Gambie : Ousman Sonko, l’ancien ministre de l’Intérieur de Yahya Jammeh, sera-t-il poursuivi pour crimes contre l’humanité ?

C’est une arrestation symbolique, venue mettre un terme aux 22 années d’impunité du règne répressif de Yahya Jammeh. Depuis le 26 janvier, le Gambien Ousman Sonko, ministre de l’Intérieur de 2006 à 2016, a maille à partir avec la justice helvétique, qui l’a placé en détention provisoire. Jeune Afrique a interviewé Philip Grant, le directeur de l’ONG qui a signalé sa présence aux autorités suisses.

Des Gambiens célèbrent la victoire de la coalition formée contre le président  Yahya Jammeh alors qu’un soldat monte la garde, à Serrekunda le 2 décembre 2016. © Jerome Delay/AP/SIPA

Des Gambiens célèbrent la victoire de la coalition formée contre le président Yahya Jammeh alors qu’un soldat monte la garde, à Serrekunda le 2 décembre 2016. © Jerome Delay/AP/SIPA

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Publié le 1 février 2017 Lecture : 4 minutes.

Une procédure inédite, initiée – une poignée de jours seulement après le départ en exil de l’ex-dictateur – par Trial International, une ONG basée à Genève qui lutte contre l’impunité des crimes internationaux et soutient les victimes dans leur quête de justice.

Démis de ses fonctions en septembre 2016, Ousman Sonko avait rapidement gagné la Confédération helvétique, où il espérait obtenir l’asile politique. Mauvaise pioche. Il lui est désormais reproché d’avoir – au minimum – cautionné des actes de torture. Mais la perspective d’une transmission prochaine du dossier au Procureur général de la Confédération laisse à penser que les faits pourraient être requalifiés en crimes contre l’humanité. Directeur de Trial International, Philip Grant revient pour Jeune Afrique sur ce précédent symbolique.

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Jeune Afrique : Dans quel contexte Trial International a-t-elle été à l’origine de cette procédure ?

Philip Grant : Courant janvier, nous avons été informés de la présence d’Ousman Sonko sur le sol helvétique. Il se trouvait en effet dans le canton de Berne [la capitale fédérale], où il avait entamé une procédure de demande d’asile. Nous avons par ailleurs reçu certaines informations sur le rôle qu’il avait pu jouer en Gambie en tant qu’ancien ministre de l’Intérieur. Nous avons ensuite mené notre propre enquête afin d’établir s’il avait, sinon directement ordonné, du moins laissé commettre des actes de torture en Gambie au cours des dix dernières années. Cela nous a convaincu qu’il existait suffisamment d’éléments probants pour demander à la justice d’ouvrir une enquête.

À quel titre  la justice helvétique est-elle compétente dans ce dossier ?

La Suisse a ratifié la Convention contre la torture. Elle s’est, de la sorte, engagée à poursuivre les suspects de torture du simple fait qu’ils sont présents, comme M. Sonko, sur son territoire. Et ce, même si les faits se sont produits à l’étranger et que tant le suspect que les victimes sont de nationalité gambienne.

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Dans ce dossier, la justice s’est montrée particulièrement diligente…

Le 25 janvier, nous avons adressé au Ministère public du canton de Berne une dénonciation pénale l’informant de la présence d’Ousman Sonko dans sa juridiction et des suspicions de crimes graves à son égard. Cela a très rapidement justifié l’ouverture d’une instruction pénale, puis conduit à son interpellation dès le lendemain. Le procureur a procédé à l’interrogatoire de M. Sonko, qui s’est vu attribuer un avocat commis d’office. Après quoi il a été déféré devant le tribunal, lequel a ordonné son placement en détention provisoire pour une période de trois mois. Un délai qui peut être renouvelé autant que nécessaire pendant la durée de l’enquête.

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De quoi est-il accusé ?

Pour schématiser, deux types de responsabilités peuvent être envisagées le concernant. D’abord une responsabilité directe, pour des actes de torture ou d’autres violations graves des droits humains qu’il aurait lui-même commises ou ordonnées. Nous nous sommes pour l’heure plutôt fondés sur un type de responsabilité plus indirecte, celle dite « du supérieur hiérarchique », qui consiste à tenir pour responsable de crimes commis par ses subordonnés un supérieur civil ou militaire s’il s’avère qu’il n’est pas intervenu pour y mettre un terme. Or nous avons pu documenter l’étendue des crimes perpétrés par l’appareil répressif et sécuritaire gambien, notamment par les  services placés sous les ordres de M. Sonko.

Nos sources montrent que l’impunité était généralisée : aucune procédure disciplinaire ou pénale n’a jamais été engagée contre les policiers impliqués dans ces actes de torture, dont l’ampleur était telle qu’il était impossible que l’intéressé ait pu les ignorer. Outre la torture, des organisations de défense des droits de l’homme font par ailleurs état d’exécutions sommaires ou de disparitions forcées.

La Suisse serait donc en pointe en matière de compétence universelle…

Elle a été l’un des premiers États à y recourir. Dès 1999, elle a condamné Fulgence Niyonteze, un bourgmestre rwandais impliqué dans le génocide de 1994. Depuis, notre pays s’est doté d’une législation très prometteuse au vu des standards internationaux. Le discours des autorités helvétiques sur la nécessité de rendre justice aux victimes de tels crimes est très volontariste. Mais on doit bien reconnaître qu’au plan interne, les moyens accordés aux autorités de poursuite sont insuffisants. Il est vrai que ce sont des enquêtes compliquées, qui prennent du temps et nécessitent des moyens conséquents.

À ce jour, d’autres poursuites sont-elles engagées contre d’anciens responsables gambiens ?

Un officier vient, semble-t-il, d’être interpellé au Sénégal mais je n’ai pas davantage d’informations sur son cas. Ce qui paraît sûr, c’est que le président Adama Barrow entend remettre le pays sur la voie de l’État de droit, ce qui induit notamment le retour de la Gambie à la Cour pénale internationale (CPI). D’autre part, l’annonce de la création d’une Commission Vérité et Réconciliation devrait permettre de faire la lumière sur les exactions du passé.

Votre démarche s’appuie-t-elle sur une concertation avec le nouveau régime ?

À ce stade, nous n’avons eu aucun contact avec les nouvelles autorités gambiennes. En revanche, nous avons été approchés par plusieurs Gambiens qui se réjouissent de l’arrestation d’Ousman Sonko, parmi lesquels des personnes qui nous ont indiqué que certains de leurs proches avaient été victimes de la répression sous son règne. C’est à la justice suisse, et non à l’ONG que nous sommes, qu’il reviendra de solliciter la coopération des autorités gambiennes, dans le cadre de l’entraide pénale internationale. Il est également envisageable que la Gambie sollicite prochainement l’extradition d’Ousman Sonko, auquel cas elle devra montrer qu’elle est capable d’organiser un procès respectant la présomption d’innocence et les règles élémentaires du procès équitable.

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