version joyeuse de la morna. Et, dans les boîtes de nuit, la danse ne se conçoit pas autrement que collé-serré sur un zouk love cajoleur. Le flirt entre le son des Caraïbes et celui du continent n’est pas le seul apanage du zouk. On sait l’importance qu’a eue la musique cubaine dans la naissance de la rumba congolaise…

Une forte connivence

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Beaucoup d’artistes antillais sont autrefois passés par Brazzaville ou Kinshasa. Comme le clarinettiste Sam Castandet, qui a remporté, en 1955, un énorme succès à Léopoldville (ancien nom de Kinshasa). À cette époque, de nombreux musiciens congolais jouaient d’ailleurs de la biguine antillaise. La connivence entre le zouk, les musiques et le public africains était une évidence pour le guitariste auteur-compositeur camerounais Francis Bebey, décédé en 2001 : « Il semble quelque part normal, disait-il, que deux mondes qui se sont éloignés par la faute de l’Histoire peu à peu se rencontrent et se reconnaissent. »

« Le zouk, c’est logique que cela marche auprès du public africain, puisque nous sommes issus de l’Afrique, soutient en écho le guitariste et chanteur Jacob Desvarieux. Quand nous allons là-bas, les gens se reconnaissent en nous, à la fois physiquement et dans notre musique. Il s’est passé avec le zouk ce qui s’est passé avec le rock anglo-saxon. Beaucoup d’artistes en France l’ont accommodé à leur sauce et adapté à la langue française. » Formé en 1979, Kassav’ – le nom est emprunté à la kassave, une galette de manioc mélangée à de la noix de coco – répand le zouk et le créole sur toute la planète. Il reçoit le premier disque d’or de l’histoire de la musique antillaise en 1986, puis est élu meilleur groupe de l’année aux Victoires de la musique en 1988. L’album Vini Pou est couronné disque de platine (300 000 exemplaires vendus), et l’Angola lui réserve un accueil époustouflant (90 000 personnes dans le stade de Luanda). En 1993, il reçoit le trophée du meilleur groupe aux West Indies Awards, à New York. Rien ne semble pouvoir résister à l’ascension de Kassav’.

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Mais la vague a pourtant semblé retomber. Kassav’ a perdu une partie de son public, notamment la jeunesse antillaise, qui s’est tournée vers le raggamuffin et le R’nB. En Afrique, depuis la dévaluation du franc CFA, organiser des tournées est devenu compliqué. Alors, fini le zouk ? En petite forme Kassav’ ? Le succès des récents concerts à Abidjan et le plébiscite du Stade de France, plein à craquer le 16 mai dernier, ont prouvé le contraire avec panache. Sans l’appui d’un nouveau disque. Le dernier, All U Need is Zouk, date de 2007, et seule une compilation, Saga (53 titres, dont 4 versions inédites, en 3 CD, distribuée par Warner), accompagne les concerts anniversaire de Kassav’, ­toujours bon pied bon œil, fédérateur et populaire.

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