Rwanda : verdict attendu à Paris dans le procès pour génocide de Tito Barahira et Octavien Ngenzi
La cour d’assises de Paris doit rendre son verdict mercredi dans le procès de Tito Barahira et Octavien Ngenzi, deux anciens bourgmestres rwandais accusés d’avoir participé au génocide rwandais dans leur village de Kabarondo en avril 1994.
L’avocat général Philippe Courroye a requis contre les bourgmestres la prison à vie, désignant les deux hommes, qui se sont succédé à la tête de Kabarondo, comme des rouages essentiels du génocide dans leur commune. Selon lui, les deux hommes étaient à la fois des « superviseurs » et des « bourreaux à l’œuvre », des « valets des planificateurs du génocide » qui ont « manqué leur rendez-vous avec l’humanité, avec le pardon » en niant jusqu’au bout.
L’accusation a décrit les deux bourgmestres comme des « bourreaux à l’œuvre ».
Tout au long de ce procès pour l’histoire, dont le verdict est attendu dans la journée, mercredi 6 juillet, Tito Barahira, 65 ans, et Octavien Ngenzi, 58 ans, ont quant à eux raconté leur impuissance face à un chaos qu’ils n’avaient pas vu venir, dans leur commune rurale où Tutsis et Hutus vivaient « bien » ensemble. Vingt-deux ans après les faits, ils ont plaidé le « doute raisonnable » qui doit profiter aux accusés, face à une chronologie chancelante et des témoins qui se contredisent.
L’accusation a au contraire invité les jurés à voir « la cohérence d’ensemble » qui se dégage du récit des survivants, pour condamner deux Rwandais arrêtés sur le sol français et jugés en vertu de la compétence universelle des juridictions françaises.
Un procès pour l’histoire
C’est la deuxième fois que la justice française se prononce dans un dossier lié au génocide, après la condamnation en 2014 de l’ancien capitaine de l’armée Pascal Simbikangwa à 25 ans de réclusion criminelle. Et ce procès aura été hors norme : des débats filmés, des audiences souvent interminables, un changement de président en cours de route, une centaine de témoins, plus de 30 tonnes de procédure.
En plus de huit semaines de débats s’est dévoilé un génocide entre voisins, au village, sur les collines où l’on participait autrefois ensemble aux travaux communautaires. Un crime de proximité loin des centres du pouvoir, contrairement au procès de Simbikangwa, un homme influent de la capitale.
Une centaine de témoins, plus de 30 tonnes de procédure
Le contexte était également différent : alors qu’en 2014 l’heure était au rapprochement entre Kigali et Paris après trois ans de rupture des relations diplomatiques (2006-2009), le vent a tourné à nouveau après un non-lieu en octobre 2015 pour le prêtre Wenceslas Munyeshyaka, le premier Rwandais visé par une plainte en France.
« Barahira, c’est un opérationnel, un officiant de la machette »
À Kabarondo, le massacre le plus effroyable a eu lieu à l’église, le 13 avril 1994, dans cette commune rurale où des milliers de paysans tutsis s’étaient réfugiés, espérant gagner un sanctuaire, comme l’avaient été les lieux de culte lors des pogroms précédents depuis les années 1960.
Mais massacres et exécutions sommaires vont s’enchaîner. Plus de 2 000 en un seul jour à l’église, selon son curé, Oreste Incimatata. Plus de sept heures d’un chaos de poudre et de sang, les lames silencieuses des machettes succédant au fracas des grenades et des mortiers postés dans les caféiers. L’abbé se souvient s’être habitué « à voir les hommes tomber », et se remémore des « bébés tétant le sein de leur mère morte ».
L’abbé se souvient s’être habitué « à voir les hommes tomber »
Pour l’accusation, les deux bourgmestres jugés à Paris étaient au cœur de la machine génocidaire, dans un État centralisé dont « la matrice politique est ségrégationniste ». Elle a décrit un Octavien Ngenzi « opportuniste » et un Tito Barahira « granitique », qui « a nié l’existence du génocide ». « Ngenzi est le bourgmestre, le dirigeant » qui n’a « jamais été dépassé ». « Barahira, c’est un opérationnel, un officiant de la machette ».
Verdict attendu dans la journée
La défense a de son côté tenté d’adoucir l’image d’un Barahira sanguin, vu par de nombreux témoins parmi les tueurs, en chef, une lance à la main, évoquant « un homme au bout du chemin », dialysé trois fois par semaine.
Quant à Ngenzi, la question sera celle du prix de l’impuissance pour son avocate, qui souligne que s’il a fallu faire intervenir l’armée et la gendarmerie en plus des miliciens locaux, « c’est que le bourgmestre ne faisait pas le job. À Kabarondo, le génocide traînait ».
La parole sera donnée mercredi matin une dernière fois aux accusés, le verdict est attendu dans la journée.
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