Mohamed El Kettani : « Attijariwafa Bank va investir 1 milliard de dollars en cinq ans »

Champion panafricain, le marocain Attijariwafa Bank déploie l’ensemble de ses métiers en Afrique francophone, tout en partant à l’assaut de nouvelles régions. À son programme figurent notamment l’Égypte et l’Angola.

Arrivé en 2007 à la tête du géant bancaire, le Marocain a conduit à un rythme soutenu son développement au sud du Sahara. © Hassan Ouazzani/JA

Arrivé en 2007 à la tête du géant bancaire, le Marocain a conduit à un rythme soutenu son développement au sud du Sahara. © Hassan Ouazzani/JA

Publié le 29 novembre 2012 Lecture : 7 minutes.

Attijariwafa Bank est partout. Numéro un au Maroc et désormais solidement implanté en Afrique subsaharienne francophone, le sixième groupe bancaire du continent poursuit son expansion. À la manoeuvre depuis plus de cinq ans, son PDG Mohamed El Kettani, pur produit de la maison – dont il a gravi un à un les échelons -, détaille sa stratégie de banque universelle.

Jeune Afrique : Où en est Attijariwafa Bank de son déploiement africain ?

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Mohamed El Kettani : Nous estimons avoir atteint une taille critique au Maroc, où nous contrôlons plus de 25 % du marché. Pour grandir, nous avons donc engagé une politique internationale qui vise à acquérir et créer des banques en Afrique du Nord, en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. Sur les cinq dernières années, nous avons acquis dix établissements dans dix pays subsahariens francophones, ce qui nous donne une assise importante dans cet espace. Notre ambition est d’y créer de la valeur et de dupliquer notre business model, compte tenu de la proximité linguistique et culturelle. Nous faisons le pari de l’appui aux PMI-PME et de la banque de détail, pour être au plus près des ménages, des classes moyennes et des fonctionnaires. Les banques occidentales, même après plus de un siècle de présence, ne s’intéressent qu’à l’international, aux grands projets, aux crédits de campagne agricole et aux lignes d’accompagnement du commerce extérieur.

Nous faisons le pari de la banque de détail pour être au plus près des classes moyennes.

Souhaitez-vous vous installer dans de nouveaux pays ?

La réussite de notre implantation nous a conduits à établir un nouveau plan de développement 2012-2015. Il consiste à combler nos lacunes en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale en acquérant ou en ouvrant des banques en Guinée équatoriale, au Bénin, au Togo et au Niger. Il nous faut généralement trois ans pour installer nos standards (process, informatique…) et ouvrir de nouveaux services de clientèle. En moyenne, nous doublons notre réseau d’agences en trois ans. Nous nous intéressons aujourd’hui aux pays anglophones et lusophones. Nous souhaitons nous implanter dans cinq à huit pays dans les cinq prochaines années. L’Angola et l’Égypte nous intéressent particulièrement. L’idéal est d’acquérir un actif existant, mais si ce n’est pas possible, on créera la banque de A à Z. Nous sommes déjà en Libye, mais avec seulement cinq agences. Le réseau peut être étendu.

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Êtes-vous intéressés, comme on a pu le lire, par la reprise des actifs de BNP Paribas en Égypte ?

Ce ne sont que des rumeurs.

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Vous attendez depuis six ans un agrément en Algérie. Y croyez-vous encore ?

Nous ne perdons pas espoir, car la banque centrale n’a pas rejeté notre demande. Pour l’instant, c’est ni oui ni non.

Qu’avez-vous à apporter aux systèmes bancaires africains ?

Le premier pays à nous avoir accueillis est la Tunisie. Nous y avons acquis la Banque du Sud, qui était déficitaire. En l’espace de cinq ans, elle est devenue le premier réseau bancaire du pays. De 90 agences construites en soixante-cinq ans, on est passé à plus de 200 aujourd’hui. On a greffé 40 nouveaux services et produits : crédits à la consommation, au logement, aux PME-PMI, crédit-bail mobilier et immobilier, financements pour le commerce extérieur, projets sur cash-flow, accompagnement aux infrastructures… C’est le même système qui est dupliqué dans les autres pays pour répondre aux besoins d’une clientèle sous-bancarisée. Il n’y a que 5 % à 8 % de titulaires de comptes au sud du Sahara. Au Maroc, on était à moins de 20 % il y a vingt ans, on est aujourd’hui à 52 % et on espère monter à 65 % en 2014. Quelque 8 millions de citoyens du royaume n’ont pas encore de compte bancaire, essentiellement parce que nous n’avons pas su les intéresser. Nous avons donc développé Wafacash, une filiale spécialisée dans le transfert rapide d’argent dans les quartiers populaires et les zones rurales. Ce réseau a été transformé en banque économique et participe à la bancarisation. Nous avons aujourd’hui plus de 1 800 agences entre Attijariwafa Bank et Wafacash et ouvrons 200 nouvelles agences chaque année. Nous allons étudier le transfert du projet Wafacash au sud du Sahara.

Mon rêve est d’intégrer des cadres subsahariens dans le comité de direction.

Combien de temps faudra-t-il pour atteindre des taux de bancarisation de 50 % au sud du Sahara ?

C’est l’affaire de deux décennies. Mais le levier des nouvelles technologies, notamment via le mobile banking, très prisé des urbains et des jeunes, peut accélérer les choses.

Quel est votre budget d’investissement dans ces pays au cours des cinq prochaines années ?

Nous avons investi près de 1 milliard de dollars [près de 790 millions d’euros, NDLR] lors des cinq dernières années. On souhaite reconduire le même plan pour les cinq ans à venir. Il s’agit d’être le leader ou un des leaders dans chaque pays.

Comment avez-vous traversé les crises au Mali et en Côte d’Ivoire ?

Toute entreprise est porteuse de risques. Il faut bien les calculer et les maîtriser. C’est pour cela que nous avons diversifié nos positions géographiques. On peut aujourd’hui gérer une crise dans un ou deux pays sans que cela affecte significativement nos comptes consolidés. Ces crises nous ont permis d’apprendre à fermer et à rouvrir une banque. On l’a fait en Côte d’Ivoire pendant un trimestre et on a rattrapé le retard. Au Mali, on a fermé nos agences dans le nord du pays et provisionné les pertes. Nous continuons à servir nos clients dans de bonnes conditions sur le reste du territoire.

Quid des talents subsahariens au sein des organes de décision ?

Nous recrutons chaque année dans les meilleures écoles marocaines de commerce et d’ingénieurs une trentaine de jeunes cadres subsahariens qui y font leurs études et bénéficient d’une bourse. Ils passent ensuite deux ans au siège, à Casablanca, pour apprendre nos métiers. En 2011, une première promotion a été déployée dans nos filiales. Ils sont bien formés, motivés, et sont les meilleurs ambassadeurs du groupe. Ils tourneront dans les pays africains et deviendront nos manageurs. En Côte d’Ivoire, nous avons récemment remplacé un manageur marocain par un Ivoirien. Nous souhaitons construire un groupe bancaire panafricain et multiculturel. Mon rêve est de leur faire intégrer, à terme, le comité de direction afin d’avoir des sensibilités différentes.

Quelle est la rentabilité de vos investissements africains ?

Elle est intéressante, mais pas encore à la hauteur de nos ambitions. Nous sommes rentables après trois ans de mise à niveau. C’est le cas en Tunisie, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Congo et au Gabon. On cherche alors un retour sur fonds propres de 15 % à 22 %.

Un rapport d’Ernst & Young, commandé par vous au moment du rachat de la CBAO, accuserait son ancien directeur Abdoul Mbaye, aujourd’hui Premier ministre du Sénégal, d’avoir blanchi de l’argent de l’ex-président tchadien Hissène Habré. Est-ce exact ?

C’est complètement faux.

Une présence dans 11 pays africains

Maroc, Tunisie, Libye, Mauritanie, Sénégal, Burkina Faso, Mali, Côte d’Ivoire, Congo, Gabon, Cameroun

La crise européenne vous inquiète-t-elle ?

Le Maroc a bien négocié le virage de la crise mondiale en maintenant son investment grade [la dette est évaluée comme peu risquée]. Il y a certes un déficit budgétaire et de la balance des paiements, un ralentissement des transferts des MRE [Marocains résidant à l’étranger], des exportations industrielles et des recettes touristiques qui stagnent… Toutefois notre croissance sera de 3 % en 2012. Et, d’après les professionnels, la tendance va s’inverser. Le tourisme devrait repartir, et le gouvernement va aider les sociétés exportatrices. Autre aspect : la tension sur les réserves de change réduit les liquidités. Mais notre offre de crédit continue à augmenter, preuve qu’il y a encore des réserves mobilisables. Nous avons aussi engagé des réflexions avec les régulateurs pour mobiliser des ressources de financement alternatives, via les marchés financiers : titrisation, mobilisation des ressources auprès des compagnies d’assurances, des caisses de retraite…

Allez-vous revoir à la baisse vos implantations européennes ?

Nous croyons dans les ressorts de l’Europe. La crise se terminera bien un jour. Nos agences en Europe ont développé un modèle solide pour capter les transferts de la diaspora africaine, accompagner le commerce extérieur entre l’Europe et l’Afrique et assister les investisseurs européens qui ont des intérêts en Afrique. Nous avons 50 succursales dans sept pays européens. Nous souhaitons continuer d’y développer nos banques d’affaires et nos services d’ingénierie patrimoniale.

Le Maroc se tourne de plus en plus vers les pays du Golfe. Y avez-vous des projets ?

Le roi Mohammed VI a ouvert la voie aux groupes marocains en se rendant en Afrique à l’occasion de plusieurs tournées. On observe aujourd’hui le même phénomène au Moyen-Orient, où nous avons de bonnes relations avec les investisseurs. Nous n’avons pas d’ambitions sur le marché de la banque de détail, qui est déjà très mature, mais plutôt en termes d’alliances stratégiques avec les banques locales. À Dubaï, nous avons créé en 2011 une banque d’affaires et proposons de l’ingénierie, du conseil… Nous souhaitons renforcer cette plateforme pour les investisseurs des pays du Golfe qui regardent vers l’Afrique, et vice versa.

À quand la finance islamique au Maroc ?

Bank Al-Maghrib [la banque centrale] a ouvert il y a quatre ans une fenêtre pour que les banques classiques proposent certains produits islamiques. L’expérience n’est pas très concluante. Le marché est limité, car le cadre d’exercice n’est pas complet. La refonte en cours de la loi bancaire marocaine va permettre de développer la banque participative. Ce projet de loi sera étudié en mars 2013 par les deux chambres du Parlement, pour une entrée effective au dernier trimestre de l’année prochaine. Nous nous intéressons à la banque islamique et à tout ce qui permet d’apporter des produits et services innovants.

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