Ce jour-là : le 16 août 2012, 34 mineurs grévistes de Marikana tombent sous les balles de la police

Une vingtaine d’années après la naissance de la Rainbow Nation, la tuerie de Marikana, sur fond de luttes sociales, a choqué l’Afrique du Sud en rappelant les heures les plus sombres de l’apartheid. Un épisode que le président sud-africain Cyril Ramaphosa, à l’époque membre du conseil d’administration de l’entreprise Lonmin, traîne comme un boulet.

Des policiers sud-africains se tiennent près des corps de mineurs tombés à Marikana, le 16 août 2012. © Str/AP/SIPA

Des policiers sud-africains se tiennent près des corps de mineurs tombés à Marikana, le 16 août 2012. © Str/AP/SIPA

Publié le 16 août 2016 Lecture : 5 minutes.

Non ce n’est pas une scène datant de l’apartheid. Le sable qui retombe doucement après avoir été pulvérisé dans l’air par les balles brûlantes de la police laisse apercevoir les corps de dizaines de mineurs jonchant le sol. Vingt ans après la fin du régime ségrégationniste, la répression sanglante se fait sous de nouvelles couleurs : celles de la Nation arc-en-ciel.

>>> À LIRE : Le massacre des mineurs de Marikana : l’épine dans le pied de Cyril Ramaphosa

Ce jeudi 16 août 2012, à une centaine de kilomètres au nord-ouest de Pretoria, le bilan est terrible : 34 mineurs viennent d’être abattus et 78 d’entre eux blessés. Cette soudaine éruption d’ultra-violence dans un conflit social qui rappelle les heures sombres de l’apartheid émeut profondément le pays de Madiba.

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Germinal dans le bush

La journée sanglante du 16 août constitue l’acmé d’une grève lancée six jours plus tôt par les 3 000 travailleurs d’une mine de platine exploitée par Lonmin. Leur but ? Une augmentation de salaire très importante. Payés 4 000 rands (environ 270 euros), ils en demandent presque le triple : 12 500 rands (environ 840 euros) !

Cette revendication très populaire chez les ouvriers émane d’un petit syndicat : celui de l’Association des mineurs et de la construction (AMCU), récemment désaffilié de l’Union nationale des mineurs (NUM), réputé proche du gouvernement. Les travailleurs de Lonmin possèdent un niveau de vie en totale contradiction avec la valeur des minerais qu’ils extraient des entrailles de la terre à raison de 8 à 9 heures de travail quotidiennes sous 40°C… La plupart d’entre eux et leurs familles vivent à proximité des sites d’exploitation dans des taudis qui ne possèdent généralement pas d’eau ou d’électricité courante.

Les violences se caractérisent aussi par des affrontements entre mineurs de syndicats opposés

Depuis le début de la grève, le 10 août, le climat est lourd. Les violences se caractérisent aussi par des affrontements entre mineurs de syndicats opposés. Le 12 août, deux mineurs et deux policiers sont tués. La direction de Lonmin refuse toute négociation et menace même de licencier les grévistes. Le site d’exploitation devient jour après jour un véritable champ de bataille. D’un coté : véhicules blindés, policiers surarmés, barbelés et hélicoptères. De l’autre, machettes, lances, armes à feu et knobkierrie (bâton sud-africain traditionnel utilisé comme arme). Plus les jours de grève passent, plus les pertes économiques se font sentir pour Lonmin, l’un des premiers extracteurs de platine au monde.

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Pourquoi avoir tiré à balles réelles ?

Le 16 août, les mineurs ne sont plus les seuls à manifester, ils sont rejoints par leurs femmes. Usées par les événements des jours précédents, les forces de police sont sur le qui-vive. Ce jour-là, plus d’une centaine de mineurs, certains dotés d’armes blanche, refusent de se disperser autour de la colline rocailleuse qui leur sert de lieu de ralliement. Puis, le groupe se déplace vers une colonne de policiers occupés à installer des barbelés. Une dizaine de mètres les séparent lorsqu’un coup de feu retentit, avant que le le crépitement assourdissant des armes automatiques. Les corps des mineurs tombent les uns après les autres dans un nuage de poussière.

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Pourquoi avoir tiré à balles réelles alors que l’on voit distinctement sur les vidéos qui témoignent de la tuerie la présence d’un camion lanceur d’eau, ce qui aurait constitué une arme de dispersion non-létale ?

La chef de la police nationale, Riah Phiyega, argue de la légitime défense, et soutient lors d’une conférence de presse que  » les policiers ont dû faire usage de la force pour se défendre contre le groupe qui les chargeait ». « La police a commencé par utiliser le minimum de force, conformément à notre politique et à la loi. (…) Ce n’est que lorsque cela n’a pas suffi à stopper les manifestants que nous avons utilisé un autre moyen. Et je pense profondément, nous pensons, que cela était justifié. Nous ne voulions la mort de personne ».

La vidéo du massacre. Attention ces images sont choquantes.

https://www.youtube.com/watch?v=YbenAJv2xco

Deuil national et enquête gouvernementale

Outre le meurtre des 34 grévistes, le conflit a donné lieu à 259 interpellations. Les 78 blessés sont également arrêtés et inculpés pour violences, meurtres et tentatives de meurtres… Alors que les corps sont encore chauds, la société Lonmin ordonne la reprise du travail aux mineurs, sous peine de licenciement.

Jacob Zuma, le président sud-africain, interrompt son voyage au Mozambique pour se rendre au chevet des blessés et décrète un deuil national d’une semaine. Dans le même temps, la récupération politique d’un drame qui met en lumière les connivences entre le parti au pouvoir (l’ANC) et certains syndicats (NUM) ne se fait pas attendre. Le tribun radical et controversé Julius Malema, récemment exclu de l’ANC, et partisan de la nationalisation des mines s’empresse d’apporter son soutien à la lutte des mineurs. Il s’exprime dès le 18 août à Marikana devant ces derniers, et annonce le 21 qu’il porte plainte contre la police.

Alors que la grève se poursuit à Marikana, deux autres mines de la région se mettent également à l’arrêt. Sous la pression du gouvernement, Lonmin retire ses menaces de licenciement. Une enquête gouvernementale est ouverte le 17 août.

Un rapport accablant

Trois ans après, le rapport de 600 pages est rendu public le 25 juin 2015. Ses résultats sont sans appel, et accordent une très large part de responsabilité à la police sud-africaine et à la société Lonmin. Mais plus d’un après sa publication, aucun des responsables pointés du doigt n’a été traduit en justice. De nombreuses personnes sont visées, et notamment Cyril Ramaphosa, actuel président sud-africain et ancien secrétaire général de la NUM, qui était à l’époque membre du conseil d’administration de Lonmin.

Pour beaucoup de survivants et de familles des mineurs abattus, Cyril Ramaphosa apparaît comme l’un des principaux responsables de la violence policière

Le rapport a notamment révélé que Ramaphosa avait usé de ses hautes relations afin de faire pression sur la police pour qu’elle intervienne, tout en qualifiant de manière virulente les grévistes de « criminels ». Pour beaucoup de survivants et de familles des mineurs abattus, Cyril Ramaphosa apparaît comme l’un des principaux responsables de la violence policière. Il est également le symbole de la connivence entre l’État sud-africain et la société Lonmin.

Le 25 juin 2014 Joseph Mathunjwa, le leader syndical de l’AMCU, annoncera la fin d’une nouvelle grève de cinq mois dans le platine (la plus longue qu’ait connue l’Afrique du Sud). Cette dernière aura mobilisé près de 70 000 travailleurs dans divers sites d’extraction. Un accord a été trouvé entre le patronat et les syndicats deux jours plus tôt, qui accorde notamment de larges avancées en faveur des mineurs et surtout un début de revalorisation des salaires de base à 12 500 rands. La revendication phare des grévistes de 2012…

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