Maroc-Algérie : à Oujda, bienvenue chez les Bouteflika !

Le président algérien a vu le jour et a fait sa scolarité dans cette ville de l’Oriental marocain, avant de rejoindre les rangs du FLN. Retour sur l’enfance d’un chef.

La maison familiale, à l’angle de la rue Nedroma. © Hassan Ouazzani pour J.A.

La maison familiale, à l’angle de la rue Nedroma. © Hassan Ouazzani pour J.A.

FARID-ALILAT_2024

Publié le 23 septembre 2014 Lecture : 7 minutes.

Avec son imposante façade couleur saumon, son pied de mur rehaussé de pierres de taille, ses fenêtres et ses portes en fer forgé, elle ne passe pas inaperçue. Située à l’angle de la rue Nedroma, dans le quartier dit des Algériens, cette villa de 350 m2 avec patio, petit jardin et figuier a été restaurée il y a quelques années par le consulat d’Algérie à Oujda après avoir été longtemps laissée à l’abandon.

Les riverains en connaissent les propriétaires, mais ne les ont jamais vus y entrer ou en sortir. "C’est la maison de la famille Bouteflika, confirme le marchand d’oeufs qui habite en face. De temps à autre, un homme vient relever le courrier et repart. Mais le président algérien n’est plus revenu ici depuis son élection." Aucune plaque, donc, ni de nom sur la boîte aux lettres. Comme si la famille du chef de l’État algérien, aujourd’hui âgé de 77 ans, tenait à garder l’anonymat.

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Omission volontaire ?

À Oujda, distante d’à peine 5 km de la frontière avec l’Algérie, il ne reste, hormis cette maison familiale retapée à grands frais, que peu de traces des Bouteflika et de ses proches. À croire qu’on n’a pas voulu ou pu perpétuer le souvenir de sa présence, ni de celle de sa famille ou de ses nombreux compagnons de la guerre d’Algérie – que l’on continue d’appeler le clan d’Oujda. La plupart de ses anciens camarades de classe ou de jeu ne sont plus de ce monde. Quant à ceux qui sont encore en vie, beaucoup ont la mémoire qui flanche ou refusent poliment de s’épancher sur le sujet.

Omission ou volonté de gommer ses origines marocaines, la biographie officielle du président algérien ne fait aucune référence à son lieu de naissance. Ni même ne mentionne le nom de cette ville. Certains biographes ont même réécrit l’histoire pour le faire naître à Tlemcen. Et s’il lui arrive encore d’évoquer, comme il le fait souvent en présence de ses convives étrangers, son enfance et sa jeunesse à Oujda, il s’est toujours gardé d’aborder publiquement cette période de sa vie.

>> Lire aussi : les sept vies d’Abdelaziz Bouteflika

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Pourtant, c’est au 6 rue Nedroma, le 2 mars 1937, qu’est né Abdelaziz Bouteflika, fruit du mariage en secondes noces d’Ahmed Bouteflika avec Mansouria Ghezlaoui. Originaire de Tlemcen – des milliers d’Algériens de Nedroma, Chlef, Maghnia, Mascara ou Msirda s’étaient installés dans l’Oriental marocain à partir de 1850, après la défaite de l’émir Abdelkader contre les Français -, son père était mandataire au marché d’Oujda.

Le père de Bouteflika décédera une année après la naissance de Saïd, dernier de la fratrie et aujourd’hui influent conseiller du président.

"Il donnait aussi un coup de main à Hadj Boussif, président de l’Amicale des Algériens de la ville, qui gérait un hammam, se souvient Ahmed Belal, 70 ans, ancien maquisard. Il était en quelque sorte son trésorier." Si le hammam Boussif, situé à deux pas de la rue Nedroma, est toujours en activité, personne ne se souvient du passage du père de Bouteflika qui décédera une année après la naissance de Saïd, dernier de la fratrie et aujourd’hui influent conseiller du président.

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De l’autre côté de la vieille médina, existe un autre bain maure, le hammam Jerda. Selon une légende tenace, la mère du président, décédée à Alger en juillet 2009 à l’âge de 93 ans, tenait la caisse dans l’aile réservée aux femmes. Mais là encore, ni les registres de cet établissement fondé en 1907 ni les clients qui le fréquentent ne gardent trace de sa présence dans ces lieux.


Au côté de Houari Boumédiène, à l’Assemblée nationale algérienne,
le 29 septembre 1962. © Dalmas/Sipa

Mamma méditerranéenne

Typique mamma méditerranéenne, elle a beaucoup compté dans la vie de Bouteflika, qui lui vouait presque un culte au point de lui soumettre ses choix et ses décisions politiques. En 1994, elle lui avait déconseillé de prendre le pouvoir que les généraux lui avaient apporté sur un plateau, comme elle lui aurait suggéré de ne pas rempiler pour un troisième mandat en 2009. Sa soeur, Zhor, n’est pas en reste. Sage-femme de profession, elle a toujours pris soin de lui, lui mitonnant ses plats préférés et le veillant quand il aura à affronter la maladie.

À deux pas de ce fameux hammam Jerda se trouve Sidi Ziane, première école moderne, également fondée en 1907, juste après que la ville d’Oujda fut tombée aux mains des troupes du général Hubert Lyautey. C’est dans cet établissement, qui garde encore un cachet colonial avec son jardin et ses arbres fruitiers, qu’Abdelaziz Bouteflika fit ses premières classes, au milieu des années 1940, à l’instar de certaines personnalités, comme l’ancien Premier ministre du roi Hassan II Ahmed Osman, le philosophe Mohamed Allal Sinaceur ou l’économiste Aziz Belal, qui donnera plus tard au futur chef de l’État des cours d’économie.

"Bouteflika était un élève appliqué, se souvient El Hadj Belal, 71 ans, qui partage maintenant sa vie entre Oujda et Oran. Il a appris le Coran, maîtrisait l’arabe et le français, sans pour autant négliger le foot, sa grande passion." Il faisait aussi du théâtre au sein de la troupe de l’école. Porté sur la religion, le jeune Bouteflika fréquentait assidûment la zaouïa de la tariqa ("voie") Qadiriya, située à deux pas de Sidi Ziane. Ainsi s’explique, selon certains, le grand intérêt que porte encore aujourd’hui le chef de l’État algérien aux zaouïas, ces confréries religieuses qui le soutiennent depuis son accession au pouvoir, en 1999.


Originaire de Tlemcen, le père du président, Ahmed Bouteflika était mandataire
au marché d’Oujda. © Hassan Ouazzani pour J.A.

"Bouteflika était un brillant lycéen, charmeur, toujours bien sapé et politiquement engagé", se rappelle Mohamed, enseignant à la retraite, vieille connaissance de Chakib Khelil, ami d’enfance de Bouteflika et ancien ministre de l’Énergie tombé en disgrâce. "Ses yeux bleus lui viennent de son père, qui avait le même regard d’acier, se souvient l’ex-ministre Abdelhamid Temmar, autre natif d’Oujda. C’était un intellectuel, le seul d’entre nous à avoir choisi philo. Je me rappelle qu’il n’avait que peu de goût pour le sport. Il se faisait dispenser de gym chaque fois qu’il le pouvait. Seul le foot l’intéressait. C’était un très bon arrière gauche."

C’est au lycée Abdelmoumen d’Oujda, qui a vu défiler la crème de la future élite oujdie, que Bouteflika, à l’époque membre de la cellule de l’Istiqlal, parti nationaliste marocain d’Allal El Fassi, a achevé son cursus scolaire.

(Pour lire des informations sur les membres de la famille, passez votre souris sur les noms)

À peine le bac français en poche, il a rejoint les rangs du Front de libération nationale (FLN), en mai 1956, au lendemain de l’appel lancé aux étudiants algériens pour monter au maquis. Ami et confident de Boumédiène, il deviendra contrôleur de la wilaya V, avant d’être envoyé au Mali. "À l’époque, il n’était pas rare de voir Bouteflika dans les rues d’Oujda à bord d’une Peugeot 403 noire qui appartenait au FLN", confie encore Ahmed Belal. Devenu ministre à l’indépendance, l’homme a dû attendre son départ des affaires, en 1978, après la mort de Boumédiène, pour revenir dans sa ville natale, où il fit quelques séjours discrets pour se ressourcer. Et retrouver la maison où il avait grandi.

On les appelait le "clan d’Oujda"

"C’est dans cette chambre que les officiers algériens avaient installé le matériel d’écoute et de transmission qui avait servi au FLN et à l’ALN durant la guerre d’indépendance", raconte Ahmed Belal, qui nous a aimablement ouvert les portes de sa demeure, située rue Sidi-Boumédiène, dans le quartier Boudir d’Oujda. Outre Abdelhafid Boussouf, père fondateur des services de renseignements, et son adjoint Houari Boumédiène, chef d’état-major de l’armée des frontières, notre hôte se souvient d’avoir vu défiler chez lui le colonel Lotfi, Larbi Ben M’hidi et Bouteflika.

Ahmed Belal ne voit pas d’inconvénient à ce que les Algériens récupèrent cette maison pour en faire un musée dédié à ce pan de l’histoire de la révolution. "Aucun responsable n’en a fait la demande", se désole ce retraité de la fonction publique qui continue de se rendre régulièrement en Algérie pour des soins ou pour percevoir sa pension. Des six membres de ce qu’on a appelé "le clan d’Oujda" – Boussouf, Boumédiène, Kaïd Ahmed, Chérif Belkacem, Ahmed Medeghri et Bouteflika -, ce dernier est le seul survivant. Les autres lieux qui leur servirent de base arrière sont aujourd’hui habités par des Oujdis ou ont été récupérés par les autorités marocaines, comme le camp Ben-M’hidi, siège du commandement de l’état-major de l’ALN, devenu une caserne.

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