Les derniers éléphants du Nigeria menacés par les braconniers

Pendant des années, Hashimu Abdullahi a fabriqué des armes pour les braconniers et les chasseurs qui pénétraient illégalement dans le parc national de Yankari, l’un des seuls endroits du Nigeria où l’on trouve encore des éléphants en liberté.

Des éléphants dans la réserve présidentielle Wonga Wongué, au Gabon. © James Morgan/AP/SIPA

Des éléphants dans la réserve présidentielle Wonga Wongué, au Gabon. © James Morgan/AP/SIPA

Publié le 25 mars 2016 Lecture : 3 minutes.

Les fusils fabriqués par ce forgeron, des mousquets de 5 kg et d’environ 1,50 mètre de long, ont initialement été introduits au Nigeria par les marchands d’esclaves, qui les échangeaient contre des hommes.

Aujourd’hui, M. Abdullahi est passé « de l’autre côté » : il est devenu ranger.

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« J’ai honte… Je ne veux plus avoir affaire aux braconniers », confie cet homme de 44 ans à la moustache impeccable.

Celui qu’on surnomme « l’armurier » continue à fabriquer des fusils, mais pour ses collègues, dorénavant. Il a été embauché en 2012 pour intégrer l’équipe de 80 rangers chargés de lutter contre les braconniers d’ivoire, les chasseurs, les bergers, et même les exploitants de sève d’acacia, qui pillent illégalement les richesses du parc de Yankari (nord-est du Nigeria). Et pour préserver les quelque 300 éléphants qui restent.

Le ranger Hashimu Abdullahi (centre) et son assistant déballent quelque 200 fusils confisqués, le 6 mars 2016 dans le parc de Yankari. © Stefan Heunis/AFP

Le ranger Hashimu Abdullahi (centre) et son assistant déballent quelque 200 fusils confisqués, le 6 mars 2016 dans le parc de Yankari. © Stefan Heunis/AFP

M. Abdullahi pointe du doigt plus de 200 de ces fusils, confisqués et attachés ensemble avec du fil barbelé rouillé. Souvent, les rangers sont attaqués « avec des armes comme celles-là », explique-t-il.

L’ivoire, convoité par Boko Haram ?

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Si en Afrique du Sud, le braconnage de rhinocéros est mené par un réseau très sophistiqué, avec des connexions internationales, au Nigeria, le trafic illégal semble bien moins organisé, et le fait d’acteurs aux desseins divers.

Les chasseurs du parc de Yankari, qui arborent des amulettes vaudoues, s’emparent des animaux et détruisent les infrastructures comme certains ponts pour empêcher les rangers de patrouiller.

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Les bergers, eux, font paître leurs vaches, leurs montons et leurs ânes à l’intérieur de la réserve, au détriment des éléphants et des antilopes, qui se retrouvent sans vivres.

Et une nouvelle menace pèse désormais sur Yankari : celle de Boko Haram. Les conservateurs du parc redoutent que le groupe islamiste, très affaibli par une offensive militaire de grande envergure, cherche à utiliser l’épaisse végétation du parc comme base arrière pour préparer des attentats dans la région.

Le ranger Hashimu Abdullahi montre comment les bergers nomades Fulani utilisent leurs arc et flèches pour protéger leur troupeau, le 6 mars 2016 dans le parc de Yankari. © Stefan Heunis/AFP

Le ranger Hashimu Abdullahi montre comment les bergers nomades Fulani utilisent leurs arc et flèches pour protéger leur troupeau, le 6 mars 2016 dans le parc de Yankari. © Stefan Heunis/AFP

Haladu Idi, un des responsables des rangers de Yankari, a été prévenu par l’un de ses amis policiers, posté à Maiduguri, capitale de l’État de Borno et fief historique de Boko Haram, que les islamistes sont peut-être même déjà en chemin vers la réserve : « Il m’a appelé et m’a dit de faire attention à eux (…) Il m’a dit que si on les voyait, il fallait les éliminer », a rapporté M. Idi à l’AFP.

Le groupe islamiste, qui a prêté allégeance à l’organisation État Islamique (EI) en 2015, est déjà installé depuis des années dans la forêt de Sambisa, un autre parc de l’ère coloniale, dans l’État de Borno.

La crainte désormais : que Boko Haram se lance dans le braconnage d’éléphants pour financer son insurrection, comme l’ont fait l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) en Ouganda ou la milice janjawid au Soudan.

« Il y a un important marché pour l’ivoire dans le pays, à Lagos et à Abuja, et cela représente une menace pour les éléphants de Yankari », estime Andrew Dunn, directeur de la Société pour la Conservation de la vie sauvage (WCS) au Nigeria.

« La protection des éléphants de Yankari est essentielle si on veut éviter que leur ivoire ne devienne une source de revenus pour Boko Haram », a-t-il ajouté.

« Petite victoire »

Pour l’instant, Boko Haram reste une menace certes inquiétante mais encore lointaine.

La majorité des 141 arrestations réalisées en 2015 concerne des « brouteurs », ces éleveurs qui viennent avec leurs troupeaux de contrées lointaines, parfois même du Niger, et rémunèrent des chefs de village pour avoir accès à l’intérieur du parc. Des chasseurs ont aussi été arrêtés.

Dans cette région aride, la préservation de la faune et de la flore passe souvent au second plan.

« Beaucoup de Nigérians ont faim et quand on a faim, la première chose dont on a besoin est la nourriture », résume Nachamada Geoffrey, le représentant de la WCS à Yankari.

Malgré tout, les rangers reconnaissent avoir réussi à reprendre le contrôle d’une partie du territoire. Et l’équipe de M. Geoffrey n’a trouvé que deux carcasses d’éléphants l’année dernière, contre 10 par an les années précédentes. Une petite victoire.

« C’est vraiment encourageant et très excitant, pour moi, de voir que ces éléphants sont toujours là et de les voir en paix et à leur aise la plupart du temps », confie M. Geoffrey.

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