Jeffrey Feltman : « Daesh et Boko Haram se nourrissent des problèmes de mauvaise gouvernance »

Présent au Tchad à l’occasion du sommet des chefs d’État du G5 (Niger, Mali, Burkina Faso, Mauritanie, Tchad), le 20 novembre, Jeffrey Feltman, secrétaire général adjoint aux affaires politiques de l’ONU, a répondu aux questions de Jeune Afrique.

Jeffrey Feltman en mai 2012. © AFP

Jeffrey Feltman en mai 2012. © AFP

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Publié le 24 novembre 2015 Lecture : 4 minutes.

Jeune Afrique : L’attaque de Bamako du 20 novembre montre que l’Afrique est en première ligne dans la lutte contre le terrorisme. Comment l’aider ?

Jeffrey Feltman : Ces événements, que je condamne avec fermeté au nom des Nations unies, sont un nouvel exemple de la nécessité de travailler ensemble contre le terrorisme : l’Afrique, l’ONU, le monde entier. Le terrorisme n’est pas un phénomène isolé dans une partie du monde. Nous devons le combattre à différents niveaux. Il doit y avoir des mesures militaires et sécuritaires, mais aussi un véritable effort pour analyser les causes de l’extrémisme violent, de la radicalisation, qui mènent au terrorisme. Il faut un effort uni qui intéresse aussi le développement, les droits de l’homme et la bonne gouvernance.

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La coopération entre les pays du Sahel est-elle suffisante ?

Je suis impressionné par la façon dont les pays du G5 Sahel travaillent ensemble sur ces questions. Il y a encore beaucoup à faire, effectivement, mais aussi beaucoup de possibilités pas seulement au sein du G5, mais avec la Cedeao, la commission des pays du lac Tchad, l’Union africaine. Le G5 est une initiative nouvelle qui mérite notre soutien. Mais ce n’est pas la seule réponse. Par exemple, la Libye n’en fait pas partie mais ce qui s’y passe affecte la sécurité des pays du G5.

Vous évoquez la Libye. Reconnaissez-vous les erreurs commises par l’ONU dans la recherche d’une solution politique ?

L’ONU a travaillé main dans la main avec toutes les parties concernées pour trouver une solution créée par les Libyens et pour les Libyens. La proposition faite de mettre en place un conseil présidentiel est le résultat de dix mois de négociations. Nous avons la conviction qu’on ne peut pas gouverner la Libye en ne prenant en compte qu’une seule région. Il faut trouver une solution pour intégrer les trois régions historiques, réunir l’Est et l’Ouest. Cette position est partagée par les Libyens eux-mêmes.

Daesh est encore un phénomène limité en Libye, mais il y a un risque réel qu’il s’étende

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Y-a-t-il un risque que la Libye devienne un nouveau sanctuaire de l’État islamique ?

Daesh est encore un phénomène limité en Libye, mais il y a un risque réel qu’il s’étende. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous estimons qu’il est urgent qu’un gouvernement représentatif voit le jour. Son absence permet l’expansion de Daesh et cause une véritable crise humanitaire dont le phénomène migratoire est la conséquence directe.

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Au Nigeria, des attentats ont fait près de 200 morts en quelques jours. L’incapacité de l’armée nigériane à endiguer durablement Boko Haram vous inquiète-t-elle ?

La responsabilité de la lutte contre Boko Haram n’incombe pas seulement aux pays de la région. La communauté internationale doit aussi jouer un rôle. Il faut que la force mixte multinationale soit effective le plus rapidement possible. Les Nations unies feront tout pour accélérer sa mise en place en fonction des demandes des pays concernés, comme le Tchad et le Nigeria.

Tout de même, les accusations portées contre l’armée nigériane (violations des droits de l’homme, corruption) sont graves…

Vous faites référence à un problèmes sérieux : la lutte contre le terrorisme doit se faire dans le respect des lois internationales et des droits de l’homme. Cette bataille ne doit pas être menée d’une manière qui aggrave les problèmes. Ban ki-Moon s’est rendu au Nigeria récemment et a rencontré le Mahammadu Buhari. Il a été rassuré par le discours du président sur l’importance de la lutte contre la corruption, du respect des droits de l’homme.

Craignez-vous une jonction entre Boko Haram et l’État islamique en Libye ?

Nous le sommes tous. Si vous prenez une carte et regardez où se trouvent les problèmes de mauvaises gouvernance, de sécurité alimentaire, de développement, vous percevez un chevauchement avec les endroits où ces groupes radicaux sont implantés. Daesh et Boko Haram se nourrissent de ces manques.

Dans ce contexte de menace terroriste généralisée, l’élection au Burkina revêt une importance particulière…

Nous devons féliciter le peuple et les dirigeants du Burkina pour la réussite de la transition et la bonne préparation des élections. Il y a certes eu plusieurs crises pendant ce processus, en février, en août ou encore plus récemment, mais à chaque fois, ces défis ont été surmontés. Nous condamnons les pertes en vie humaines lors de la récente tentative de coup d’État, mais nous sommes rassurés par le dévouement du président de la transition, Michel Kafando, et le professionnalisme de la commission électorale. Nous estimons que ces élections sont un symbole non seulement pour l’Afrique de l’Ouest mais pour le monde dans sa globalité. L’exemple burkinabé montre qu’il est important d’écouter son peuple.

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