Justice : un génocidaire rwandais vient dénoncer son donneur d’ordre à Paris

Paul Ngiribanzi ressemble à des centaines d’autres habitants de Kabarondo, commune de l’est du Rwanda. C’est un paysan rwandais sans histoires… du moins jusqu’au génocide contre les Tutsis en 1994. Cette année là, il est devenu un tueur discipliné qui veut, aujourd’hui, désigner un responsable à la cour d’assises de Paris

Croquis d’audience le 10 mai 2016 montrant Tito Barahira et Octavien Ngenzi, aux assises de Paris. © AFP/Archives

Croquis d’audience le 10 mai 2016 montrant Tito Barahira et Octavien Ngenzi, aux assises de Paris. © AFP/Archives

Publié le 14 juin 2016 Lecture : 3 minutes.

En avril 1994, Paul Ngiribanzi a 22 ans quand il suit les groupes de villageois pour traquer les Tutsis sur les collines, au village, au centre de santé. Déjà condamné au Rwanda à neuf ans de prison pour sa participation au génocide, il s’est rendu à Paris le 14 juin pour témoigner contre son ancien bourgmestre, Octavien Ngenzi, jugé depuis mi-mai pour crime contre l’humanité et génocide, aux côtés de son prédécesseur à la tête de la commune.

 Le paysan l’accuse d’appel au meurtre

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Deux jours après l’assassinat du président hutu Juvénal Habyarimana, qui fut le signal déclencheur du génocide le 6 avril 1994, Paul Ngiribanzi est à Rubira, une commune voisine de Kabarondo, quand de jeunes extrémistes abattent les chèvres d’un Tutsi. Il assure avoir entendu le bourgmestre demander aux voleurs pourquoi ils mangeaient les chèvres alors que les propriétaires étaient « encore vivants ».

Un appel au meurtre ?, suggère l’avocat général

« Un appel au meurtre ? », suggère l’avocat général. « C’est ça », répond le témoin. Après le massacre de milliers de réfugiés à l’église le 13 avril, il affirme avoir « vu Ngenzi au centre de santé pendant qu’on achevait les blessés », probablement le 16 avril. « Nous devions suivre les instructions qu’il donnait, il avait la compétence », répète-t-il.

Le bilan est lourd à assumer pour ce paysan qui était du côté des tueurs dès le début, dans son secteur puis à Kabarondo. Il a participé à l’enfouissement des corps des victimes de l’église, dans une fosse creusée tout près de la paroisse. « Ceux qui respiraient encore et n’étaient pas capables de s’extraire de la fosse, ils étaient laissés là ou achevés. À coup de gourdin ou de machette ».

À la barre, Paul Ngiribanzi se tient toujours aussi droit, fluet dans son grand costume, mais la voix se fait lasse, répugnant à répéter que oui, les enfants aussi ont été achevés. C’est le tour de la défense. L’avocate de Ngenzi reprend les faits un par un. Où étiez-vous exactement, qu’avez-vous vous-même entendu ou vu, quelle distance entre la fosse, l’église et le bureau de la commune…

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Un témoignage mis à mal par la défense de Ngenzi

Acculé, le témoin reconnaît que Ngenzi n’a jamais directement appelé au meurtre des propriétaires tutsis de bétail. Quelle phrase exacte avez-vous entendue? « J’ai entendu : ‘Pourquoi vous mangez ces chèvres alors que les propriétaires sont encore là’ », dit-il, puis il ajoute que « ceux qui étaient là l’ont interprété comme un appel à tuer ».

Rechercher les Tutsi, c’est tout

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Mais, poursuit Me Françoise Mathe, « Ngenzi n’a pas fait libérer de voleur, n’a pas encouragé à manger la viande, il a au contraire pris les chèvres dans sa voiture… Et vous, que faisiez-vous? ».

« Depuis cette date du 8 avril, personne n’a vaqué à ses occupations. Ce qui est resté, c’est rechercher les Tutsis, c’est tout », souffle le témoin.

L’avocate ne le lâche pas. « Vous dites avoir vu Ngenzi au centre de santé où on achevait les blessés. Comment pouvez-vous dire cela alors que vous-même étiez en train d’enterrer les morts de l’église ? ».

À notre arrivée, ils étaient déjà tous morts

Il explique être venu « après l’enterrement » à la mairie pour y toucher un peu d’argent pour acheter « des bières ». C’est là qu’un certain Bisimungu serait venu dire qu’il « restait des blessés à achever au centre de santé ». « Mais, ajoute-t-il, à notre arrivée, ils étaient déjà tous morts ».

« Comment pouvez-vous dire que Ngenzi y a assisté alors? », relance Me Mathe. Silence du témoin. « Répondez-moi simplement, monsieur : où avez-vous vu Ngenzi assister à un massacre sans rien dire ? Le témoin lâche : « Quand tu es un dirigeant et que tu ne fais rien, c’est que tu as abandonné les gens à leur sort ».

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