Jean-Hervé Jezequel : « Augmenter les effectifs de la Minusma n’aura pas nécessairement d’impact » sur la sécurité au Mali

Le Conseil de sécurité de l’ONU s’apprête à renouveler, mercredi 29 juin, le mandat de la Minusma. Quels sont les changements attendus pour la mission onusienne au Mali ? Éléments de réponse avec Jean-Hervé Jezequel, directeur adjoint du projet Afrique de l’Ouest à l’International crisis group (ICG).

Des troupes africaines de la Minusma avec un officier français, le 1e juillet 2013 à Bamako. © Harouna Traore/AP/SIPA

Des troupes africaines de la Minusma avec un officier français, le 1e juillet 2013 à Bamako. © Harouna Traore/AP/SIPA

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Publié le 28 juin 2016 Lecture : 5 minutes.

Jeune Afrique : Quels devraient être les principaux changements introduits dans le nouveau mandat de la Minusma qui sera adopté par le Conseil de sécurité des Nations unies le 29 juin ?

Jean-Hervé Jezequel : La Minusma manque d’efficacité et d’impact sur le terrain. La situation au Mali n’est pas encore catastrophique, mais elle se dégrade dangereusement et les zones de violences s’étendent. Il y a deux options pour la Minusma et son mandat.

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La première : renforcer la présence militaire et clarifier les règles d’engagement, en faisant le pari qu’avec plus de force, elle pourrait contenir sinon réduire les nombreuses poches de violence armée dans le pays. La seconde, non exclusive de la première, consiste à se focaliser sur un autre volet de son mandat : le rétablissement de l’autorité publique sur l’ensemble du territoire malien. C’est une option qui n’est actuellement pas assez explorée, ni assez soutenue, mais c’est aussi la plus compliquée et celle qui demande plus de temps.

Ce mandat sera-t-il plus « offensif » et « robuste », comme le réclament de nombreux acteurs impliqués dans la crise malienne ?

Beaucoup affirment que ce mandat est déjà suffisamment robuste. C’est davantage sa mise en oeuvre qui est compliquée. Je ne suis pas persuadé qu’il faille « muscler » le mandat. Il faut s’interroger sur la volonté politique des États qui fournissent des contingents à la Minusma et sur la capacité de ces contingents – je ne pense pas nécessairement aux seuls contingents africains.

Il ne faut non plus oublier qu’au début, la Minusma reposait sur l’idée que la lutte antiterroriste allait être confiée à la force Serval. Mais aujourd’hui, la force Barkhane, qui a remplacé Serval, est moins concentrée au Mali et plus déployée sur l’espace régional. C’est aussi cela qui pose problème à la Minusma : le partage des tâches n’est plus aussi évident qu’auparavant.

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Que changerait l’arrivée des 2 500 militaires et policiers supplémentaires annoncés en renfort dans ce nouveau mandat ?

Tout dépend de la manière dont seront utilisées ces troupes. Si ce sont des troupes aguerries, dotées d’un état-major désireux de remplir les missions de sécurisation qui lui sont attribuées, il peut y avoir un effet positif. Mais d’un autre côté, si c’est pour créer une sorte de nouveau camp retranché à l’image de ceux de Gao ou Kidal, depuis lesquels la Minusma rayonne très peu parce qu’elle est surtout préoccupée par la défense de ses installations, je pense qu’on ferait fausse route.

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Augmenter les effectifs n’aura pas nécessairement d’impact. Nous pourrions aussi dire que 2 500 hommes en plus représentent 2 500 cibles en plus. Il faudrait que des leçons soient tirées du fait que, pour l’instant, la force de la Minusma parait repliée sur elle-même et que ce n’est pas comme ça qu’elle assure sa mission.

Des renforts matériels sont aussi évoqués avec ce nouveau mandat. Quels sont les principaux équipements qui manquent à la Minusma ?

Surtout des engins blindés et des moyens aériens. Seront-ils donnés ? Nous ne le savons pas encore. Si la Minusma reste aussi repliée sur elle-même, c’est aussi parce que c’est une mission très dangereuse et la plus meurtrière pour les Casques bleus.

Quand elle essaie de remplir son mandat de protection et de faire des patrouilles, elle s’expose parce qu’elle n’a pas le matériel adapté, notamment en blindés et en moyens aériens d’intervention rapide qui peuvent apporter un soutien de feu en cas d’éloignement de la base. L’aide matérielle est donc la bienvenue pour la protection des Casques bleus. Cela parait presque plus important que l’augmentation des effectifs.

Des efforts devraient-ils aussi être faits sur les moyens de renseignement de la mission ?

Des efforts sont déjà faits. C’est une des missions de maintien de la paix qui a le plus développé cette composante, notamment à travers son unité Asifu (All sources information fusion unit, l’unité de renseignement de la Minusma, NDLR). Ils ont des moyens d’écoute et de bonnes capacités techniques, mais il semble que leur renseignement humain n’est pas aussi performant.

L’insécurité s’est largement accrue dans le centre du Mali depuis un an. La Minusma, surtout présente dans le Nord, va-t-elle déployer ses forces dans cette zone ?

Oui, il y a le projet de renforcer la présence de la Minusma à Mopti et Sévaré. Le risque, c’est de créer une sorte de nouveaux camps retranchés, où la Minusma déploierait des effectifs sans être en capacité de rayonner dans la région parce que les routes sont peu sûres.

Fin mai, la mission a pour la première fois subi des pertes en vies humaines dans le Centre avec la mort de cinq Casques bleus du contingent togolais, dans une embuscade entre Sévaré et Ténenkou. Il y a un vrai problème de sécurité dans cette région, mais les groupes armés n’y sont pas aussi bien armés et structurés que dans le Nord. Il s’agit donc moins d’un problème militaire que d’un problème d’ordre public et de légitimité contestée de l’État.

Comment le résoudre ?  

La région du centre pourrait être une zone où la Minusma et d’autres partenaires du Mali pourraient aider l’État à rétablir l’ordre public et a reconstruire des services pour les populations. Pas simplement avec des forces militaires, mais avec des forces de gendarmerie ou de police  qui pourraient, pourquoi pas, recruter parmi les populations locales. Cela pourrait contribuer à leur réconciliation avec les représentants des forces de l’ordre. Il faudrait également restaurer une justice en souffrance en soutenant les juges et en développant le recrutement d’auxiliaires juridiques pour rendre des services concrets aux populations. Évidemment, de telles mesures demandent plus de temps, mais elles porteraient aussi beaucoup plus de fruits qu’un déploiement de forces retranchées dans une ville.

Les rapports entre la Minusma et les autorités maliennes ont toujours été délicats. La relation s’est-elle améliorée avec l’arrivée de Mahamat Saleh Annadif ?

J’ai le sentiment qu’elles sont moins tendues qu’elles ne l’étaient il y a deux ans. Maintenant, il y a un toujours un problème : beaucoup de gens dans la communauté internationale, et pas uniquement à la Minusma, ont l’impression qu’il y a un manque de volonté politique des autorités maliennes dans l’application de l’accord de paix. Cela reste une source de tension récurrente entre le gouvernement, qui a l’impression qu’on lui a imposé assez de choses ces dernières années, et les partenaires internationaux, dont la Minusma, qui estiment que malgré toute l’aide apportée, les autorités maliennes ne montrent pas de bonne volonté pour appliquer l’accord de paix.

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