Décès de Cheikh Hamza, un des plus grands maîtres soufis du Maroc

Le guide de la zaouiya Boutchichia s’est éteint ce mercredi à l’est du Maroc. Parcours d’une confrérie influente où se mêlent religion, pouvoir et argent.

Cheikh Hamza a été adulé par ses disciples tel un dieu vivant. © Capture d’écran YouTube/ Noor Man Official Channel

Cheikh Hamza a été adulé par ses disciples tel un dieu vivant. © Capture d’écran YouTube/ Noor Man Official Channel

ProfilAuteur_NadiaLamlili

Publié le 18 janvier 2017 Lecture : 3 minutes.

La plus importante confrérie soufie du Maroc a perdu son guide spirituel. Cheikh Hamza Ben El Abbas, grand maître de la Tariqa qadirya boutchichia, est décédé, ce mercredi 18 janvier, à Oujda, à l’est du Maroc, à l’âge de 95 ans. 

Sa zaouiya, fondée par cheikh Moulay Abdelakder El Jilani (1077- 1166), a des ramifications aussi bien au Maroc, au cœur même du pouvoir, qu’à l’international. Chaque année, à l’occasion de la fête du Mouloud, célébrant la naissance du prophète Mahomet, elle réunit des milliers de disciples venus du monde entier pour recevoir la bénédiction de celui qu’on présente comme un descendant du prophète et pouvoir le toucher tel un dieu vivant.

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Le petit village de Madagh, situé à quelques kilomètres de la ville de Berkane, non loin d’Oujda, devient alors la Mecque des Boutchichis, avec des pélerins vêtus de blanc, des camps improvisés et un impressionnant contingent de gendarmes et de mokhaznis (forces auxiliaires), spécialement dépêchés par les autorités locales pour sécuriser les lieux. 

Sous l’aile du Palais

Les zaouiyas, une des variantes de l’islam maraboutique africain, sont protégées par le Palais, qui s’appuie sur elles pour asseoir sa légitimité et en faire un rempart contre le salafisme wahhabite venu d’Arabie saoudite. Elles prônent un islam modéré, à forte connotation spirituelle, tourné vers la quête de soi et l’amour de Dieu, dans la même veine que la discipline du mystique persan, Jalal Eddine Rûmi.

Alité depuis plusieurs années, le pape des Boutchichis, Sidi Hamza, continuait de recevoir ses disciples, leur prodiguant conseils et bénédictions. Il a une armée de fidèles autour de lui et sa confrérie est gérée comme une vraie institution, avec des relais régionaux, des levées de fonds périodiques organisées discrètement à la fin des séances de Dikr (chants religieux) dans les villas de la bourgeoisie marocaine. Il n’est pas donné à n’importe qui de devenir Boutchichi ! Comme toute les confréries, il faut qu’il soit coopté par un ancien et prêter allégeance au Cheikh. 

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Une succession de père en fils

Parmi ses disciples les plus connus, l’actuel ministre des Habous et des affaires islamiques, Ahmed Toufiq, mais aussi des figures internationales, comme le rappeur français Abd al Malik, qui a déclaré son amour pour son guide spirituel dans sa chanson « Ode à l’amour », sortie en 2004 : « J’étais cuivre, tu m’as rendu or, toi l’alchimiste de mon cœur, toi qui a su gommer mes erreurs ».

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C’est en 1968, après des études en théologie, que Cheikh Hamza a repris les clés de la zaouiya de son père, Cheikh Abbas, qui les a lui-même héritées de son maître, Cheikh Sidi Abou Mediene. Dans les zaouiyas, la succession se transmet via une autorisation spirituelle entre un maître et un disciple, appelée Sirr (secret initiatique). Mais depuis Cheikh Abbas, elle se transmet via les liens de sang. Avant sa mort, Sidi Hamza avait donc désigné un de ses fils, Sidi Jamal, pour lui succéder. Laquelle succession a été notifiée dans un testament écrit et légalisé auprès des autorités.

Cheikh Yassine, l’autre guide

Parmi les anciens amis de Sidi Hamza, il y a eu Cheikh Yassine, ancien leader de la Jamaâ Al Adl Wal Ihssane (Justice et bienfaisance), le plus important mouvement islamiste d’opposition au Maroc. Les deux hommes sont considérés comme les deux principaux guides religieux dans le pays. Réunis autour des valeurs du soufisme, ils avaient cependant deux visions différentes de l’utilité de ces valeurs pour la société. Autant le maître de Madagh tenait à un soufisme « immobile », loin de toute opinion politique, autant le guide de la Jamaâ poussait pour un soufisme « agissant » afin de changer « une société malade ». Le clash est consommé en 1973 lorsque Cheikh Yassine crée son mouvement et s’engage dans un bras de fer avec le Palais.

En 2011, en plein printemps arabe, Cheikh Hamza ne se gênera cependant pas pour faire de la politique en ordonnant à ses disciples de participer à des marches pro-pouvoir, appelant la population à voter oui lors du référendum constitutionnel.

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