Maroc : comprendre la polémique sur les retraites des ministres et des parlementaires

Depuis plusieurs semaines, les Marocains réagissent vivement au débat sur les retraites de leurs parlementaires et de leurs ministres, les estimant trop hautes par rapport à la réalité du pays. Faut-il les revoir à la baisse ou carrément les supprimer ?

L’entrée du Parlement marocain, à Rabat. © Flickr / Creatives Common

L’entrée du Parlement marocain, à Rabat. © Flickr / Creatives Common

ProfilAuteur_NadiaLamlili

Publié le 6 janvier 2016 Lecture : 4 minutes.

On l’appelle « la polémique à deux sous » en référence aux mots utilisés par une ministre du gouvernement de Abdelilah Benkirane qui a commis un impair, le 15 décembre, en disant que les parlementaires ne touchaient que « deux francs » pour leur retraite. Choqués de ce manque d’égard vis-à-vis de la réalité du pays, les Marocains ont condamnés ces propos. Certains ont appelé à la suppression des retraites des parlementaires et des ministres, considérées comme une rente en ces temps d’austérité budgétaire. Et, bien évidemment, les partis politiques s’en sont mêlés. Un de ces débats de société dont le royaume chérifien a le secret…

Comment la polémique est-elle née?

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Le 15 décembre, lors d’un talk show sur la première chaîne nationale, la ministre déléguée chargée de l’Eau, Charafat Afilal, membre du Parti du progrès et du socialisme (PPS, gauche), déclare que les parlementaires ne touchent que « jouj frank » pour leurs retraites. Traduisez : « deux sous ». « Avec une retraite de 8 000 dirhams (745 euros), dire qu’ils sont mieux payés que le reste des Marocains relève du populisme », ajoute-elle.

https://www.youtube.com/watch?v=wd-VEvQst44

Ses propos pour le moins maladroits ont soulevé un tollé dans un pays où le salaire minimum ne dépasse pas les 2 300 dirhams (210 euros). Il a surtout été jugé condescendant à un moment où le gouvernement, dirigée par Abdelilah Benkirane, demande aux Marocains de l’aider à réformer les régimes de retraite en faillite.

Le 19 décembre, au plus fort de débats, les internautes ont fait circuler une pétition sur «  ipetitions.com » demandant l’annulation des retraites des parlementaires et des ministres. La requête a enregistré plus de 54 000 signatures, poussant la ministre à présenter ses excuses sans qu’elle n’arrive pour autant à contenir la colère des Marocains ni à stopper le flot de détournements humoristiques dont elle a fait l’objet sur les réseaux sociaux, notamment une vidéo Youtube où l’on voit un jeune marocain chanter : « avec jouj frank, ma vie changerait ».

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Affecté par la polémique, Abdelilah Benkirane a réagi, le 2 janvier, en estimant que la suppression des pensions des parlementaires ne dépendait pas de lui mais des intéressés eux-même. En clair : il ne veut pas être mêlé à ce débat explosif.

Combien touchent les parlementaires et les ministres ?

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Les parlementaires marocains ne perçoivent pas de salaire mais une indemnité forfaitaire (exonérée d’impôts) de 36 000 dirhams bruts par mois (plus de 3 300 euros). À côté, ils bénéficient de la gratuité de certains moyens de transport. Durant leur mandat (6 ans), ils versent une cotisation obligatoire de 2900 dirhams (270 euros) pour leur retraite. Le Parlement, en tant qu’employeur, y participe aussi avec le même montant. Lorsqu’ils quittent leurs fonctions, cette cotisation permet aux élus de la nation de toucher une retraite de 1000 dirhams par mois et par année de mandat.

En revanche, les ministres ont un salaire : 70 000 dirhams nets pour le chef de gouvernement, 55 000 pour un ministre et 45 000 pour un secrétaire d’État. Leurs frais d’eau et d’électricité et leur carburent sont pris en charge par l’État qui met aussi à leur disposition une voiture de service. Par ailleurs, seul le chef de gouvernement a droit à un logement ; une villa située dans le quartier des Princesses à Rabat.

Au delà d’un seuil de revenu de 32 000 dirhams nets, les anciens ministres n’ont le droit à aucune aide du Trésor public

Pour préserver « la dignité » de ses ministres, l’ancien roi Hassan II leur avait concocté un système de retraite devant les prémunir contre la pauvreté et permettant en même temps à l’État de surveiller leur enrichissement. « Quand ils quittent le gouvernement, les ministres doivent déposer une demande auprès de la Primature pour avoir un complément de revenu », explique un ancien ministre. En clair, si leurs revenus après leur sortie du gouvernement (biens loués, profession libérale…) sont en deçà de 32 000 dirhams nets (2983 euros), l’État leur verse le complément. Et à la fin de chaque année, ils ont droit à un bonus de 7 000 dirhams s’il s’avère, d’après les enquêtes du ministère des Finances, qu’ils ont bien payé leurs impôts et leurs charges sociales.

Au delà d’un seuil de revenu de 32 000 dirhams, les anciens ministres n’ont donc le droit à aucune aide du Trésor public qui débourse chaque année 24 millions de dirhams (2,2 millions d’euros) pour leurs retraites.

Faut-il supprimer ou réformer ces retraites ?

Nul besoin de préciser qu’un tel sujet est hautement sensible en cette année électorale décisive pour le Maroc (2016 est l’année des élections législatives). La surenchère politicienne est à son comble. Les partis politiques, toutes tendances confondus, n’ont pas attendu longtemps pour proposer des réformes. Non sans populisme pour certains. Le PJD va même jusqu’à demander la suppression de ces indemnités ou, au moins, leur alignement sur le système de retraite de la fonction publique. Quant au Parti authenticité et modernité (PAM, opposition), il demande la suspension des cotisations de l’État dans la retraite des parlementaires.

Les politiciens ont ouvert une boîte de pandore, appelée discrimination salariale, mauvaise répartition des richesses, injustice sociale…

« En alimentant ce débat populiste et insensé, les partis politiques s’engagent sur un terrain glissant, tonne un ancien ministre. Comment vont-ils gérer l’opinion publique si elle réclame la suppression des retraites dorées des directeurs d’établissements publics, des hauts gradés de l’armée ou des ambassadeurs ? » En un mot : les politiciens ont ouvert une boîte de pandore, appelée discrimination salariale, mauvaise répartition des richesses, injustice sociale… Sauront-ils la refermer sans casse ?

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