À bord du Transcamerounais

Voyage sur la ligne qui relie la capitale, Yaoundé, à l’une des principales villes du Nord, Ngaoundéré, dans l’Adamaoua. Le grand train, chaque jour, est bondé. Des raisons de cette surfréquentation et autres charmes du parcours…

Publié le 6 janvier 2009 Lecture : 5 minutes.

Face à la crise
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Face à la crise

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Yaoundé, gare centrale, 17 h 45. Comme chaque jour à la même heure, postées devant les quatre wagons-lits, de charmantes hôtesses, assistées de vigiles, accueillent les passagers. Tenue impeccable et sourire en prime. Moins privilégiés, les voyageurs des 1re et 2e classes devront trouver eux-mêmes leurs places. « Le train en direction de Ngaoundéré partira dans dix minutes », annonce le haut-parleur. Des retardataires déboulent en courant. Six minutes plus tard, dernier appel insistant, qui tire de leur prière quelques fidèles musulmans agenouillés sur le quai. Coup de sifflet, claquement de portières. Il est 18 h 10 tapantes. Tracté par une locomotive diesel, le train, formé de quinze wagons et de deux fourgons, s’ébranle, en claironnant. Si tout va bien, dans quatorze heures il aura rejoint le chef-lieu de l’Adamaoua, à 600 kilomètres de la capitale. Une longue nuit en perspective.

Bien que bercés par le même roulis, les voyageurs ne sont pas tous logés à la même enseigne. Les privilégiés sont ceux qui occupent les compartiments couchettes, à deux ou quatre lits. Là, sécurité totale, pas de voyageurs debout, service de restauration assuré par les hôtesses de la société Messagerie et tourisme pour l’Afrique (MTA), également chargée de l’hébergement et du nettoyage à bord du train. Tout proprets, les wagons-lits n’en sont pas moins vieillots. « Ils ont été rachetés à la France, il y a longtemps. Je les vois dans les vieux films français qui passent à la télé. Mais, regardez : des fenêtres ne s’ouvrent plus et les liseuses ne marchent pas. Pour nous, le TGV, ce sera dans deux siècles », déclare en riant une passagère.

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Les wagons de 2e classe, les plus nombreux, sont bondés. Plus d’un passager y fait le voyage debout, assis ou allongé par terre, dans une ambiance bruyante, et les clandestins n’y sont pas rares. Pas de débordement, en revanche, en 1re classe, où, assis sur de confortables sièges, les voyageurs défendent leur espace en plaçant des bagages dans le couloir. S’ils en ont les moyens, ils peuvent accéder au wagon-restaurant. En théorie du moins…

Envahi par une horde de passagers trop contents d’avoir trouvé une place, ce dernier ne conserve de sa vocation originelle que son nom. Au grand dam de Pierre, le barman : « Quand le train est complet, des employés de Camrail vendent des tickets sur lesquels ils inscrivent à la main le nom du wagon-­restaurant… qui se retrouve donc plein, lui aussi, de passagers qui ne sont pas là pour manger, mais juste parce qu’il n’y a pas de place ailleurs. C’est un manque à gagner pour MTA, car les riches ne peuvent plus accéder au bar-restaurant, et nos vendeurs ne peuvent plus circuler en deuxième avec leurs paniers. » Tout près, dans la cuisine, des dames s’affairent devant le fourneau et le chauffe-plat. Faute de pouvoir s’attabler, on peut quand même commander un plateau.

Impossible cependant, pour les voyageurs des 1re et 2e classes (et les « hors-classe » du wagon-restaurant), d’accéder aux compartiments des « nantis », à bord des wagons-lits. Entre ces derniers et le wagon-restaurant, une frontière, jalousement gardée par les solides vigiles d’une société de surveillance, sépare les deux mondes. Durant la nuit, une bagarre opposera les gardiens du temple à trois passagers, rendus nerveux par la fatigue et quelques verres de vin, qui s’obstinaient à vouloir pénétrer chez « les grands ». Il faudra le renfort des deux policiers qui assistent le contrôleur pour venir à bout des récalcitrants. Après deux ou trois empoignades musclées.

Sauf à être rompu à la vie dure, comme les hauts gradés de l’armée ou de la police – « Nous avons l’habitude », sourit ce colonel –, il n’est pas évident de dormir sur les couchettes en raison des arrêts fréquents (une quinzaine de gares), des ralentissements et haltes intempestives dus à des facteurs divers et variés : déraillements, encombrement de la voie par des animaux, problèmes techniques, attente du passage d’un train de marchandises… Il faut donc s’armer de patience.

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De toute façon, ceux qui se rendent dans l’Adamaoua ou plus au nord n’ont pas le choix. Aucune route directe ne relie Yaoundé à Ngaoundéré. On peut passer par l’est (Bertoua) ou par l’ouest (Bafoussam). Mais, à partir de ces centres, aucune voie n’est totalement bitumée jusqu’au chef-lieu de l’Adamaoua. En outre, depuis la faillite de la Camair, aucune compagnie aérienne ne dessert, de manière régulière, l’intérieur du pays. Un vol de temps à autre, c’est tout.

Un vrai melting-pot

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Du coup, quelle que soit la classe, outre les cheminots et les employés de Camrail, le train est emprunté par nombre de voyageurs de tout poil : commerçants – les plus nombreux –, fonctionnaires, militaires, enseignants, médecins, ménagères, employés de sociétés privées, universitaires et ­étudiants… Qui poursuivront, si nécessaire, leur voyage plus au nord, par la route.

En temps normal, ils trouveront facilement un billet, après une longue attente devant les guichets des gares. Mais, en période d’affluence, c’est la jungle. Et les trafics de billets se multiplient. Achat et revente de titres de transport, à prix fort, par de petits malins, employés de Camrail ou non, qui prélèvent leur dîme au passage (les tarifs normaux sont de 28 000 F CFA en wagon-lit compartiment deux couchettes, 17 000 F CFA en 1re et 10 000 F CFA en 2e classe).

La masse des voyageurs transporte avec elle une foule de paquets. Et pour cause. « J’apporte des provisions que je ne trouve pas à Ngaoundal. Le Nord manque de produits », explique une passagère. Un médecin, lui, rapporte des médicaments et du matériel médical. Quand ils sont volumineux, les ballots sont expédiés dans les fourgons et déchargés à l’arrivée. Durant le trajet, un véritable commerce s’organise à bord du train. Outre les employés de MTA, de nombreux vendeurs à la sauvette, au bagout sans pareil, proposent leurs babioles tandis que des représentants d’agences de transport vendent les billets des bus, qui prendront le relais du train à partir, notamment, de Ngaoundéré. À chaque gare, des femmes offrent les produits du cru – fruits, bâtons de manioc et autres denrées – que les voyageurs s’arrachent.

Ngaoundal, 9 h 30. Encore une bonne heure de trajet. Hagards, des passagers s’impatientent. Le train a pris trois heures de retard. C’est mieux que le précédent, la veille, qui n’est arrivé à destination qu’en fin d’après-midi au lieu de 8 heures du matin. Enfin, Ngaoundéré. Il est 11 heures. Il fait chaud, tout le monde est exténué, mais content d’être à bon port. Et que le train soit « presque » arrivé à l’heure.

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