Trump, Clinton et l’Afrique

Autant le dire d’emblée : s’il est un point sur lequel concordent les campagnes électorales de Hillary Clinton et de Donald Trump pour la présidentielle américaine du 8 novembre, c’est bien l’inexistence du moindre enjeu africain.

Hillary Clinton avec la mère de Michael Brown, en décembre 2015. © Jeff Roberson/AP/SIPA

Hillary Clinton avec la mère de Michael Brown, en décembre 2015. © Jeff Roberson/AP/SIPA

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 8 août 2016 Lecture : 3 minutes.

La candidate démocrate, qui n’avait consacré qu’une vingtaine de pages au continent sur les quelque sept cents que comptent ses Mémoires d’ex-secrétaire d’État, n’y a toujours prêté qu’une attention très épisodique. Quant à son rival républicain, l’Afrique n’est guère plus à ses yeux qu’un terrain de safaris – exercice auquel ses deux fils se livrent d’ailleurs régulièrement, à grand renfort de trophées de chasse exhibés sur Facebook.

Une indifférence ordinaire, qui n’empêche évidemment pas les Africains de se passionner pour cet événement majeur, dont ils pensent, à juste titre, que le résultat les concerne aussi.

Ce qui saute aux yeux, c’est avant tout son abyssale méconnaissance de la politique internationale et sa fascination pour les régimes autocratiques

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Donald Trump : les réseaux sociaux africains lui attribuent à l’envi des déclarations toutes plus racistes les unes que les autres, pour la plupart – il faut bien le reconnaître – invérifiables, voire apocryphes, mais, pour quelques-unes, bien réelles. Histoire d’être en phase avec un électorat qui a tendance à voir en chaque Africain-Américain un délinquant en puissance et en tout musulman un terroriste qui s’ignore, le milliardaire démagogue et populiste multiplie, il est vrai, les dérapages nauséeux.

Reste que, au-delà de ses saillies de bateleur de foire, ce qui saute aux yeux, c’est avant tout son abyssale méconnaissance de la politique internationale et sa fascination pour les régimes autocratiques. Dans son équipe de campagne ne figure d’ailleurs aucun spécialiste des affaires étrangères, encore moins de l’Afrique, et l’unique Africaine-Américaine de son entourage est une obscure starlette de téléréalité.

Résultat : quand on pose à Trump la question de savoir si le monde allait mieux quand Kadhafi, Saddam et Moubarak étaient au pouvoir, cet admirateur de Vladimir Poutine répond, sans hésiter : « Oui, à 100 %. » Et quand on lui demande comment il compte gérer la menace nucléaire que fait peser en Asie le dictateur Kim Jong-un, la répartie, consternante, fuse : « La Chine contrôle la Corée du Nord, nous contrôlons la Chine, donc nous allons contrôler la Corée du Nord. »

Mme Clinton, on le sait, a un côté faucon assumé

Infiniment mieux outillée et conseillée (donc infiniment plus prévisible), l’ancienne secrétaire d’État Hillary Clinton n’a aucun mal à écraser son adversaire sur ce terrain. En matière de politique arabe et africaine (sur laquelle planche à nouveau le vétéran Johnnie Carson, qui fut son « Monsieur Afrique » au département d’État), Hillary présidente fera très certainement entendre sa différence avec Barack Obama : elle sera plus interventionniste, moins adepte du « leadership en retrait », plus dure avec l’Iran, plus proche d’Israël et tout autant dispensatrice de leçons de morale et de démocratie.

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Mme Clinton, on le sait, a un côté faucon assumé : elle a toujours défendu l’initiative prise par son mari, Bill, en août 1998, de bombarder l’usine pharmaceutique d’Al-Shifa, au Soudan, soupçonnée à tort d’abriter des armes chimiques, alors qu’elle ne fabriquait que des médicaments génériques ; elle s’est battue en vain pour que l’aviation américaine frappe l’armée syrienne en 2013 et s’est ouvertement réjouie de la chute de Kadhafi, prononçant à cette occasion une petite phrase glaçante sur le plateau de CBS : « Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort. »

Transformer l’US Army en une armée de mercenaires potentiels

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Ouvertement isolationniste, Donald Trump devrait donc, au cas où il siégerait à la Maison Blanche (hypothèse il est vrai de moins en moins probable), s’accommoder des régimes forts sur le continent et ailleurs. Il ne s’en cache pas : il est contre l’exportation des « valeurs » américaines – « qui sommes-nous pour donner des leçons à Erdogan ? » s’exclamait-il au lendemain de la tentative de putsch du 15 juillet en Turquie. Contre, aussi, les engagements militaires à l’étranger : « On ne doit plus chercher à protéger des pays, sauf s’ils paient pour cela », répète-t-il volontiers, ce qui revient à transformer l’US Army en une armée de mercenaires potentiels.

Hillary Clinton, elle, devrait faire l’inverse : pousser les feux de l’agenda démocratique d’Obama en renforçant les consignes d’intervention, voire d’ingérence au sein du débat politique, données aux ambassades américaines en Afrique, et traquer les groupes armés islamistes en privilégiant l’usage des drones, des forces spéciales et des contractuels privés.

Sur le continent, en somme, la diplomatie musclée ne sera pas l’apanage de celui à qui l’on pense spontanément – le très machiste Donald Trump. Même si les deux candidats, dans le fond, se rejoignent dans leur souhait commun d’endiguer l’influence économique chinoise en Afrique, au nom des intérêts supérieurs de l’« America first ».

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