Ce jour-là : le 8 juillet 1991, les Togolais placent leurs espoirs dans une Conférence nationale

À la fin des années 80, le vent de changement qui souffle sur l’Afrique de l’Ouest francophone touche également le Togo. L’heure est à la démocratisation et au multipartisme. Sous la pression populaire, le régime à parti unique d’Eyadéma Gnassingbé ouvre la Conférence nationale togolaise, le 8 juillet 1991.

Étienne Eyadéma Gnassingbé, président du Togo de 1967 à 2005. © Agostino Pacciani / Jeune Afrique

Étienne Eyadéma Gnassingbé, président du Togo de 1967 à 2005. © Agostino Pacciani / Jeune Afrique

Publié le 7 juillet 2016 Lecture : 5 minutes.

Le 5 octobre 1990 au palais de justice de Lomé, deux militants comparaissent. Le crime de Hilaire Dossouvi Logo et de Tino Doglo Agbélengo ? Avoir distribué des tracts séditieux envers le gouvernement. La coupe est pleine pour les nombreux Togolais venus soutenir les deux hommes : lassés par un régime autoritaire en place depuis de longues années, ils font trembler les murs de la justice à grand coup de cris et de slogans : « À bas le RPT » (Rassemblement du peuple togolais, le parti unique au pouvoir d’Eyadéma Gnassingbé) , « Oui au multipartisme », « Oui à la démocratie », entend-on ce jour-là.

Les deux prévenus ont beau être acquittés, la répression à laquelle se livre la police ne fait qu’attiser la vindicte populaire. La manifestation pacifique dégénère rapidement en émeute dans plusieurs quartiers de Lomé. On brûle des portraits du grand timonier et on saccage des lieux emblématiques du pouvoir.

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La journée est sanglante ; la nuit venue on dénombre trois morts et plusieurs blessés. Cette explosion de violence a pris tout le monde de court, autant à l’extérieur qu’à l’intérieur du pays. Le Togo, dirigé d’une main de fer depuis 23 ans par Eyadéma Gnassingbé, semble mûr pour le changement.

Une économie exsangue, un régime autoritaire

Le contexte est difficile pour le Togo en cette fin de décennie. Économiquement, le pays est exsangue et fait partie du cercle très privé des pays africains assujettis à cinq plans d’ajustements structurels demandés par les instances financières internationales. Pour ne rien arranger, l’aide au développement en provenance de France risque de se tarir depuis que François Mitterrand a fait comprendre au travers du discours de la Baule que, désormais, le versement des aides serait fonction de la capacité des pays bénéficiaires à respecter un certain nombre de principes démocratiques.

L’exemple du Bénin

Le Bénin vient de donner un exemple de transition démocratique à l’Afrique de l’Ouest : lors d’une Conférence nationale tenue en février 1990, il n’a pas fallu plus d’une dizaine de jours pour que le régime marxiste-léniniste de Mathieu Kérékou initie une profonde mutation politique.

12 juin 1991 : la société civile et le pouvoir togolais signent un accord

Dès lors, l’opposition togolaise n’aura de cesse de demander la tenue d’une Conférence nationale sur le modèle béninois, afin de tourner la page de l’ère Eyadéma Gnassingbé. Après des mois de grèves et de manifestations ponctuées de nombreuses morts au sein de la population, un accord est signé le 12 juin, avec le concours de l’ambassadeur de France, entre le président et l’opposition. Celui-ci semble ouvrir la voie à la tenue de la Conférence nationale tant désirée. L’accord stipule sans ambiguïté que « les orientations et décisions de la Conférence nationale ne seront pas remises en cause par le chef de l’État ».

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8 juillet 1991 : La Conférence nationale togolaise ouvre ses portes

Le 8 juillet 1991 s’ouvre dans la salle Fazao de l’hôtel du 2-Février à Lomé la tant attendue Conférence nationale. Eyadéma Gnassingbé tient un discours inaugural particulièrement dur, réitérant que le principe de la tenue d’une Conférence nationale constitue une forme de « coup d’État civil ». Après des mois de tergiversations, le grand timonier a accepté le principe d’une réunion des forces vives de la nation, sans toutefois reconnaître à cette dernière le pouvoir de le destituer.

Suivant un protocole bien rodé, un bureau de séance (le Praesidium) est élu le 13 juillet, avec à sa tête Monseigneur Kpodzro Fanoko Philippe. Tout comme lors de la Conférence nationale béninoise et la plupart des Conférences africaines qui auront lieu par la suite, c’est un ecclésiastique qui est chargé de la très délicate mission de diriger les travaux.

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Le 15 juillet, le président du Praesidium prononce un discours remarqué dans lequel il paraphrase le comte de Mirabeau lors des États généraux français de 1789 : « Nous sommes ici par la volonté du peuple, et nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes ». Triste prémonition.

16 juillet 1991 : le tournant

Le 16 juillet 1991, les membres de la Conférence, en s’appuyant sur l’une des closes majeures de l’accord du 12 juin 1991, qui empêche toute remise en cause des décisions de la Conférence par le président, décident de proclamer la souveraineté de la Conférence nationale. Pour Eyadéma Gnassingbé, c’est l’affront de trop. Les représentants des FAT (les forces armées togolaises) et les membres du gouvernement, qui jusqu’alors participaient aux travaux de la Conférence, quittent la salle.

Alors que les travaux de la Conférence avancent sur fond de dénonciation des multiples atteintes aux droits de l’homme causées par le régime du grand timonier togolais, ce dernier s’emploie à verrouiller militairement et méthodiquement le pays. Les assises togolaises se poursuivent dans une atmosphère délétère, alimentée par la répression qui est en train d’être préparée.

Malgré tout, la Conférence nationale se clôt le 28 août 1991 par l’élection de Joseph Koffigoh au poste de Premier ministre de transition par les représentants réunis. Par ce choix, ils privent Eyadéma Gnassingbé de ses pouvoirs régaliens, ne lui laissant qu’un rôle honorifique.

28 novembre 1991 : l’espoir démocratique tué dans l’œuf

Alors que le processus de transition démocratique est fébrilement enclenché au travers de la création d’institutions provisoire, tel que le HCR (Haut conseil de la République) qui a pour principale mission de rédiger une nouvelle Constitution, la troupe togolaise prend le parti du grand timonier qui veut reprendre le pouvoir dont il a été dépossédé.

Dans un climat de quasi guerre civile, Eyadéma Gnassingbé réussit à renverser le cours de l’histoire en faisant encercler la résidence de Joseph Koffigoh. Enlevé, ce dernier se voit intimer l’ordre d’ouvrir son nouveau gouvernement à des membres du RPT (ancien parti unique). Le 28 novembre 1991, il annonce la fin de la transition à l’issue d’un imbroglio kafkaïen.

27 septembre 1992 : au Togo rien n’a changé

Le Togo plonge dans une grave crise politique. Les partisans de la démocratisation qui se sont vu usurper leur espoirs s’opposent aux partisans du président inamovible. Preuve de la férocité de la reprise en main du pouvoir par Eyadéma Gnassingbé, le Bénin et le Ghana accueillent chacun environ 100 000 déplacés lors de la crise. La situation est définitivement reprise en main par le grand timonier à l’issue d’une réécriture de la Constitution qui lui confère tous les pouvoir le 27 septembre 1992. En août 1993, Eyadéma est réélu président de la République avec 94,6% des suffrages à l’issue d’une élection boycottée par l’opposition.

Retrouvez ci-dessous l’article de Gilbert Lam Kaboré publié dans le n°1594 de Jeune Afrique du 17 au 23 juillet 1991. N’hésitez pas à agrandir la fenêtre pour un plus grand confort de lecture en cliquant sur le bouton en bas à droite.

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