Prisonniers en business class

Théâtre d’une nouvelle mutinerie le 13 décembre, la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan – la célèbre Maca – souffre des excès liés à la surpopulation. Seul le quartier des VIP, où les barons déchus du cacao côtoient des journalistes en rupture de ban, semble un peu mieux loti. Reportage.

Publié le 31 décembre 2008 Lecture : 7 minutes.

Avec ses murs vert-de-gris, sa crasse, sa surpopulation, la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca) n’a rien d’un lieu de villégiature. Cependant, dans ce lieu sordide, tous les prisonniers ne sont pas logés à la même enseigne. Les barons du cacao, incarcérés depuis juin dernier dans le cadre de l’opération « mains propres » lancée par le président Laurent Gbagbo, ne croupissent pas avec la plèbe. Henri Amouzou, qui fut président du Fonds de développement et de promotion des activités des producteurs de café et de cacao (FDPCC), Lucien Tapé Do, ancien patron de la Bourse café-cacao (BCC), Angéline Kili, ex-présidente du Fonds de régulation et de contrôle (FRC) de la filière, ainsi que leurs collaborateurs, sont hébergés dans le bâtiment dit des « assimilés », réservé prioritairement aux personnalités et criminels en « col blanc ».

Les « café-cacao », comme on les appelle là-bas, y ont retrouvé d’autres détenus célèbres, comme le journaliste français Jean-Paul Ney, inculpé pour complot contre l’État ivoirien, ou encore Modeste Seri, ancien banquier qui vivait aux États-Unis et rendu célèbre par la vidéo « Noël à Abidjan », où on le voit en compagnie du putschiste présumé, le sergent « IB ». Tous ont accueilli, en novembre, le patron du quotidien L’Intelligent d’Abidjan, Assé Alafé, embastillé pour avoir produit des documents d’état-civil falsifiés.

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La business class a fait de la Maca l’un des endroits les plus fréquentés d’Abidjan. Journalistes en mal de scoop, politiques avisés, femmes de petite et de grande vertu, familles éplorées, avocats et diplomates obligés… tous se pressent au grand portail de fer par amitié, par intérêt ou par nécessité.

Régimes particuliers

Les VIP peuvent en effet recevoir les visites de leurs proches toute la semaine, contrairement aux autres détenus, qui doivent se conformer aux jours prescrits (mardi, jeudi et samedi). Une liste de noms est déposée par leurs soins à la porte d’entrée principale. Des voitures rutilantes, comme celle de Mamadou Koulibaly, président de l’Assemblée nationale, de Stéphane Kipré, gendre du chef de l’État, du prédicateur Moïse Koré, ou du conseiller à la Défense du chef de l’État, Kadet Bertin, sont régulièrement garées devant l’établissement. Pascal Affi Nguessan, président du Front populaire ivoirien (FPI, parti présidentiel), préfère les entrevues discrètes, à la nuit tombée, avec sa seconde épouse, Angeline Kili, pour laquelle il n’a pu obtenir de grâce. Surnommée « la Pompadour » pour ses airs de marquise, elle se montre néanmoins généreuse, reçoit les gens de son village et les militantes féminines quand elle ne fait pas le point sur ses affaires avec une de ses proches. Les visiteurs doivent débourser 300 F CFA pour acheter un ticket d’entrée et sont priés de laisser leur pièce d’identité à la grande porte avant de subir une fouille minutieuse, à moins de donner le « prix de la bière ».

Pour les VIP, les autorités ont aussi profondément allégé les conditions de détention… De un à quatre par cellule, quand les autres détenus s’entassent jusqu’à soixante dans la même pièce, les barons du cacao ont été autorisés à repeindre leur lieu de détention, à installer des cuvettes sur leurs WC et à mettre des ventilateurs. Ils disposent aussi de réchauds pour une cuisine rapide, de frigos, de consoles de jeux vidéo, de téléviseurs et de lecteurs DVD… En cas de coup dur, comme lors de la mutinerie du 13 décembre (voir encadré), ils peuvent compter sur les hommes du Centre de commandement des opérations de sécurité (Cecos), une unité d’élite des forces de défense créée en 2005 et stationnée aux abords de la prison. Un bâtiment anciennement destiné aux femmes et aux mineurs a été réquisitionné pour qu’ils installent des bureaux de fortune et des bancs. Leurs épouses leur apportent quotidiennement les plats du terroir : igname, plantain, attiéké, poisson ou poulet braisés.

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Détenus haut de gamme

Même dans l’univers carcéral, les VIP du cacao ont su garder un standing en s’attachant le service de valets, gardes du corps et autres hommes de main. Des tâches confiées à d’autres détenus, qui portent le surnom de « requins » pour leur avidité au gain. Pour approcher ces hôtes « haut de gamme », il faut le plus souvent graisser la patte d’autres prisonniers qui assurent une sorte de protocole. On doit être annoncé avant d’être éventuellement reçu. « Avec leur statut, ils ont droit à des égards », plaisante un membre de la direction de la prison.

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La nouvelle vie des VIP est partagée entre lecture, visites, sport et prière. Lucien Tapé Do, l’homme au chapeau, a équipé la prison de plusieurs jeux de maillots aux couleurs de prestigieux clubs européens comme Chelsea, le Milan AC, Liverpool… Sur le « Maracaña », terrain où évoluent les stars de la Maca, le longiligne et rapide Placide Zoungrana, dignitaire du FPI et ex-président de l’Autorité de régulation et de contrôle du café et du cacao (ARCC), se montre le plus adroit avec ses pieds. Assé Alafé, qui s’est foulé la cheville dernièrement, lui, jalouse le titre de meilleur attaquant du bâtiment.

Tapé Do s’est, quant à lui, imposé comme le champion toutes catégories de ludo, semblable au jeu des petits chevaux, quand d’autres préfèrent les parties de Scrabble. Entre deux manches, on se tient informé et on n’oublie surtout pas les affaires. « Assé commence sa journée par la lecture de son quotidien. On parle aussi des sujets des enquêtes. Il nous prodigue de nombreux conseils », explique Valéry Foungbé, rédacteur en chef de L’Intelligent d’Abidjan. â¨Exportations de cacao et de café, immobilier, agroalimentaire… Amouzou, Tapé Do donnent leurs instructions pour gérer au mieux leur business. Modeste Seri, quant à lui, regrette les doux moments passés auprès du mannequin ivoirien, Cady Wassa. Le sémillant homme d’affaires, qui assurait à ses proches qu’il ferait un très bon ministre des Finances, s’impatiente en attendant un « hypothétique » procès.

Pour les étrangers comme Jean-Paul Ney, le séjour est plus difficile. « Je ne connaissais pas l’Afrique. Je découvre à la Maca un nouveau monde de misère, de drogue, de violence mais aussi de grande solidarité, explique le journaliste français. J’ai seulement voulu réaliser un coup médiatique, le scoop de ma vie, en filmant ce qu’on me présentait comme un coup d’État », avance-t-il.â

Au quartier des « assimilés », on organise également sa défense. Les patrons de la filière cacao n’ont pas réussi à monter un front commun, même si tous sont persuadés que leur inculpation est avant tout politique. Et dépêchent régulièrement des émissaires chez le président. Amouzou, lui, avale les livres sur les grands procès comme autant de gourmandises. Il y trouve des arguments qu’il soumet à ses avocats. Ney reçoit la visite hebdomadaire des représentants consulaires et celle, plus espacée, de son avocat ivoirien. Mais il ne peut toujours pas rencontrer le médiatique Gilbert Collard, qui n’est pas encore officiellement chargé de son cas. Après avoir fait plusieurs crises de palu, tenté de se suicider en août, s’être entaillé le poignet en se bagarrant avec son voisin de cellule, le Français, enfermé depuis un an, semble au bout du rouleau.

Les barons du cacao commencent également à trouver le temps long après six mois d’incarcération. À la quiétude du début, liée à l’intime conviction qu’ils ne vivaient qu’une situation passagère, s’est substituée l’angoisse. D’autant que plusieurs ont des problèmes de santé. Jacques Mangoua, du Fonds de régulation de la filière, et Henri Amouzou doivent régulièrement aller consulter dans une clinique privée pour des problèmes de tension. Rosine Obogui, directrice administrative et financière du FDPCC, a failli accoucher à la prison et n’a pu être évacuée qu’au tout dernier moment pour mettre au monde sa fillette, avant de retourner derrière les barreaux.

Désabusés, les VIP cherchent aussi le réconfort dans la religion. On lit la Bible ou le Coran, on prie chaque jour et on multiplie les bonnes actions. Les cérémonies de baptême sont l’occasion de faire la fête et de financer les dons. Jean-Paul Ney est devenu évangéliste après avoir partagé sa cellule avec le pasteur Bohé, un religieux arrêté pour atteinte à la sûreté de l’État et remis depuis en liberté. On l’appelle même « Pasteur Ney ». Le Français officie aussi en tant que professeur d’informatique. D’autres noient leur amertume dans la boisson. Certains cadres déchus du café-cacao finissent leurs longues soirées en se servant des rasades de whisky. « On ne voit pas le bout du tunnel, se plaint l’un deux. Les demandes de libération provisoire sont rejetées. L’instruction n’avance pas, aucun procès n’est programmé. On tombe dans l’oubli. » Enfin, tous se tournent vers les plus célèbres pensionnaires VIP de la Maca, un certain Laurent Gbagbo et sa femme Simone, emprisonnés à plusieurs reprises lorsqu’ils militaient dans l’opposition.

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