Inde : les plus grandes élections du monde

714 millions d’électeurs sont, du 16 avril au 13 mai, appelés à renouveler la Chambre basse du Parlement. Entre le parti du Congrès, les extrémistes hindous du BJP et la « troisième force », l’issue du scrutin est très incertaine.

Publié le 28 avril 2009 Lecture : 6 minutes.

« Il existe trois maladies majeures dans ce pays, monsieur : la typhoïde, le choléra et la fièvre électorale. La dernière est la pire. » C’est en ces termes que le héros du Tigre blanc, le roman d’Aravind Adiga, lauréat du Booker Prize 2008, présente la fédération indienne à un dignitaire étranger.

Il n’a pas tort. La campagne pour les élections législatives (16 avril-13 mai) a donné lieu à un déferlement d’invectives d’une rare violence. Pour ses adversaires, le vénérable parti du Congrès est « une vieille femme édentée ». Pour les « congressistes », les dirigeants du Parti du peuple indien (BJP, droite nationaliste) ne sont que des « piranhas qui dévorent les êtres humains » et n’hésiteront pas à « couper les têtes des musulmans ».

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Lors d’un meeting à Bombay, Lal Krishna Advani, le très extrémiste chef du BJP, a reproché au Premier ministre, Manmohan Singh, de n’être qu’« un bureaucrate chargé d’exécuter les instructions de Sonia Gandhi », la présidente du parti du Congrès. C’est « le plus faible chef du gouvernement depuis soixante ans », a-t-il estimé. Pourtant réputé pour sa pondération, l’intéressé a sèchement répliqué : « Et si, depuis soixante ans, la principale contribution d’Advani à la vie publique était la destruction par les militants du BJP de la mosquée d’Ayodhya, en 1992 ? »

Dans l’État du Cachemire, la campagne a été marquée par des incidents graves. Une fusillade entre l’armée et des djihadistes de Lakshare-e-Taiba, un groupe extrémiste pakistanais, a fait quatre morts. Dès le premier jour du scrutin, des rebelles maoïstes ont tué dix-sept personnes, dans le Nord.

L’incertitude quant aux résultats est totale. Personne ne peut dire si l’un ou l’autre des deux grands partis obtiendra la majorité absolue ou, à défaut, un nombre suffisant de députés pour former un gouvernement de coalition. Ni si la « troisième force » parviendra à brouiller les cartes.

Le parti du Congrès, qui dirige le pays depuis 2004 à la tête d’une large coalition de centre gauche (l’United Progressive Alliance, UPA), se veut le champion des couches populaires et des minorités. Il peut se prévaloir de sa bonne gestion de l’économie : 8 % de croissance, en moyenne, au cours des quatre premières années de la législature. Cette année, malgré la crise mondiale, le taux de croissance devrait être, selon le FMI, de 5,1 %. Le mérite en revient essentiellement à Singh (76 ans). Après avoir été, au tournant des années 1990, l’architecte de la libéralisation de l’économie, celui-ci s’est efforcé d’en réduire les effets négatifs en créant un système de revenu minimum garanti et en annulant les dettes des paysans.

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Économiste de renom et réputé intègre, Singh a également géré avec intelligence et sang-froid l’affaire des attaques terroristes de Bombay, en novembre dernier, réussissant à éviter une énième guerre avec le Pakistan. Le Congrès mise sur sa popularité pour s’imposer comme le premier parti en nombre de députés. Cela lui donnerait une marge de manœuvre appréciable lors des négociations post-électorales.

Le BJP recrute pour sa part ses militants et ses électeurs dans les hautes castes et les catégories sociales émergentes. Adepte d’un capitalisme ultralibéral, il a gouverné le pays entre 1999 et 2004. Écarté du pouvoir pour ne pas avoir redistribué équitablement les fruits de la croissance, il aspire à le reconquérir à la tête d’une nouvelle coalition conservatrice. Outre son âge (81 ans), L.K. Advani souffre d’un handicap : ses liens avec les organisations hindouistes d’extrême droite. Symbole de cet extrémisme, le programme du BJP prévoit la construction d’un temple hindou sur le site de la mosquée d’Ayodhya.

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Mais Advani est bien conscient que, pour l’emporter, il doit absolument adoucir son image sectaire et renoncer à dénigrer à tout bout de champ les minorités musulmane et chrétienne. Lors d’une visite à Islamabad, on a donc eu la surprise de l’entendre faire l’éloge de Muhammad Ali Jinnah, le fondateur du Pakistan. Il a également créé un blog dans lequel, pour séduire la jeunesse, il s’efforce de donner de son parti une image « high-tech ».

Mais chassez le naturel… Dans le même temps, Advani fait en sorte d’apparaître comme un leader fort, disposé à ne faire aucun quartier aux bureaucrates corrompus et, moins encore, aux terroristes musulmans, réels ou supposés. Le gouvernement Singh est, à ses yeux, le contre-modèle absolu. « Même après les attentats de Bombay, s’est-il indigné sur les ondes de la BBC, il a fallu que ce soient les pays occidentaux, en particulier les États-Unis, qui fassent pression sur le Pakistan. »

Ce discours musclé pourrait se révéler contre-productif. Déjà, plusieurs formations régionales se sont retirées de la National Democratic Alliance (NDA), la coalition qu’il conduit, pour protester contre la campagne de haine menée par les extrémistes hindous contre les chrétiens dans l’État de l’Orissa, l’hiver dernier. Plus récemment, dans la ville côtière et cosmopolite de Mangalore, de soi-disant « gardiens de la culture indienne » ont multiplié les agressions contre des femmes fréquentant les pubs. Aussitôt, plusieurs partis de la droite progressiste se sont retirés de la NDA. Conséquence : dans les États clés du Sud, le Tamil Nadu et l’Andhra Pradesh, le BJP doit, pour la première fois, se passer d’alliés.

C’est le désenchantement des acteurs politiques régionaux à l’égard des deux grands partis nationaux qui, en mars 2008, a conduit à la création de la « troisième force », regroupement hétéroclite de formations, petites et grandes, aux intérêts divergents. Le Parti communiste est l’une d’elles. Après avoir soutenu pendant quatre ans l’Alliance progressiste unie, il s’en est retiré en raison de divergences de fond sur l’accord de coopération nucléaire avec les États-Unis. Mais c’est sans doute le soutien du Bahujan Samaj Party (BSP), l’influent parti des intouchables, dirigé par Mayawati Kumari, qui pourrait faire pencher la balance électorale en faveur de ce front alternatif.

Ministre en chef du vaste État de l’Uttar Pradesh (190 millions d’habitants), Mayawati est la pasionaria des intouchables, la communauté la plus défavorisée du pays. Autoritaire et ambitieuse, elle se trouve impliquée dans plusieurs affaires de corruption. Mais les 80 députés que l’Uttar Pradesh envoie au Parlement fédéral fait d’elle la femme politique la plus courtisée du pays.

La « troisième force » a-t-elle vraiment une chance de l’emporter ? Son principal atout, c’est la crise mondiale, qui frappe des secteurs entiers de l’économie et a mis au chômage 1,5 million de personnes au cours de l’année budgétaire 2008-2009. Sans être opposée aux réformes en cours, elle souhaite les compléter par des mesures sociales destinées aux plus défavorisés. Ses propositions peuvent faire mouche dans un pays où la moitié de la population vit encore sous le seuil de pauvreté.

Les membres des minorités religieuses – notamment les musulmans (13,5 % de la population) et les chrétiens (3 %) – sont, dans leur majorité, du nombre. Ils vivent de surcroît dans la hantise de nouvelles attaques des extrémistes hindous. Depuis la fin des années 1980, les affrontements intercommunautaires ont en effet tendance à se multiplier. Outre la destruction de la mosquée d’Ayodhya, le plus grave a sans doute été le pogrom antimusulman qui, en 2002, fit quelque deux mille victimes dans l’État du Gujarat. La multiplication de symboles identitaires hindous dans les lieux publics pose également problème.

Dans ce contexte, le retour au pouvoir du BJP, dont certains dirigeants comme Varun Gandhi, candidat à la députation et arrière-petit-fils indigne de Nehru, n’hésitent pas à tenir en public des discours antimusulmans très violents, aurait toutes les apparences d’une catastrophe. Pour la laïcité et, par ricochet, la démocratie indienne.

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