Ce jour-là : Léopold Sédar Senghor mettait un terme au « mai 68 sénégalais »

En mai 1968 le Sénégal est touché par des mouvements estudiantins similaires à ceux de Paris, dont la virulence conduit le président Senghor à se réfugier dans une base militaire française. Ces journées de contestation, violemment réprimées, se solderont par des accords entre le gouvernement, le patronat et les travailleurs, sans que les étudiants y soient conviés.

Léopold Sédar Senghor, président de la République du Sénégal, ici en 1960. © Studio Kahia / Archives Jeune Afrique

Léopold Sédar Senghor, président de la République du Sénégal, ici en 1960. © Studio Kahia / Archives Jeune Afrique

Publié le 13 juin 2016 Lecture : 3 minutes.

En ce mois de mai 1968 à Dakar, une rumeur court dans l’université : le président-poète Léopold Sédar Senghor se déplacerait dans les rues de la capitale, dissimulé dans une ambulance banalisée afin de se rendre compte personnellement de l’atmosphère qui y règne… En effet, le Sénégal est traversé par des troubles depuis que les étudiants de Dakar ont décidé d’occuper l’université le 27 mai.

L’Université de Dakar, vivier contestataire

Créée en 1957, l’Université de Dakar est la toute première de l’empire colonial français. En 1968, elle accueille 23 nationalités différentes dont 27 % de Français, 32% de Sénégalais, 38 % d’Africains francophones et 3 % d’autres nationalités. Pétris d’idéologies de gauche, sympathisants voire militants de partis clandestins tel que le Parti africain de l’indépendance, les étudiants de Dakar sont déterminés à lutter pour une indépendance dont le processus n’est à leurs yeux pas encore arrivé à son terme.

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Le point de départ de la grogne étudiante est d’abord économique. Les étudiants contestent la récente réforme de fractionnement et de diminution des bourses. Mais très vite, la contestation s’oriente vers une dénonciation virulente de l’ex-puissance coloniale. En effet, huit années après l’indépendance, la présence française est toujours importante tant au sein de l’université que dans les administrations sénégalaises.

Le feu aux poudres

Très vite, les autorités universitaires demandent à l’Union des étudiants sénégalais (syndicat étudiant) de rédiger pour le 29 mai à 8 heures une déclaration certifiant que la grève et l’occupation étudiante ne visent en aucun cas à renverser le gouvernement de Senghor. Les étudiants donnent une fin de non recevoir à cette injonction. Dans la matinée du 29 mai les gardes mobiles, qui avaient déjà encerclé le campus universitaire, donnent l’assaut à coup de grenades lacrymogènes. Les quelques cocktails molotov lancés par des étudiants ne feront pas le poids… On dénombrera officiellement 1 mort et 69 blessés parmi les insurgés.

Les directives de Senghor sont expéditives : tous les étudiants sénégalais sont internés dans le camp militaire d’Archinard et les autres nationalités sont rapatriées dans leur pays d’origine.

De la révolte estudiantine à la paralysie du pays

La brutalité de la répression sur le campus de l’Université provoque l’émoi du peuple sénégalais. Le 30 mai, l’Union nationale des travailleurs sénégalais déclenche une grève générale et illimitée dans tout le pays. Le soir même, le père de la négritude s’adresse à la nation. Il délivre un discours ferme, proclame l’état d’urgence, fustige des « puissances rouges » sans les nommer, accuse les étudiants sénégalais d’imiter leurs camarades du Quartier latin, confie le maintien de l’ordre aux soldats et appelle à l’aide l’armée française qui se charge de verrouiller les points stratégiques dakarois.

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Le lendemain matin, la tension est à son comble dans la capitale. Plus d’une centaine de syndicalistes sont arrêtés à la bourse du travail alors que la manifestation prévue ne s’est pas encore élancée. Barricades, jets de pierres et cocktails molotov font leur apparition ; 4 à 5000 personnes participent à l’émeute (pour une ville de 500 000 habitants à l’époque, le chiffre est significatif). Les manifestants tentent de marcher vers la présidence, brisant quelques vitrines et incendiant des voitures sur leur passage. Encore une fois la répression est violente, des grenades lacrymogènes sont lâchées depuis des hélicoptères et on compte deux morts et des centaines de blessés.

Après d’intenses journées de crise, Senghor ouvre des négociations

Prudent, Senghor a quitté le Palais de la République et élu domicile dans la base militaire française de Ouakam. La volte-face du président est rapide. Le 1er juin il se résout à entamer des négociations qui se soldent par la libération de tous les prisonniers le 9 juin. En fin tacticien, il divise le mouvement en « leurrant les travailleurs et en matant les étudiants ». Le 13 juin 1968 des accords tri-partites sont signés entre le gouvernement, le patronat et les syndicats. Ces engagements sociaux revalorisent notamment le salaire minimum de 15 %  et abaissent le train de vie des membres du gouvernement.

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Les discussions avec les étudiants ne s’ouvrent quant à elles que le 6 septembre, et ne se traduisent par aucune retombée positive pour les intéressés. L’absence de réforme en leur faveur a pour effet d’alimenter un vivier de groupes d’extrême-gauche à la tête desquels on retrouve notamment la figure d’Omar Blondin Diop

Retrouvez ci-dessous les quatre pages de l’article paru dans Jeune Afrique n°388-389 du 10 au 23 juin 1968. N’hésitez pas à agrandir la fenêtre de lecture en cliquant sur le bouton en bas à droite pour plus de confort.

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