Rap camerounais : hip hip-hop hourra !

Les rappeurs camerounais vivent une véritable success-story. Leur recette ? Ils utilisent les langues du pays, évoquent le quotidien de leurs compatriotes et s’adressent directement à la jeunesse.

Un concert de rap lors de la Fête de la jeunesse, en février 2015 à Douala © Jean Pierre Kepseu/J.A.

Un concert de rap lors de la Fête de la jeunesse, en février 2015 à Douala © Jean Pierre Kepseu/J.A.

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Publié le 18 mai 2015 Lecture : 4 minutes.

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En juin 2014, le rappeur Stanley Enow était sacré révélation de l’année aux MTV Africa Music Awards, à Durban (Afrique du Sud). Une première pour le Cameroun. Le natif de Bafoussam (dans l’ouest du pays) n’est pas le seul à avoir conquis la planète rap. À Yaoundé, "Le Monstre" Jovi va de succès en succès et collabore avec les plus grands, du Français Youssoupha à l’Américain Akon.

Qu’il vienne des scènes branchées de l’African Logik et de La Case des Arts à Yaoundé ou des clubs tendance de Douala, le rap camerounais est à la mode. Et Stanley Enow marche sur les traces d’Ak Sang Grave ou de Krotal. "Il y a eu un déclic : les jeunes s’identifient davantage [à la musique] quand on parle de leur vie quotidienne", souligne Aston, responsable du label Fast Money Records. Le rap camerounais aurait-il trouvé son vrai visage ?

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Authentique

Après avoir longtemps imité le style occidental, se contentant dans les années 1980 et 1990 de reprendre les standards de groupes américains (Run-DMC, Public Enemy…) ou français (IAM), beaucoup de rappeurs ont pris leurs distances. "Notre marque de fabrique consiste à utiliser toutes les langues parlées au Cameroun. On peut prendre un mot chez les Bamilékés et lui donner du sens dans tout le pays", explique Jovi.

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Selon lui, les artistes camerounais ont tout intérêt à éviter les clichés venus d’ailleurs : "Quel est l’intérêt d’un clip avec un jet privé et des filles siliconées si ton texte essaie de dire qu’au pays les routes sont mauvaises ?" Plus authentique sans tomber dans le folklorique, le rap camerounais gagne ses lettres de noblesse dans les festivals, ainsi que sur les radios et les télévisions nationales, qui jusqu’ici ne diffusaient que les hits mondiaux.

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"Mon premier single est sorti sur un site étranger avant même que les programmateurs ne le remarquent en allant sur le Net télécharger du Chris Brown ! se souvient, amusé, Jovi. L’essentiel, c’est que tout cela change : un étranger ne pourra jamais traduire ce que le peuple vit ici." Malgré une plus grande reconnaissance, les temps restent difficiles pour les artistes, qui manquent de ressources financières et techniques, mais aussi de moyens de diffusion et de détection des talents.

"Aujourd’hui, mieux vaut connaître un politicien si l’on veut avoir sa chance, regrette Aston, qui milite pour la création d’un département spécialisé au sein du ministère des Arts et de la Culture. Il y a un fossé entre les décideurs et les jeunes. Cela retire au hip-hop toute possibilité de débouché professionnel."

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Piratage

D’autant que les rappeurs souffrent toujours de leur image de "voyous", même lorsqu’ils sont diplômés de l’université et qu’ils exercent une autre activité, faute de pouvoir vivre de leur musique. On est bien loin du fantasme bling-bling… La vente de disques reste très faible en raison du piratage, et les artistes ne survivent que grâce aux clubs où s’organisent les concerts.

Mais, là aussi, hormis pour quelques stars locales, la plupart des soirées sont financées à perte. "Cela ne sert à rien de demander aux jeunes de payer à l’entrée si c’est pour avoir une salle vide", déplore Mihney, qui a signé chez Fast Money Records. Et si les rappeurs se sentent délaissés par les autorités – "Le gouvernement n’a pas vu le business que le hip-hop pouvait générer", estime Jovi -, eux s’intéressent à la politique. Et le disent en chanson.

Le premier titre de Valsero, "Ce pays tue les jeunes", donnait le ton. Ses deux albums, Politikement instable et Autopsie d’un État mort, n’ont fait que le confirmer… Steve Roland Etogo Akpe, alias One Love, appelait quant à lui début février à l’unité du peuple dans un clip intitulé "Boko Haram, tu ne nous peux pas". La politique n’est jamais très loin. "Quand dans un clip j’ouvre un robinet et que l’eau qui en sort est marron, les Camerounais comprennent ce que je veux dire. Le message passe, même s’il n’y a pas d’attaque politique directe", précise Jovi. Et les artistes ont su profiter de la puissance d’internet et des réseaux sociaux pour faire passer leurs idées.

"La Toile ouvre la voie aux artistes. Sans elle, notre musique ne sortirait pas du pays", témoigne El Kana, produit par Fast Money Records. Le web se révèle pourtant une arme à double tranchant, tant la concurrence étrangère y est grande. "Internet oblige les musiciens à remplir certains critères, indépendants de leur culture. Les internautes ne se disent pas : "Pour un Camerounais, ce n’est pas mal"", explique Jovi.

L’ère du numérique a accentué l’exigence de qualité et d’originalité dans un univers de consommation rapide. Mais le protégé d’Akon en est persuadé : avec son mélange de cultures, l’Afrique, et en particulier le Cameroun, a tout le potentiel pour garder le rythme.

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