Tunisie : Nidaa Tounes, chronique d’une hémorragie annoncée

Fondé par l’actuel président de la République, Béji Caïd Essebsi, Nidaa Tounes, première formation politique en Tunisie, se disloque. Les démissions s’enchaînent dans ce parti hybride, créé presque de toutes pièces pour assurer la transition après la chute de Zine El Abidine Ben Ali.

Pour gagner la sympathie des électeurs tunisiens, Nidaa Tounes avait mis en avant l’héritage de Habib Bourguiba et son opposition aux islamistes. © Aimen Zine/AP/SIPA

Pour gagner la sympathie des électeurs tunisiens, Nidaa Tounes avait mis en avant l’héritage de Habib Bourguiba et son opposition aux islamistes. © Aimen Zine/AP/SIPA

Publié le 20 janvier 2016 Lecture : 5 minutes.

La crise paroxystique que vit Nidaa Tounes est devenue le feuilleton que les Tunisiens suivent avec passion, en comptant les démissions et les claquages de porte ainsi que les pics et les diatribes au sein des instances dirigeantes du parti, qui vient pourtant de tenir les 9 et 10 janvier son congrès constitutif.

Sur les pas de Habib Bourguiba

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Au début, il y avait l’ambition d’un homme : Béji Caïd Essebsi, revenu aux affaires en 2011 après une longue absence politique afin d’assurer la transition en Tunisie. Il nourrissait, selon ses proches, le rêve d’accéder à Carthage mais la troïka, victorieuse aux élections, lui avait préféré Moncef Marzouki. En 2012, il crée donc Nidaa Tounes qu’il présente comme une formation s’inscrivant dans la lignée de la pensée bourguibienne, opposée aux islamistes. Ce sera la promesse qui séduira les militants et assurera l’émergence fulgurante du parti qui raflera 89 sièges sur 217 aux élections législatives de 2014 ainsi que la présidence de la République.

Les failles de la création de Nidaa

Figures de gauche, personnalités de la société civile, hommes d’affaires, syndicalistes, anciens responsables sous le régime de Ben Ali, destouriens… Nidaa Tounes a ratissé large pour composer un ensemble hétéroclite. « Le parti est traversé par différents courants », concédaient à l’époque les adhérents tandis que pour des analystes politiques, Nidaa annonçait le retour du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), parti créé par l’ancien président Zine el-Abidine Ben Ali, aujourd’hui dissous.

Nidaa arguait que l’exclusion était anti-démocratique tout en assurant que tous les ex-RCD n’avaient pas les mains sales. Ce fut le premier clivage, mais avec Béji Caïd Essebsi en position de leader, les différences et les dissensions internes étaient gommées. En mai 2014, Béji avait jugulé lui-même des tensions qui portaient déjà les germes de la crise actuelle. Autour de son fils, Hafedh, des anciens du RCD, notamment Raouf Khamassi et Mohamed Ghariani, qui étaient proches du gendre de Ben Ali, Sakhr El Matri, avaient tenté un passage en force, notamment via les listes électorales de France, pour avoir le contrôle des structures du parti qui n’avait pas pris le temps, depuis sa création, de tenir son congrès constitutif.

L’alliance avec Ennahdha est contre nature, fustige le ministre de la Santé Saïd Aïdi

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Le rapprochement avec les islamistes

Avec une position résolument moderniste, Nidaa a joué sur le vote utile pour rafler des voix. L’argument a été porteur mais a également fragilisé des partis historiquement installés dans le paysage politique tunisien comme Al Massar, Ettakatol et Al Joumhoury. Résultat : au lendemain des élections de 2014, Nidaa n’avait pas de majorité absolue à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) pour gouverner à sa guise et faire ainsi face à Ennahdha. L’alliance pour conduire le gouvernement, conclue alors entre Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi, président du parti islamiste, a fait l’effet d’une trahison pour une grande partie de l’électorat de Nidaa Tounes. La crédibilité du parti fut écornée, sans que les dirigeants du parti n’arrivent à justifier complètement ce choix. « L’alliance avec Ennahdha est contre nature », fustige par exemple le ministre de la Santé Saïd Aïdi.

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Un parti vidé de ses cadres

Nidaa Tounes, c’est bien plus des hommes qu’un programme. Au lendemain des élections, ses dirigeants sont appelés à des postes gouvernementaux ou à l’ARP. Pour le clan de Hafedh Caïd Essebsi, qui se revendique d’une pensée réformiste en affichant un rapprochement avec les islamistes, c’est l’occasion d’essayer de mettre la main sur le parti. Autour d’un désaccord sur la tenue d’un congrès – constitutif pour les uns, électif pour les autres -, une bataille rangée oppose Hafedh Caïd Essebsi, dénué d’une réelle envergure politique, à Mohsen Marzouk, ancien chargé des affaires politiques devenu Secrétaire général du parti et cheville ouvrière de la victoire électorale. Les rivalités se précisent. Chacun choisit son camp. Et l’hémorragie commence…

Entre décembre 2015 et janvier 2016, 22 députés quittent le bloc Nidaa Tounes. Leur départ fait d’Ennahdha la première formation politique à l’ARP avec 69 sièges. Mohsen Marzouk claque la porte et un congrès constitutif est annoncé pour les 9 et 10 janvier à Sousse. Il est décidé à la hâte par Béji Caïd Essebsi qui sort de la réserve partisane que lui impose sa fonction de président de la République telle que le prévoit la Constitution. Il met en place une commission au sein du parti – la commission des 13 menée par Youssef Chahed -, afin d’organiser un congrès constitutif consensuel. Dit autrement, sans vote.

Un congrès entre amis

Sans débats ni consultations, un règlement intérieur est adopté et des secrétaires nationaux sont désignés pour tenir le nouveau bureau constitutif avec Hafedh Caïd Essebsi en chef de file. Malgré leurs protestations, les jeunes et les régions n’obtiennent que peu de représentativité. Le président d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, dont la présence à l’inauguration du congrès de Nidaa a été interprétée comme un message politique fort, déclare : « La Tunisie a deux ailes, Nidaa et Ennahdha ».

Pour les membres de Nidaa, c’est la phrase de trop, d’autant qu’ils sont largement moqués par une opinion publique qui les accuse de collusion avec les islamistes et de n’avoir aucun poids dans leur propre parti. En moins de 10 jours, la moitié des 14 secrétaires nationaux démissionne de leurs fonctions, des militants quittent Nidaa tandis que Faouzi Elloumi annonce la création d’un courant, « l’Espoir », pour sauver le parti.

Nidaa est le troisième parti, après Ettakatol et le Congrès pour la république (CPR), à voler en éclat suite à son rapprochement avec Ennahdha

Nidaa, un parti en perdition

Béji Caïd Essebsi a tenté de peser sur le cours des choses mais la situation semble lui avoir échappé. De toutes évidence, il est désormais impossible de confier les rênes de Nidaa au clan de son fils, publiquement controversé. Il tente de ramener les dissidents dans le giron de la formation. Trop tard ! Mohsen Marzouk est décidé à créer son propre parti qu’il lancera lors d’un meeting populaire à Ksar Hellal (Sahel), le 2 mars. Un clin d’œil à Bourguiba qui y a tenu le congrès fondateur du Néo-Destour, le 2 mars 1934.

Le devenir de Nidaa Tounes est en question. Bien qu’aux commandes du pays, le parti devrait peiner à retrouver sa place sur l’échiquier politique d’autant que Rached Ghannouchi a enfoncé le clou en affirmant être favorable à des listes communes pour les élections municipales prévues fin 2016. « Nidaa est fini », claironne Hamma Hammami, Secrétaire général du Front populaire (FP) tandis que certains notent que Nidaa est le troisième parti, après Ettakatol et le Congrès pour la république (CPR), à voler en éclat suite à son rapprochement avec Ennahdha.

S’il n’est donc pas du tout certain que Nidaa tire son épingle du jeu, la scène politique va se recomposer. Mehdi Jomâa, ancien chef du gouvernement, et Mondher Znaidi, un ancien ministre de Ben Ali, prépareraient chacun la création d’un parti. Parallèlement, A Joumhouri et Al Massar reprennent du poil de la bête.

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