Pour éviter une guerre de cent ans

Publié le 1 juillet 2007 Lecture : 5 minutes.

En lisant les analyses de Béchir Ben Yahmed dans un récent éditorial concernant les multiples confrontations entre Israël et les Arabes (voir J.A. n° 2421) me sont remontés à la mémoire certains épisodes et considérations relatifs à ces nouvelles guerres puniques qui, dans le contexte géopolitique actuel, pourraient bien mener au précipice tous les belligérants. Ou durer cent ans – comme l’a crié un des contradicteurs de Bourguiba, lors d’une tumultueuse conférence de presse tenue à Beyrouth, en 1965.
Et voici les traits les plus significatifs de cette remémoration.

Un pionnier. Habib Bourguiba a joué un rôle fondamental dans l’élucidation d’une nouvelle conception du problème palestinien. C’est lui qui a dit clairement que toute contestation de « l’oukase » international créant un État juif en Palestine serait vouée à l’échec. C’est lui qui, prophétiquement, avant même la guerre de 1967, soutenait l’urgence d’un compromis, afin, disait-il, d’empêcher Israël de s’emparer de toute la Palestine.

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Camp David : une pomme de discorde. Sadate reprochait à Bourguiba de ne pas soutenir les accords de Camp David. Bourguiba lui fit répondre que, entre ce que faisait alors le président égyptien et les idées que la Tunisie avait défendues, il y avait un abîme.
Et d’abord la centralité de la question palestinienne. Pour ouvrir une nouvelle ère entre Israël et les Arabes, aucun accord ne devait être signé qui ne garantît, d’abord, en priorité, un règlement accepté par les premiers intéressés, les Palestiniens eux-mêmes. Ceux-ci n’ont pas fini, depuis, de subir les conséquences fâcheuses de l’erreur stratégique de Sadate – qui s’ajoutaient à celles de la défaite de 1967.
Bourguiba reprochait aussi à Sadate sa méthode. Celui-ci aurait dû, selon le leader tunisien, agir avec l’accord de tous les États de la Ligue. En imitant un style initié par Mendès France – une sorte de Blitzkrieg politique -, Sadate, en réalité, tirait son épingle du jeu et affaiblissait son camp. Il rendait ainsi plus difficile tout règlement raisonnable de la question palestinienne.
La leçon fut tirée par le vice-roi saoudien Fahd, qui soumit à la Ligue un projet de règlement sur la base de la légalité onusienne. Grâce au courage de ce prince et à la fermeté de Hassan II, ce projet fut adopté, mais après une suspension qui devait durer une année – puisque le sommet ne put se réunir de nouveau qu’en novembre 1982.
Israël invincible ? Israël fut longtemps considéré comme invincible. Non seulement par ses voisins, mais aussi par lui-même : par ses propres dirigeants et l’état-major de ses armées.
Si des affirmations, publiques ou confidentielles, donnent à penser, de temps en temps, qu’Israël est inquiet pour sa sécurité, voire pour son avenir, ce n’est, en général, qu’une tactique pour obtenir plus d’aide matérielle et militaire, ainsi qu’un soutien politique toujours renouvelé.
Israël aurait des raisons de se croire invincible. Son existence est cautionnée par l’accord des grandes puissances. Sa sécurité est garantie par une solidarité de plus en plus forte, exprimée et illustrée, tout au long des soixante années de son existence, par les États-Unis. Mais, de toutes les façons, et quoi qu’il arrive, Israël sait que le gap culturel et technologique qui le sépare des Arabes est une muraille, certes invisible, mais autrement difficile à franchir que ce mur impudent qu’il construit à grand renfort d’arguments fallacieux et de béton armé.
C’est là une des idées clés de Habib Bourguiba – qu’il a exprimée avec talent, en 1965, quand il a tenu tête à tous les Arabes du Moyen-Orient sur la question palestinienne.

Les leviers de la puissance. Les Arabes ont longtemps repoussé tout règlement négocié, sans doute parce qu’ils sentaient, confusément, l’existence de ce fossé qui les séparait d’Israël et qui permettrait à celui-ci d’imposer sa loi, en temps de guerre comme en temps de paix.
Ils voulaient se rendre plus forts, en achetant des armes. Bourguiba fut le premier à dire qu’une telle méthode contribuait au contraire à les affaiblir, en les rendant tributaires de l’étranger. La véritable puissance, disait-il, était à chercher dans le développement global, qui seul pouvait sortir les peuples arabes de leur condition. Selon lui, la force d’Israël provenait du fait que sa population était, en majeure partie, composée d’élites – culturelle, scientifique, militaire – formées en Occident, possédant donc les véritables instruments de la puissance, à savoir l’intelligence politique, la science et la technologie et, surtout, l’expérience de la guerre moderne, acquise au cours du deuxième conflit mondial.
Depuis 1967, pendant quarante ans, les Arabes ont passé leur temps à fourbir leurs griefs, à fignoler les arguments qui leur donnaient raison. Une occupation, en somme, rhétorique.
Les Israéliens, vainqueurs de toutes les guerres, ont consacré le plus clair de leur temps à réfléchir aux points faibles de leurs multiples combats, aux erreurs, tactiques ou stratégiques, qu’ils avaient pu commettre. Pour, évidemment, en tirer les leçons, en vue d’un avenir toujours balisé par la guerre. Ils se préparaient ainsi à toutes les éventualités, dont ils anticipaient les divers scénarios, et étudiaient les réponses qu’elles appelaient.

Les « concessions douloureuses ». Sharon parlait – seulement des paroles verbales – de faire des « concessions douloureuses ». Et il demandait aux Palestiniens de faire de même. Seulement, la différence était énorme entre les deux types de concessions. Aux Palestiniens, on demandait toujours davantage de concessions sur leur droit – sur ce qui restait de ce maigre droit que l’ONU leur avait reconnu. Les Israéliens, s’ils doivent un jour faire encore des « concessions », c’est, comme pour le Sinaï, sur leurs conquêtes, ce qui n’entame nullement la part dont l’ONU les gratifiait en 1947.
Les deux parties se trouvent donc sur deux logiques parallèles, sans point de jonction. Sauf ultime effort de la part des Palestiniens, et alors vraiment douloureux.
The Economist dit qu’il est nécessaire, pour les deux parties, de faire des concessions « qui font mal ». C’est vrai, Israël devrait préférer cela à l’insécurité qui se perpétue, et qui s’accompagne, inévitablement, de beaucoup de « maladies », sociales et culturelles, dans ses villes et parmi ses soldats.
Les Palestiniens, de leur côté, ne devraient-ils pas tenir cette souffrance – que cause et causerait encore pour leurs populations cette kyrielle de concessions qu’on exige d’eux – pour préférable à la misère et à l’occupation avilissante, mère de toutes les dérives et de ces « maladies » sociales que résume l’expression « vivre avec la terreur » ? Personne ne peut décider à leur place. Mais les épisodes misérables que connaît aujourd’hui « la rue » palestinienne devraient inciter toutes les factions à prendre leurs responsabilités.

Besoin de courage. Mais même si les uns et les autres – dans un sursaut de clairvoyance – acceptaient, respectivement, cette optique, Israéliens et Palestiniens auraient encore besoin d’encouragements extérieurs pour accepter « l’inacceptable ».
Beaucoup d’Israéliens, lucides et courageux, préconisent une action énergique, conduite par les Américains, pour imposer la création d’un État palestinien – dans les conditions acceptées, in extremis, par Bill Clinton à Taba. Les Palestiniens, pour faire le saut, auraient eux aussi besoin d’y être encouragés par les pays arabes et musulmans. Mais les Américains eux-mêmes ont besoin d’une vision lucide à long terme pour conduire une telle politique, les Arabes et les musulmans de rapports plus positifs au réel. Les premiers et les seconds ont besoin, en tout état de cause, de courage – la vertu la moins répandue dans l’histoire des États, la seule qui fonde les nations.

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*Ancien secrétaire général de la Ligue des États arabes.

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