Gertrude : « Mon calvaire comme domestique camerounaise au Liban »

À l’instar de nombreuses femmes africaines employées comme domestiques dans des pays du Proche-Orient, Gertrude Megne, Camerounaise, a vécu au Liban un « calvaire qui a duré huit mois ». Elle livre à « Jeune Afrique » son témoignage.  

Gertrude Megne a passé huit mois difficiles au Liban, employée comme domestique. © DR

Gertrude Megne a passé huit mois difficiles au Liban, employée comme domestique. © DR

ProfilAuteur_EdmondDalmeida

Publié le 28 mai 2015 Lecture : 4 minutes.

Avant toutes choses, j’aimerais remercier le bon Dieu qui m’a maintenue en vie pendant ces moments atroces que j’ai vécus au Liban. Je vous demande d’insister sur ces remerciements car, vous allez le comprendre en avançant dans mon récit, je reviens de loin, là où certaines de mes sœurs ont laissé leur peau.

Mon histoire commence en 2014 lorsque je rencontre sur Facebook une Camerounaise qui me propose de l’aide pour m’expatrier. Elle m’explique alors faire partie d’un réseau qui fait voyager les jeunes filles partout dans le monde, en Europe et en Amérique du Nord notamment. Après lui avoir envoyé les documents nécessaires à l’accomplissement des formalités de voyage, elle m’annonce que je ne partirai pas au Canada, là où je souhaitais me rendre, mais au Liban, qui, selon elle, est un havre de paix, comparable à l’Europe. Selon elle, j’y serai libre de mes déplacements et surtout de vivre ma religion comme je l’entends. Elle me réclame donc 500 000 F CFA (762 euros) pour le voyage, somme que je n’étais pas en mesure de régler. Entre temps, ses clientes libanaises m’ont sélectionné et on m’avance le billet d’avion. Je me suis donc rendue à Douala d’où je suis parti pour un voyage en enfer.

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Gertrude Megne était domestique, cuisinière et nourrice au Liban.

Je débarque donc le 7 juin 2014 au pays du Cèdre, heureuse de quitter la misère dans laquelle je vivais au Cameroun. Juste après avoir posé mes valises, j’entends le chef de ma famille d’accueil murmurer quelques mots en arabe. Son épouse me rejoint quelques instants plus tard pour me réclamer mon passeport. Là commence ma prise en otage dans un pays dont j’ignorais absolument tout. Il m’était strictement interdit de sortir, et trois mois après mon arrivée, j’ai été conduite dans un bureau administratif pour signer un document rédigé en arabe – dont je ne comprends mot – et pour relever mes empreintes digitales. J’ai compris après coup qu’il s’agissait des démarches d’établissement d’une carte de séjour, dont je ne verrai pourtant jamais la couleur.

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Sur place, j’étais employée comme femme de ménage et nourrice des enfants. Toutes ces tâches étaient accomplies dans le mépris total de la condition humaine. Dans une maison avec plusieurs chambres inoccupées, je dormais dehors sous des amas de tôles. Quand ils sortaient, je restais enfermée à la maison. En huit mois sur le territoire libanais je n’ai pu parler qu’une seule fois à ma famille, au mépris des dispositions du contrat de travail qui stipulait que je pouvais contacter ma fille au moins deux fois par mois.

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Pendant mon séjour, mes employeurs m’ont envoyé travailler chez un autre membre de la famille qui me logeait dans un magasin surchauffé. Conséquence : j’ai rapidement commencé à saigner abondamment du nez toutes les nuits. Je devais tremper une serviette pour me recouvrir avant de trouver un peu de sommeil. Et à mon réveil, je découvrais des caillots de sang un peu partout. J’ai alors réclamé des soins. Sans succès. 

Ensuite on m’a encore changé de maison, chez un couple plus jeune, où la situation était pire encore. L’homme, un ingénieur agronome, et la femme, qui  travaillait dans la finance, ne me permettaient pas de manger sans leur autorisation. Le reste je vous en fais grâce.

J’espère que mon témoignage servira de leçon à toutes celles qui répondent aux sollicitations d’inconnus qui leur promettent du travail à l’étranger.

Dans ma famille d’accueil, j’ai déjà pensé au suicide. Le fils a déjà menacé de me battre, en hiver j’étais privée d’eau chaude pour ma douche, obligée des fois d’aller faire mes besoins dehors, dans la neige. Le 12 juin 2014, jour d’ouverture de la Coupe du monde, le mari a commencé à me faire des avances pendant que je faisais son café. Et puis c’est devenu un combat permanent avec lui dès que son épouse sortait de la maison. On se bagarrait, il insistait, me harcelait… Je courrais en criant partout dans la maison. Parce que je me suis toujours refusée à lui, il a commencé à me détester et m’humilier. 

Je suis finalement parvenue à me procurer un téléphone et j’ai pu contacter un consul libanais qui représentait le Cameroun. Mais ce dernier ne pouvait rien faire pour moi. Finalement, j’ai dû me rendre à l’hôpital où on m’a diagnostiqué un problème au poumon. J’ai donc supplié ma patronne du moment de me laisser rentrer me soigner dans mon pays. Ce qu’elle a fait, après avoir prélevé 300 dollars sur mon salaire pour frais de transports.

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Pendant mes mois de calvaire, je me suis rendue compte que mon cas était loin d’être isolé, les drames se multipliaient au sein de la communauté des domestiques d’origine africaine. Les suicides y sont quotidiens. Au moment où je vous parle, elles sont encore des centaines à subir des traitements inhumains, dégradants de la part de leurs employeurs libanais. Et tout cela pour un salaire de 200 dollars payés avec difficultés.

J’espère que mon témoignage servira de leçon à toutes celles qui répondent aux sollicitations d’inconnus qui leur promettent du travail à l’étranger. Ces personnes peuvent réclamer jusqu’à 1 200 euros pour ce voyage. Et une fois sur place le piège se referme, car nous n’avons plus les moyens de repartir.  Il est urgent que les leaders d’opinion en Afrique prennent ce problème au sérieux et fassent tout pour interdire ce trafic honteux.

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