Najat Rochdi, de la Minusca : « En Centrafrique, il y a bien des volontés de massacre sur des bases ethniques et religieuses »

En Centrafrique, les humanitaires sont devenus les cibles de groupes armés, alors que leur travail est de plus en plus compliqué, du fait de l’augmentation de nombre de déplacés.

Najat Rochdi, représentante spéciale adjointe pour la Minusca et et coordonnatrice humanitaire en Centrafrique. © PNUD/CC

Najat Rochdi, représentante spéciale adjointe pour la Minusca et et coordonnatrice humanitaire en Centrafrique. © PNUD/CC

CRETOIS Jules

Publié le 10 août 2017 Lecture : 3 minutes.

La fonctionnaire, marocaine, est la représentante spéciale adjointe pour la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine (Minusca) et coordonnatrice humanitaire en Centrafrique. Alors que les travailleurs humanitaires sont des cibles régulières pour certains groupes armés, elle tire la sonnette d’alarme sur les velléités d’épuration ethnique observées dans le pays et sur le sort des déplacés internes.

Jeune Afrique : Quelles sont les retombées des récentes violences sur la population civile ?

Najat Rochdi : Le premier fait remarquable est l’augmentation brutale du nombre de déplacés. Avant la reprise de la crise, il y avait environ 400 000 déplacés intérieurs et 420 000 réfugiés vivant en dehors des frontières centrafricaines. Ces deux derniers mois, 100 000 personnes ont été jetées sur les routes. Cela porte à un demi-million le nombre de déplacés intérieurs. Aujourd’hui, il y a donc un cinquième de la population centrafricaine environ qui est déplacée ou réfugiée, et qui est donc d’autant plus difficile à assister.

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Depuis quelques jours, la presse parle de risques de « génocide » en Centrafrique. Est-ce un danger bien réel ?

C’est notamment Stephen O’Brien [le secrétaire général adjoint des Nations unies aux affaires humanitaires] qui a alerté à ce sujet, après sa visite dans le pays, notamment à Bangassou, il y a quelques semaines. Il faut savoir que dans cette ville, en ce moment, des milliers de musulmans sont encerclés par des combattants qui menacent de tous les assassiner et essaient d’empêcher les vivres d’arriver jusqu’à eux. O’Brien a aussi entendu des discours de haine, relayés par des personnes influentes à une échelle locale appelant à une sorte de nettoyage ethnique ou religieux, visant dans cette région les Peuls et les musulmans.

Dans cette ville, il y a donc bien des volontés de massacre sur des bases ethniques et religieuses. Mais c’est un engrenage global : ailleurs, ce sont les chrétiens qui sont visés. Des groupes armés commencent à s’organiser dans ce but : ils empêchent la nourriture d’arriver à certains endroits, poussent les civils à fuir… Face à cela, il faut tirer la sonnette d’alarme.

Ces poussées de violence compliquent-elles votre travail de manière concrète ?

Oui, beaucoup. Nous sommes obligés de mettre en place des ravitaillements par voie aérienne, ce qui augmente considérablement nos dépenses. Ces violences grèvent note budget de fonctionnement. Aujourd’hui, avec la crise sécuritaire, nous avons fait une nouvelle estimation au mois de mai environ : la situation humanitaire exigerait une enveloppe d’environ 500 millions de dollars. Nous tournons avec à peu près 24% de cette somme.

Par ailleurs, les violences touchent aujourd’hui de manière directe les humanitaires. En marge de combats entre anti-balakas et l’UPC, six volontaires de la Croix-Rouge centrafricaine ont été tués la semaine dernière à Gambo. Les groupes armés sont entrés dans un hôpital et ont délibérément visés des humanitaires.

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L’État centrafricain parvient-il à mettre en place des mécanismes visant à protéger et assister les populations ?

Je travaille beaucoup avec la ministre des Affaires sociales et de la réconciliation nationale, Virginie Baikoua. Nous essayons en effet de mettre en place des systèmes qui permettent à l’État centrafricain de reprendre la main, mais la poussée de violences nous oblige à parer au plus pressé. Malgré tout, nous lançons des projets tout à fait intéressants. À Bangui, depuis deux mois, un centre national accueille des femmes qui ont été victimes de violences sexuelles. Une cinquantaine de femmes fonctionnaires y travaillent, entre accueil, prise en charge, suivi, mais aussi enquêtes… Les victimes seront sans aucun doute au centre de la reconstruction de l’État de droit.

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