Gambie : ils voulaient renverser Jammeh

Fin décembre, un petit commando prenait d’assaut le palais présidentiel de Yahya Jammeh, à Banjul. Retour sur une tentative de coup d’État qui a tourné au fiasco.

Chuck. Tel est le surnom que les conjurés avaient donné à leur cible. © Issouf Sanogo/AFP

Chuck. Tel est le surnom que les conjurés avaient donné à leur cible. © Issouf Sanogo/AFP

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Publié le 27 janvier 2015 Lecture : 6 minutes.

C’est une tentative de putsch improbable qui a secoué Banjul dans la nuit du 29 au 30 décembre 2014. Vers 3 heures du matin, d’après des habitants du quartier de Marina Parade, sur la corniche nord de la capitale gambienne, une fusillade a éclaté aux abords du palais présidentiel, la State House. En l’absence du chef de l’État, Yahya Jammeh, en visite privée à Dubaï depuis le 26 décembre, neuf hommes armés de fusils semi-automatiques ont tenté de prendre le contrôle du bâtiment. Ils ont été défaits par la garde présidentielle.

Demeuré obscur pendant quelques jours, dans un pays fermé à la presse internationale et soumis à la propagande d’État, le scénario a gagné en précision grâce au récit qu’a livré l’un des putschistes au FBI. Papa Faal, 46 ans, est en effet parvenu à quitter le pays au lendemain de l’assaut avant de se présenter à l’ambassade des États-Unis à Dakar. Synthétisé dans un document de 22 pages, son témoignage, corroboré par divers documents découverts par les enquêteurs, permet de reconstituer la tentative de coup d’État, dont on avait jusque-là des versions parcellaires, contradictoires et difficilement vérifiables.

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Selon ce vétéran de l’US Army d’origine gambienne, un premier commando ("Alpha") avait pour objectif de forcer la porte principale du palais présidentiel. Le second ("Bravo") était quant à lui chargé de sécuriser l’arrière du bâtiment. Venus d’Allemagne, du Royaume-Uni et des États-Unis, pour la plupart anciens militaires, les assaillants étaient arrivés séparément en Gambie courant décembre après avoir communiqué par téléphone pendant plusieurs mois en empruntant des pseudo­nymes. Aux premières heures du 30 décembre, ils se retrouvent dans un bois, à quelques centaines de mètres de la présidence. Là, ils troquent leurs habits civils pour des tenues militaires de camouflage puis se dirigent vers le bâtiment à bord de véhicules de location.

Un plan suicidaire

Les douze hommes (en plus des neuf sur le terrain, deux complices attendent à l’écart, à 25 km de Banjul, et un autre conjuré a fait défection avant l’assaut) ont reçu la garantie, via leurs contacts dans les forces armées gambiennes, que 160 militaires se rallieraient à l’opération. Mais leur plan s’avère suicidaire. À leur arrivée, la sécurité du palais a été renforcée. Les conjurés commencent par tirer en l’air, espérant naïvement provoquer la débandade de la garde présidentielle, mais ils sont accueillis par un feu nourri. Très vite, le commando Alpha est décimé. Quant au commando Bravo, il se replie en catastrophe. Les renforts espérés au sein de l’armée gambienne n’arriveront jamais. La tentative de putsch tourne au fiasco.

Papa Faal parviendra à dénicher des habits civils et à se fondre dans la population. Le 31 décembre, il passe la frontière sans encombre et rejoint Dakar. L’homme, qui possède la double nationalité gambienne et américaine, décide alors de se rendre à l’ambassade des États-Unis au Sénégal. Là, il dévoile à l’agent de liaison du FBI la trame du plan de coup d’État. "Peut-être a-t-il imaginé que les États-Unis, dont les relations avec la Gambie sont très mauvaises, se montreraient conciliants envers leur action", commente Demba Jawo, un journaliste gambien basé à Dakar.

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De son côté, Yahya Jammeh a regagné Banjul dans la nuit du 30 au 31 décembre. Dans une déclaration télévisée, il annonce aussitôt que la capitale a été totalement sécurisée et vante la loyauté des forces armées gambiennes, dont aucun membre, affirme-t-il, n’a pris part au coup de force. "C’est une attaque d’un groupe de terroristes soutenus par des puissances que je ne voudrais pas nommer, des dissidents basés aux États-Unis, en Allemagne et au Royaume-Uni", accuse-t-il. Quant à l’identité des membres du commando, les autorités gambiennes évoquent une poignée d’exilés ayant servi par le passé dans l’armée gambienne ou américaine (lire ci-contre). Le leader de l’opération, décédé pendant l’assaut, serait Lamin Sanneh, un ancien officier de la garde présidentielle qui avait quitté le pays en 2012 pour s’installer aux États-Unis.

Le cerveau : un américain d’origine gambienne

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Le 1er janvier, Papa Faal quitte Dakar pour Washington, où son débriefing par les agents du FBI va se poursuivre. Sur la base d’une photo que lui montrent les agents fédéraux, il révèle que le financier et véritable cerveau de l’opération – qu’il ne connaissait que sous le nom de code de "Dave" – est Cherno Njie, un Américain de 57 ans d’origine gambienne. En perquisitionnant au domicile et dans les bureaux de cet homme d’affaires résidant au Texas, le FBI découvre divers documents compromettants, notamment des textes exposant la vision de l’intéressé sur la transition politique en Gambie, qu’il se proposait d’incarner. Selon Papa Faal, c’est lui qui devait assurer l’intérim du pouvoir en cas de succès de l’opération.

Cherno Njie, qui n’a pas participé à l’assaut et est parvenu à quitter la Gambie avant de regagner les États-Unis via Dakar, sera arrêté et placé en détention dès son arrivée sur le sol américain, le 3 janvier. Inculpés pour complot visant à déstabiliser un pays allié des États-Unis et de conspiration et possession d’armes en vue de commettre des actes de violence, les deux hommes ont été présentés à un tribunal le 5 janvier. Si Cherno Njie a refusé de coopérer avec les enquêteurs, Papa Faal, qui s’avère être le neveu de l’ancien président Dawda Jawara, destitué par Jammeh en juillet 1994, a fourni moult détails sur les préparatifs de l’opération.

Lui-même aurait été approché en août 2014 par d’autres exilés gambiens aux États-Unis. Bien que n’ayant pas remis les pieds en Gambie depuis vingt-trois ans, Faal avait accepté de rejoindre les conjurés, invoquant sa solidarité avec "le calvaire du peuple gambien", soumis à l’autoritarisme d’un chef d’État qui "truque les élections". Il avait personnellement procédé à l’achat de plusieurs fusils M4 semi-automatiques qui seront acheminés en Gambie par conteneur. Le vétéran de l’US Army est arrivé sur place début décembre après avoir transité par Dakar. Il raconte en outre que l’objectif initial des conjurés consistait à attaquer le convoi de "Chuck" – le surnom qu’ils avaient donné à Jammeh – à l’occasion d’un déplacement vers son village natal, Kanilai. Mais son voyage imprévu à l’étranger fera capoter ce projet. Plutôt que de surseoir à l’opération, ils improvisent donc une attaque contre la State House.

Jammeh, informé du putsch à l’avance ?

Dans la diaspora gambienne en exil et parmi certaines sources diplomatiques à Dakar, le déroulement du coup de force provoque une certaine perplexité. Comment une poignée d’hommes ont-ils imaginé pouvoir kidnapper Jammeh ou prendre le contrôle de Banjul face à sa garde prétorienne, largement recrutée chez les Diolas, son ethnie d’origine ? Un soupçon insistant veut qu’ils aient été trahis par une faction de l’armée qui les avait préalablement assurés qu’elle se rallierait à leur cause. Selon plusieurs sources au Sénégal et en Gambie, le lieutenant-colonel Musa Savage, de la garde présidentielle, aurait été en contact avec Lamin Sanneh et lui aurait promis son soutien avant d’informer le chef d’état-major de l’armée du projet de coup d’État. "Je pense qu’ils sont tombés dans un piège, analyse le journaliste Demba Jawo. Je n’exclus pas que Jammeh ait été informé du putsch à l’avance."

>> Lire aussi : qui est Cheikh Sidya Bayp, arrêté au Sénégal ?

Gare à la purge !

Selon les principales organisations de défense des droits de l’homme basées à Dakar, la tentative de coup d’État contre Yahya Jammeh a donné lieu à une traque impitoyable parmi les familles des conjurés. "La mère et le frère de Lamin Sanneh ont été arrêtés ainsi qu’une vingtaine de personnes apparentées aux putschistes, dont des mères de famille et un adolescent de 14 ans, témoigne Fatou Diagne Senghor, la responsable du bureau ouest-africain de l’ONG Article 19. Voilà plusieurs jours que nous ne savons pas où ils se trouvent."

Une purge confirmée par la section sénégalaise de la Société internationale des droits de l’homme, qui observe avec inquiétude les représailles d’un régime connu pour sa tendance à la répression aveugle. Le 5 janvier, s’exprimant devant ses partisans rassemblés devant le palais présidentiel, Jammeh a juré de se "débarrasser [des putschistes] un par un, jusqu’au dernier". "Cette fois, c’est oeil pour oeil", a-t-il ajouté, promettant de "faire un exemple".

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