Gaël Faye : « La littérature ne s’est jamais vraiment emparée du Burundi »

Surprise inattendue de cette rentrée littéraire, Gaël Faye a reçu le Goncourt des lycéens pour son premier roman, « Petit pays », dont la narration se déroule au Burundi à l’aube de l’entrée de ce pays dans la guerre civile, qui l’a contraint à l’exil en 1995.

Gaël Faye. © Chris Schwagga pour J.A.

Gaël Faye. © Chris Schwagga pour J.A.

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Publié le 18 novembre 2016 Lecture : 4 minutes.

Magie du métissage : celui qui, il y a peu, ramait en pirogue sur le Lac Kivu – témoin officieux de son récent mariage –, aux confins du Rwanda, a vécu, depuis septembre, la frénésie de la rentrée littéraire parisienne. Avec, à la clé, deux prix prestigieux dont le plus récent – le Goncourt des lycéens –, consacre le grand roman qu’est « Petit Pays ». Rappeur littéraire devenu écrivain hip-hop, cet hybride dont les origines mêlent France, Rwanda et Burundi, ainsi que slam, rap et littérature, revient pour JA sur cette consécration improbable.

Jeune Afrique : Après le Prix Fnac, vous venez de remporter le 29e Prix Goncourt des lycéens pour votre premier roman, « Petit pays » (Grasset), véritable succès en librairies. Comment expliquez-vous que la descente aux enfers du Burundi, au début des années 1990, ait rencontré un tel succès auprès du public français ?

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Gaël Faye : En relatant cette histoire, j’étais persuadé qu’elle n’intéresserait que des gens ayant un tropisme avec la région des Grands-Lacs : des Burundais ou des Rwandais de la diaspora, ou encore certaines personnes résidant dans ces deux pays – bien qu’ici, on ne lise pas tant de livres que ça. Je pensais aussi à celles et ceux qui suivent ma carrière musicale, car ils m’ont déjà entendu parler du Burundi dans mes morceaux. Mais à aucun moment je n’imaginais rencontrer un tel succès populaire. Je ne suis pas forcément la personne la mieux placée pour en parler mais je crois que le regard d’un enfant, qui immerge ce livre, est la clé qui a permis à tant de lecteurs de pousser la porte de cette histoire et de s’y identifier.

Au-delà d’un récit sur l’enfance, vous revenez sur les crispations identitaires du Burundi des années noires…

Peut-être que la description de l’impasse de Buja où je vivais, celle des murs que l’on érige, des identités qui se figent et de la peur de l’autre constituent autant de résonances avec la société française actuelle. J’ai commencé à écrire ce roman en janvier 2015, quelques jours après les attentats visant Charlie Hebdo et l’Hypercasher, et l’idée de l’impasse m’est venue à ce moment-là. J’étais perméable à l’atmosphère qui régnait alors en France, même si on ne le perçoit pas au premier abord.

La littérature ne s’est jamais vraiment emparée de ce pays

Depuis les années 2000, l’histoire du Rwanda est devenue une matière romanesque pour divers auteurs, du Sénégalais Boubacar Boris Diop à la Rwandaise Scholastique Mukasonga. L’histoire tragique du Burundi n’avait, jusqu’à présent, pas fait l’objet de récits comparables. Comment l’expliquez-vous ?

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Il n’existe quasiment aucun auteur burundais à ma connaissance. Le seul écrivain burundais que j’ai pu lire est Michel Kayoya, décédé depuis longtemps. Il a d’ailleurs été massacré en 1972, lors de ce qu’on appelle le génocide des intellectuels [hutus] burundais. Il y a également l’un de mes amis, Roland Rugero, qui a écrit “Baho !” – l’histoire d’un lynchage à la campagne. En dehors de cela, il y a peut-être eu un SAS ou des choses très anecdotiques, mais rien de plus. La littérature ne s’est jamais vraiment emparée de ce pays.

Dans l’envie d’écrire ce livre, il y avait le désir de publier un manifeste pour crier au monde que la vie existe là-bas aussi : dans sa banalité comme dans son côté solaire… Les personnes qui connaissent le Burundi retiennent qu’il fait bon y vivre. Et c’est dommage que les seules choses qu’on en retienne portent sur la guerre et les conflits. Nous devons nous approprier et transmettre notre imaginaire et nos histoires pour faire contrepoids à l’actualité. Un peu comme les Haïtiens : sans la littérature haïtienne, on aurait l’impression que cette terre se résume à un désastre absolu.

J’ai un grand projet : un roman sur le génocide des Tutsis du Rwanda

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Vous vivez désormais au Rwanda. Comment votre nouvel environnement change-t-il votre manière d’écrire, de composer ?

Je n’ai pas suffisamment de recul pour analyser à quel point ça m’a changé. Mais depuis que j’ai quitté la France pour le Rwanda, je n’éprouve plus le besoin d’écrire sur cette région d’Afrique. Les textes que j’ai pu produire depuis que je suis là-bas sont des textes qui portent davantage sur la société occidentale et française. Il y a aussi le confort de l’éloignement, qui permet d’avoir un regard en contrepoint. J’étais persuadé qu’en m’installant au Rwanda, cela allait développer mon inspiration sur la région, mais non. J’ai plutôt besoin de vivre mes expériences avant de les analyser par l’écriture. J’ai un grand projet : un roman sur le génocide des Tutsis du Rwanda. Cette  question me hante et me hantera jusqu’à la fin de ma vie ; j’avais envie de m’attaquer un jour à ce sujet-là. J’ai seulement besoin de temps.

Vous sortirez en janvier un nouvel album. Quelles en seront la couleur et les saveurs ?

C’est un projet de mini-album qui s’intitule « Rythmes et botanique ». L’idée était musicale avant tout : j’ai pensé davantage à la musique qu’au texte. Je voulais faire se rencontrer le piano droit de Guillaume Poncelet et les machines électroniques de DJ Blanka. Les textes de cet album n’ont pas la linéarité de « Pili Pili sur un croissant au beurre », où l’idée était de raconter une histoire. Là, j’opère par fragments. Je m’efforce de refléter les sentiments d’une société française qui se cherche, et d’amorcer une réflexion autour de ça.

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