Procès Habré : « J’étais enceinte de quatre mois, deux gendarmes sont venus me demander de les suivre »

En 1985, lorsqu’elle est arrêtée pour avoir donné à boire à des rebelles, Ginette Ngarbay est enceinte et c’est dans la prison des « Locaux » qu’elle donnera naissance à sa fille. Deuxième témoignage de la série de Jeune Afrique sur les victimes d’Habré dont le procès s’ouvre lundi à Dakar.

Ginette Ngarbay a accouché de sa fille dans une des prisons du régime Habré. © Rémi Carayol, pour J. A.

Ginette Ngarbay a accouché de sa fille dans une des prisons du régime Habré. © Rémi Carayol, pour J. A.

Publié le 18 juillet 2015 Lecture : 2 minutes.

Hissène Habré © Dominique Faget/AFP
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Hissène Habré face à ses crimes

Le 20 juillet, vingt-cinq ans après la chute de l’ex-président tchadien, son procès s’ouvre à Dakar. Retour sur la trajectoire d’un dictateur paranoïaque et sur une décennie de peur, de répression et d’indicibles violences.

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Le voir. L’entendre. Ginette Ngarbay n’en peut plus d’attendre ce moment. Pour savoir à quoi ressemble celui qu’elle considère comme son bourreau. Et pour que justice soit rendue, tout simplement. « Habré doit reconnaître ses crimes, dit-elle. C’est lui le responsable de tout ce qui m’est arrivé. Il a exterminé toutes les ethnies sauf la sienne. C’est un homme sans foi ni loi. Mais je suis prête à lui pardonner. »

Ginette est originaire de Sahr, la grande ville du sud, où Habré et ses hommes ont maté dans le sang les rebelles peu de temps après sa prise du pouvoir. Aujourd’hui, elle a cinquante ans. Elle en avait trente de moins le jour de son arrestation – autant dire que c’était encore une enfant. C’était en février 1985. « J’habitais chez ma grande sœur à N’Djamena. J’étais enceinte de quatre mois. Deux gendarmes sont venus me demander de les suivre. Ils ne m’ont pas dit pourquoi. Il y avait des arrestations tous les jours à l’époque. Une voisine a dit : ‘C’est ton tour aujourd’hui ?’ Je les ai suivis. »

Torturée à l’électricité

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Bientôt, la voilà à la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), la police politique du régime. Puis dans un bureau, face à un homme « gros » et dont la chemise est « tachée de sang ». C’est là qu’elle comprend ce qu’on lui reproche : elle aurait servi à boire, dans le sud, à des rebelles. Elle est donc leur complice !

Pendant une semaine, Ginette est torturée à l’électricité. Ses moments de répit, elle les passe dans une cellule de 10m² dans laquelle s’agglutinent une trentaine de femmes. Deux mois plus tard, elle est envoyée dans une autre prison célèbre : « les Locaux ». C’est là, dans un enclos à ciel ouvert où se trouvent une quinzaine de femmes, qu’elle accouchera, quelques mois plus tard. Seule. Sans aucune autre assistance que celle de ses co-détenues. « Je n’ai jamais vu de médecin, juste une infirmière une fois. C’était horrible ». Le nom de sa fille ? Majoie, « parce qu’elle a survécu ».

Libérée comme elle avait été incarcérée : un beau matin, sans aucune explication

Majoie a vécu les dix-huit premiers mois de sa vie dans cette prison infâme où l’on manque de tout : d’eau, de nourriture, de médicaments. Elle a appris à y marcher. Elle n’a découvert la liberté qu’en janvier 1987, quand sa mère a été libérée comme elle avait été incarcérée : un beau matin, sans aucune explication. Et elle n’a revu son père que bien des années plus tard. Celui-ci, croyant Ginette disparue, a refait sa vie ailleurs…

Ginette a mis des années à s’en remettre. « Longtemps, je suis restée prostrée chez mes parents ». Aujourd’hui, elle est l’une des militantes les plus actives au sein de l’Association des victimes de crimes du régime Habré. Elle se souvient encore des prénoms de celles qui, aux « Locaux », l’ont quittée avant de regoûter à la liberté : Hadidja, Kaldouna, Koumi.

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