Génocide : la défense de deux ex-bourgmestres rwandais dénonce un procès en France inéquitable

Les noms d’oiseaux ont fusé mardi, dès le premier jour du procès de deux anciens bourgmestres rwandais aux assises de Paris, qui doit durer huit semaines. Ils sont accusés de « crimes contre l’humanité » et « génocide », en lien avec le massacre de centaines voire de milliers de Tutsis en avril 1994 à Kabarondo, dans l’est du Rwanda.

Un croquis d’audience représente Tito Barahira (à gauche) et Octavien Ngenzi, deux maires rwandais accusés d’avoir orchestré des « exécutions massives » en 1994, à la barre à Paris le 10 mai 2016. © AFP

Un croquis d’audience représente Tito Barahira (à gauche) et Octavien Ngenzi, deux maires rwandais accusés d’avoir orchestré des « exécutions massives » en 1994, à la barre à Paris le 10 mai 2016. © AFP

Publié le 11 mai 2016 Lecture : 3 minutes.

Veste tabac, moustache et cheveux grisonnants, Tito Barahira, 65 ans en juin et qui doit être dialysé trois fois par semaines, est assis sur un fauteuil rembourré bleu. Plus confortable que le banc en bois où se trouve Octavien Ngenzi, 58 ans, chemise sombre et fines lunettes. Le premier s’est dit « retraité », le second « ingénieur forestier ».

Octavien Ngenzi et Tito Barahira, calmes et attentifs, ont assuré, dès l’ouverture du procès, qu’ils répondraient aux questions de la cour. Mais, une fois les jurés sélectionnés, les avocats des accusés ont lancé les hostilités en critiquant les faibles ressources accordées à la défense, qui n’a pas les moyens de faire venir tous ses témoins du Rwanda.

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« C’est le combat du tigre contre l’âne ficelé », a lancé Françoise Mathe, l’avocate d’Octavien Ngenzi. « Vous avez devant vous une défense démunie », a renchéri Philippe Meilhac, le conseil de Tito Barahira. Ils ont demandé, en vain, une interruption du procès pour permettre « un transport sur les lieux » et « la remise en liberté » de leurs clients.

« Faire entendre la voix des morts »

Réplique immédiate de la défense : pourquoi ces demandes « sinon pour inoculer dans vos esprits le poison du doute », alors que ce procès doit « faire entendre la voix des morts, ceux qui ont été découpés à la machette, brûlés vifs », a mis en garde Michel Laval, l’avocat du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), association à l’origine de la plupart des enquêtes sur le génocide rwandais en France.

Me Mathe a ensuite tenté, à nouveau en vain, de faire écarter deux témoins sous X. Puis un échange musclé sur les prismes idéologiques supposés des universitaires français sur le Rwanda a occupé la cour une bonne demi-heure autour de l’absence du chercheur André Guichaoua. Ce dernier a signifié son refus de venir témoigner pour la défense, qui sollicitait son expertise – largement reconnue comme indépendante – « pour rééquilibrer des prestations d’experts considérées comme partiales ».

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Un huis-clos provincial

Ce procès est le second à se tenir en France pour des massacres au Rwanda, après la condamnation en 2014 de l’ex-capitaine Pascal Simbikangwa à 25 ans de réclusion. Et l’attente est immense.

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Plus que le procès Simbikangwa, qui avait pour théâtre la capitale et les cercles du pouvoir, celui des bourgmestres promet de plonger dans un huis clos provincial où tout s’est déroulé en moins de quinze jours, entre voisins. « Un génocide plus concret », a résumé Alain Gauthier, président du CPCR, avec « des victimes venues de Kabarondo ».

Des donneurs d’ordre ?

Les deux hommes sont accusés de « crimes contre l’humanité » et « génocide », pour « une pratique massive et systématique d’exécutions sommaires » en application d’un « plan concerté tendant à la destruction » du groupe ethnique tutsi. Plus précisément, on leur reproche d’avoir participé à l’organisation de massacres à Kabarondo, dans l’est du Rwanda.

Le matin du 13 avril 1994, des témoins affirment ainsi avoir vu Barahira, maire de 1977 à 1986, armé d’une lance à une réunion sur un terrain de football où il aurait appelé à « travailler ». Comme Ngenzi, alors bourgmestre, il est décrit comme un « donneur d’ordre ». Peu après, des centaines de réfugiés arrivés les jours précédents ont été regroupés à l’extérieur de l’église : en quelques heures, des centaines furent pourchassés et tués à coups de machettes, gourdins ou grenades, selon des survivants.

Détenu depuis 2010, Ngenzi avait été retrouvé à Mayotte. Barahira a été interpellé en 2013 à Toulouse. Condamnés en leur absence à la prison à vie par des tribunaux populaires rwandais en 2009, ils encourent la même peine en France.

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