Jean-Damascène Habarurema, marathonien philosophe, entre la France et le Rwanda

Rescapé du génocide, ce Rwandais court le marathon pour la France et travaille sur une thèse de philosophie.

Portrait de Jean Habarurema, marathonien franco-rwandais. Ici, dans le parc Saint-Nicolas d’Angers, où il s’entraîne régulièrement, posant devant une oeuvre en pierre d’ardoise, typique de l’Anjou. © Cyril Chigot/Divergence pour J.A.

Portrait de Jean Habarurema, marathonien franco-rwandais. Ici, dans le parc Saint-Nicolas d’Angers, où il s’entraîne régulièrement, posant devant une oeuvre en pierre d’ardoise, typique de l’Anjou. © Cyril Chigot/Divergence pour J.A.

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Publié le 26 janvier 2015 Lecture : 4 minutes.

Lorsqu’il a posé pour la première fois le pied en Europe, à Amsterdam, Jean-Damascène Habarurema a glissé sur le tapis roulant. « J’ai appelé à l’aide, en vain, et je me suis relevé », raconte-t-il. Direction l’aéroport Charles-de-Gaulle, à Paris. Perdu, il demande une nouvelle fois de l’aide mais personne ne lui répond. « J’ai compris que je ne pouvais compter que sur moi-même. » De sa première rencontre avec les Européens, Habarurema garde un souvenir amer. « J’avais vécu en Afrique où l’inconnu provoque la curiosité. En Europe, l’inconnu fait peur et s’évite », déplore-t-il. Dans son regard tendre, il y a de la sagesse et un soupçon de mélancolie.

Profondément marqué par son enfance, Habarurema est en proie à des questionnements incessants sur son identité. Né à Butare, dans le sud du Rwanda, d’un père tutsi et d’une mère hutue, l’homme au petit gabarit a survécu au génocide de 1994, qui a décimé sa famille. Son père et huit de ses frères et soeurs ont été massacrés. Longtemps, il a tu son histoire, refusant pitié et compassion.

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Dans le froid automne d’Angers, en France, vêtu d’un jogging et d’une casquette qui ne le quitte jamais, il salue avec gentillesse les quidams qui le reconnaissent. Bien plus que pour son histoire, les Angevins connaissent Habarurema pour ses performances sportives. Au Rwanda, il n’avait jamais couru que « pour aller à l’école ou puiser de l’eau ». Aujourd’hui, la course est devenue une drogue. Depuis qu’il a commencé l’athlétisme, à 27 ans, le champion est une petite vedette. En 2005, il remporte son premier semi-marathon à Longeville-sur-Mer (Vendée). En 2014, à peine naturalisé français, il termine le marathon des championnats d’Europe de Zurich en treizième position sous les couleurs de l’Hexagone en 2 heures 16 minutes et 4 secondes.

Dès que je trottine, je suis de nouveau le Jean souriant, livre-t-il.

« Quand je ne cours pas, je m’enferme dans mon passé. Dès que je trottine, je suis de nouveau le Jean souriant », livre-t-il. « Le sport est un exutoire vital pour son équilibre, explique son entraîneur, Philippe Plancke. À travers la course, il cherche une réponse aux questions enfouies. » Pour fuir ses souvenirs, Habarurema quitte le Rwanda en 1997 et « chemine » avec les frères de la congrégation Saint-Gabriel en Inde et en Thaïlande. Il s’installe ensuite à Angers, étudie les sciences de l’éducation à l’université catholique et apprend le français dans la Bible et dans les ouvrages de Saint-Augustin.

Peu avant d’être ordonné prêtre, l’homme pieux quitte sa communauté. Le dieu qu’il aime profondément le questionne. « Les Rwandais disent souvent que Dieu avait sa demeure au Rwanda, qu’Il partait se promener ailleurs et rentrait le soir au pays, explique Jean. Je me suis souvent demandé pourquoi Il nous avait abandonnés. » Lui n’a pourtant jamais perdu la foi. « Je peux continuer à servir le Seigneur, mais par le sport et la transmission de mon savoir aux jeunes. »

Comme dans le poème de Voltaire, Jean rit souvent et pleure parfois, en silence. Seul, il a quitté le Rwanda. Seul, il vit aujourd’hui dans une résidence prêtée par la ville. « J’ai ajusté mon existence avec le vide qui existe en moi », explique celui dont le nom signifie « Dieu seul ». Sa mère et sa soeur sont restées au pays. Quand il téléphone à la première, il parle peu mais prie par combinés interposés.

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Le dernier souvenir qu’il garde de la seconde, c’est une photographie où la survivante du génocide, triste mais apaisée, se recueille au milieu d’ossements de ses proches. C’était en 2009 lors de son retour au pays. De ce séjour au Rwanda, Jean garde le souvenir ému des retrouvailles avec sa famille mais aussi la douleur d’avoir croisé celui qui a avoué être l’assassin de sa soeur. « Il m’a demandé d’aider sa famille dans le besoin, je lui ai donné un billet », confie Jean. Mais hors de question de parler de pardon. « Le pardon, c’est un mot prononcé par les gens de l’extérieur », affirme-t-il, les yeux embués.

Dans son viseur, le marathon de Paris d’avril 2015.

Aujourd’hui, Habarurema a fait de ses doutes une force pour avancer. Il a même choisi le thème de l’identité pour écrire une thèse de philosophie. Quand il n’étudie ni ne s’entraîne, il travaille dans un foyer de jeunes filles où il est gardien de nuit. Il a toujours un mot doux pour les étudiantes, qu’il considère comme ses petites soeurs même s’il reste sur ses gardes. « J’ai pris du recul avec les valeurs de la famille et de l’amitié. Des gens qui se disaient nos amis ont massacré mes proches. Je prends désormais chaque rencontre comme une surprise. »

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Malgré de courtes nuits, Habarurema doit concilier son entraînement et les lectures imposées par sa thèse. Selon son entraîneur, « Jean a un très gros potentiel, mais il faudrait le libérer de ses contraintes professionnelles ». Depuis quelques jours, l’athlète s’entraîne avec les meilleurs coureurs du Kenya. Dans son viseur, le marathon de Paris d’avril 2015. Cette fois, Habarurema a envie de se dépasser. Et surtout de faire la fierté de son pays d’adoption, la France, et de son cher pays de coeur, le Rwanda.

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