Ashish Thakkar, un businessman presque parfait

Partenaire du banquier Bob Diamond en Afrique, cet homme d’affaires anglo-ougandais bâtit sa légende en même temps que sa fortune. Enquête sur un réfugié autodidacte devenu grand patron qui suscite à la fois fascination et méfiance.

Ashish Thakkar se voit comme le partenaire africain des multinationales. © Mara Group

Ashish Thakkar se voit comme le partenaire africain des multinationales. © Mara Group

ProfilAuteur_FredMaury

Publié le 22 janvier 2015 Lecture : 6 minutes.

Kigali, Goa, New York, Maputo, Johannesburg, Hong Kong, Sydney puis Kampala… Pour Ashish Thakkar, les dernières semaines de 2014, tout comme le reste de l’année, auront été un tour du monde permanent. À 33 ans, celui que certains médias anglophones ont baptisé « le plus jeune milliardaire du continent » – un titre qu’il apprécie modérément mais qu’il se garde bien de contester – enchaîne depuis trois ans conférences et rencontres. S’il préfère le jean aux costumes, l’homme d’affaires aux 726 000 followers (sur Twitter) le porte avec allure, et séduit. « C’est le genre de personne qui obtient le silence dans la salle dès qu’il prend la parole », assure un organisateur d’événements.

En Afrique, on peut débuter sur le continent avec 5 000 dollars et connaître le succès.

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Faite de souffrance et de renaissances, l’histoire de Thakkar a tout du storytelling parfaitement huilé, adapté à l’image d’une Afrique en pleine résurrection. Il naît à Leicester, en Angleterre, où ses parents ont dû s’exiler après leur départ forcé – avec 80 000 autres Indiens et Pakistanais – de l’Ouganda du dictateur Idi Amin Dada. Puis sa famille s’installe au Rwanda, peu avant le génocide. En 1994, contrainte de fuir à nouveau, elle retourne à Kampala. Quelque temps plus tard, Ashish Thakkar quitte l’école. Âgé de 15 ans à peine, il crée sa première entreprise, spécialisée dans la vente de matériel informatique.

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« Il a fondé ce conglomérat d’entreprises panafricain en 1996 avec seulement 5 000 dollars [environ 4 000 euros] de capital, écrivaient début 2014 Eugene Soltes et Sara Hess, deux chercheurs de la Harvard Business School qui ont consacré une étude à l’aventure entrepreneuriale de Thakkar. Moins de deux décennies après, Mara Group a déjà créé des milliers d’emplois à travers l’Afrique et s’apprête à en créer des milliers d’autres. » Dans tous ses discours, Ashish Thakkar insiste sur son ascension rapide, de réfugié à riche homme d’affaires. « Mon objectif est clair, assure-t-il à Jeune Afrique. Montrer qu’on peut débuter sur le continent avec 5 000 dollars et connaître le succès. »

Fantasmatique

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Ces dernières années, les activités attribuées à Mara Group se sont rapidement étendues. Elles vont des technologies de l’information à la banque en passant par l’emballage, le verre, l’immobilier et l’agriculture. Thakkar affirme aujourd’hui être à la tête de 10 000 employés. Un chiffre un peu fantasmatique, qui ajoute au sentiment de quasi-méfiance que Thakkar suscite parfois dans le monde des affaires.

JA2818p076info1« C’est un vrai personnage. Il a réussi à se forger une image internationale, dont il sait jouer, ce qui l’aide beaucoup dans ses affaires », confie un homme d’affaires indien d’Afrique de l’Est, refusant de s’étendre davantage sur le sujet. « Il y a encore cinq ans, il ne possédait pas grand-chose, soutient un financier qui le connaît bien, confirmant la spectaculaire ascension de Thakkar. Depuis, il a multiplié les projets mais il n’est clairement pas milliardaire. En tout cas, pas encore. » Son inscription au Global Speakers Bureau, annuaire international d’intervenants pour les conférences, laisse à penser qu’il se fait parfois rémunérer pour ses discours. Pas vraiment le propre d’une grande fortune…

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C’est un vrai personnage. Il a réussi à se forger une image internationale, dont il sait jouer, ce qui l’aide beaucoup dans ses affaires.

Alliances

Le climat de défiance qui entoure l’homme semble entretenu par un malentendu sur la nature même de Mara. Plus qu’un groupe intégré, cette structure basée à Dubaï s’apparente à un holding d’investissement, ne contrôlant opérationnellement que quelques rares activités, et pas les plus importantes. En d’autres termes, Mara est vu comme le « partenaire africain ».

« Je ne suis pas un gestionnaire, présent au jour le jour, confirme Ashish Thakkar. Mon ambition est d’être le partenaire africain des compagnies internationales, à condition que celles-ci aient un impact social, qu’elles changent les règles du jeu dans le secteur où elles opèrent et, idéalement, qu’elles désirent être actives dans plusieurs pays du continent. » Miguel Azevedo, banquier d’investissement chez Citi, ajoute : « C’est un entrepreneur, quelqu’un qui permet aux choses de se faire et aux dossiers d’aboutir. Il rassemble des gens, des opportunités, et il trouve les bons managers pour s’en occuper. »

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Son alliance avec le banquier Bob Diamond, avec qui il a créé le holding Atlas Mara fin 2013 et qui a déjà consacré plus de 500 millions de dollars à des acquisitions de banques en Afrique, l’a propulsé jusque dans les pages du Financial Times. Son association avec le conglomérat pakistanais Ghani Group pour la création de l’usine de verre Egi MJG Float Glass au Nigeria est restée plus discrète. Mais l’entrée en production de celle-ci, début 2016, devrait l’être moins.

Et c’est encore à une alliance que Thakkar doit son véritable décollage entrepreneurial. Début 2010, il rencontre Ramesh Awtaney. Ce dernier vient de quitter IBM, où il s’est fait connaître pour avoir mis en place des contrats de sous-traitance de 8 milliards de dollars, dont le contrat Bharti Airtel, une véritable référence dans l’industrie. « Nous nous sommes rencontrés par l’entremise d’un géant indien des infrastructures de télécommunications, se rappelle Ramesh Awtaney. Nos premières conversations concernaient la création d’une entreprise de gestion de tours. Ce projet n’a rien donné mais rapidement, nous en avons développé d’autres. J’avais besoin d’un partenaire africain et je suis heureux de mon choix. »

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Les deux associés créent ensemble Mara Ison, une société de services informatiques. Leader dans son domaine, l’entreprise, dont Thakkar est un actionnaire important, emploie aujourd’hui 500 personnes dans une vingtaine de pays africains. Thakkar figure également au tour de table de certains centres d’appels en Afrique de l’Est d’Ison BPO, un géant continental de 7 000 employés également créé par Ramesh Awtaney. L’Indien salue les qualités de son associé : « Il est extrêmement bien connecté, il a une vision très fine, très intelligente. Il est toujours là pour ouvrir des portes. »

Gourou

Ce disciple du « gourou » hindou Morari Bapu vante les vertus de la transmission et a mis en place dans plusieurs pays africains Mara Mentor, un dispositif de tutorat pour les créateurs d’entreprises. Dans le monde des affaires, « il joue avec ses forces : son influence et son charme », affirme Miguel Azevedo. De conférences en rencontres officielles, il soigne son image d’homme d’affaires à succès, facile d’accès.

Sur les réseaux sociaux, il se met en scène : tout sourire avec le président rwandais Paul Kagamé…

Sur les réseaux sociaux, il se met en scène : tout sourire avec le président rwandais Paul Kagamé, sur la piste de danse lors du lancement de la messagerie instantanée Mara Messenger, invité de la très hollywoodienne cérémonie de mariage de la fille de Bob Diamond dans un prestigieux hôtel du sud de la France… Et il ne manque pas de rappeler régulièrement sa future participation à l’aventure spatiale Virgin Galactic, pour laquelle il s’est engagé à payer un ticket de 200 000 dollars et qui pourrait faire de lui le deuxième astronaute du continent, après le Sud-Africain Mark Shuttleworth. « Je le fais autant pour l’expérience que dans le but de mettre l’Afrique sur le devant de la scène pour autre chose que les guerres et la famine », avait alors expliqué cet infatigable avocat du continent.

Cliquez sur l'imageCité en exemple par l’ancien président américain Bill Clinton lors du sommet États-Unis – Afrique d’août 2014, qualifiant « d’ignorante » une déclaration du magnat américain Donald Trump au sujet de la corruption « rampante » sur le continent, Ashish Thakkar bâtit pas à pas son image de défenseur du potentiel économique en Afrique. Et, incidemment, de partenaire de choix pour les investisseurs étrangers souhaitant s’y implanter… Pour veiller au grain, il peut compter sur sa garde rapprochée : son père et son épouse, la journaliste Meera Ashish, à l’origine de la Mara Foundation, mais aussi quelques recrues de choix comme Bradford Gibbs (un ancien de Morgan Stanley), Sriram Yarlagadda (ancien patron Afrique de Warid Telecom), Prashant Manek ou Hetal Shah.

« De petits business en petits business, il est en train d’en construire un de taille importante », lâche Miguel Azevedo. Difficile d’en savoir plus… Mara Group ne divulgue pas ses résultats financiers consolidés. Début 2014, Thakkar estimait toutefois auprès de J.A. que les différentes entités dans lesquelles son groupe est actionnaire généraient environ 400 millions à 500 millions de dollars de revenus. Un ensemble dont Thakkar ne possède qu’une petite part mais qui grandit de plus en plus vite.

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