Alexeï Vassiliev : « La Russie peut être utile à l’Afrique »

Alexeï Vassiliev, le Monsieur Afrique du Kremlin, participe aux MEDays à Tanger, où Jeune Afrique l’a rencontré. Interview.

Le président russe Vladimir Poutine reçoit son homologue sud-africain, Jacob Zuma, le 28 août 2014 près de Moscou. © Alexei Druzhinin / AP / SIPA

Le président russe Vladimir Poutine reçoit son homologue sud-africain, Jacob Zuma, le 28 août 2014 près de Moscou. © Alexei Druzhinin / AP / SIPA

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Publié le 13 novembre 2015 Lecture : 5 minutes.

Alexeï Vassiliev est l’ancien représentant spécial de la Russie pour les relations avec l’Afrique. Conseiller du président Poutine, il est membre du conseil de politique extérieure du ministère des Affaires étrangères. De 1975 à 1979, il fut correspondant de la Pravda en Égypte. Il a couvert le Soudan, le Yémen, la Libye et l’Éthiopie. Présent à Tanger du 11 au 14 novembre pour la 8e édition des MEDays, il revient sur l’évolution des relations entre le continent et son pays.

Jeune Afrique : Votre présence aux MEDays 2015 est-il le signe que la Russie s’intéresse à nouveau à l’Afrique, 30 ans après la chute de l’URSS ?

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Alexeï Vassiliev : Oui, nous reprenons pied. Les sanctions économiques européennes au moment de la crise ukrainienne y sont sans doute pour quelque chose… Grâce à ce boycott économique, nous avons été obligé de diversifier nos partenaires. Je crois que l’Afrique est une formidable opportunité pour la Russie car elle nous offre la possibilité de sortir de notre dépendance envers l’Union européenne. Et j’ai la conviction que la Russie peut être utile à l’Afrique. Nous sommes davantage dans une logique d’échange et de solidarité.

Dans quels pays en particulier vous implantez-vous, du côté des vieux partenaires de l’URSS ?

Vous savez, 25 ans après la chute du mur, la réalité africaine n’est plus la même, le renouvellement politique s’est opéré, et c’est une nouvelle génération d’hommes politiques qui gouverne le continent. Les chefs d’État ont oublié pour la plupart la parenthèse communiste. Il est clair que nous avons gardé des liens avec l’Angola, l’Afrique du Sud, la Guinée Conakry car plusieurs générations d’hommes et de femmes ont étudié à Moscou. C’est aussi le cas en Égypte, en Algérie ou au Maroc.

Et dans quels secteurs comptez-vous vous imposer ?

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La Russie est l’un des plus petits investisseurs économiques actuellement en Afrique. Donc, nous partons de rien, même si nous avons eu une expérience à l’époque de l’URSS. Nous pensons humblement pouvoir apporter notre expérience en terme énergétique surtout. Nous sommes déjà présents en Afrique, en matière d’industrie de l’armement, pour le meilleur ou pour le pire, mais c’est un fait. Nous avons aussi des compétences en terme de recherche scientifique dont l’Afrique pourrait profiter.

Vous êtes un afro-optimiste ?

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Je ne peux pas dire que je sois afro-optimiste ou aussi optimiste que certains. Mais quelque chose me donne un peu d’espoir : des opportunités se profilent. Certains pays sont plus rapides que d’autres en terme de développement mais à peu près tous ont besoin de consolider leurs bases. L’Afrique doit d’abord sortir de la période de troubles qu’elle traverse. Pour dire la vérité, je suis un peu inquiet car il y a encore beaucoup trop de coup d’états, de crises politiques, de révolutions, de contre-révolutions. Ma petite expérience de l’Afrique me laisse penser que le continent nécessite surtout plus de temps pour s’unifier et fortifier ses institutions, en terme de Constitutions, d’armées, etc…

Certains disent pourtant qu’après l’Asie, c’est l’heure de l’Afrique ?

Oui, certains parlent aussi de l’africanisation du monde. Pour ma part, je préfère rester prudent. Certes, c’est en Afrique que les changements sont les plus visibles actuellement… Imaginez, à l’époque où je couvrais l’Afrique, il y avait cinq ou six pays seulement avec des universités. Aujourd’hui, tous les les pays en sont dotées. Quelque soit le niveau des universités, c’est un pas immense pour l’éducation à la base du progrès et peu importe le niveau des universités. Autre indice positif, autrefois, tout était dominé par les accords de Breton Woods. Cette institution était gérée par les intérêt égoïstes d’un groupe de quelques puissances… Aujourd’hui, on en revient et certains pays africains émergents commencent à faire entendre leur voix. C’est un premier pas, même si leur poids reste encore très limité sur la scène internationale… Arrêtons d’imposer des modèles. L’Afrique prendra le temps qu’il faut pour trouver son propre chemin, son modèle de développement.

J’ai souvent constaté à quel point l’Occident imposait ses règles en Afrique. Et c’est l’une des raisons pour lesquelles nous n’avons pas pu investir en Afrique

C’est quoi, la méthode russe en Afrique ?

La méthode russe en termes de business est un peu nouvelle, elle se cherche. Une chose est sûre, nous n’avons pas grand chose à faire en Afrique, en termes de petites et moyennes entreprises même si il y aura toujours des exceptions. Seuls de gros investissement portés par l’État russe ont de l’avenir en Afrique. Je pense que Moscou doit être là pour accompagner le business, je dirai même, pour le soutenir. C’est le cas en Afrique du Sud concernant l’extraction de la manganèse, qui connaît un vrai succès. C’est pareil en Angola, avec les diamants ou le pétrole et quelques projets gaziers… Bien qu’on nous aie souvent caricaturé à cause de nos différends avec l’occident, nous sommes une nation avec le respect des souverainetés. Je me souviens, quand je participais à des négociations du G8, j’ai souvent constaté à quel point l’Occident imposait ses règles en Afrique. Et cela a d’ailleurs longtemps joué contre nous, c’est l’une des raisons pour lesquelles nous n’avons pas pu investir en Afrique. Aujourd’hui, nous, nous sommes pour la coopération bilatérale, nous ne voulons pas nous imposer.

La Russie est engagée militairement en Syrie, on peut l’imaginer aussi intervenir en Afrique ?

Personnellement, je ne fais pas partie de ceux qui soutiennent une intervention militaire russe dans le monde sans les autres, ni en Syrie, ni ailleurs. Daesh est un problème beaucoup trop complexe. Si un front anti-terroriste international était créé, alors oui, je serais pour. La Russie seule aura dû mal à vaincre cette nébuleuse, mais c’est une opinion personnelle.

Et que pensez-vous justement de la crise migratoire et des difficultés de l’Europe pour endiguer le phénomène, on l’a encore vu à travers le dernier sommet de La Valette à Malte ?

Je n’ai pas grand chose à dire là-dessus, enfin si une seule : l’Europe paye pour le passé.

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