Nana-Jo N’Dow : « Il faut un maximum de témoignages de victimes de Yahya Jammeh »

Nana-Jo N’Dow, fille d’un opposant gambien disparu sous le régime de Yahya Jammeh, est une des figures de la campagne récemment lancée en Gambie pour juger l’ancien président, exilé en Guinée équatoriale depuis son départ du pouvoir, en janvier dernier. Interview.

Yahya Jammeh saluant ses derniers supporteurs avant de prendre l’avion pour Malabo en Guinée, le 21 janvier 2017. © Jerome Delay/AP/SIPA

Yahya Jammeh saluant ses derniers supporteurs avant de prendre l’avion pour Malabo en Guinée, le 21 janvier 2017. © Jerome Delay/AP/SIPA

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Publié le 30 octobre 2017 Lecture : 3 minutes.

Du 19 au 21 octobre, plusieurs ONG gambiennes et internationales de défense des droits humains se sont réunies à Banjul avec un objectif : parvenir à juger Yahya Jammeh pour les nombreux crimes présumés commis par son régime, de 1994 à 2017.

Nana-Jo N’Dow est la fille d’un ex-opposant à Jammeh, disparu en 2013. Avec d’autres victimes, elle se bat pour obtenir justice et pour que l’ex-président finisse devant un tribunal, comme le Tchadien Hissène Habré.

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Jeune Afrique : Qu’est-il arrivé à votre père, Saul Ndow, en 2013 ?

Nana-Jo N’Dow : Mon père était un homme d’affaires, notamment actif dans le domaine de l’import-export. Il était aussi un opposant à Yahya Jammeh. En avril 2013, il est allé à un rendez-vous d’affaires à Dakar avec Mahawa Cham, un ancien député. Nous avons ensuite perdu leur trace. Dans leurs auditions par les enquêteurs, Bubacarr Jarju et Suwandi Camara, deux anciens mercenaires à la solde de Jammeh, ont déclaré qu’ils avaient retrouvé Cham et mon père à Ziguinchor et qu’ils les avaient ensuite livré à des Jungulers [des « escadrons de la mort » à la solde de l’ex-président gambien] quelque part en Casamance. Pour le reste, nous ne savons pas ce qu’il s’est passé.

Pensez-vous qu’il puisse être toujours en vie ?

Non, je suis sûre qu’il a été tué. Mon père était voulu mort ou vif par Jammeh, qui le recherchait depuis des années. Parmi les Jungulers auxquels il a été livré, deux se trouvent aujourd’hui en Guinée équatoriale avec Jammeh. Et un troisième, le colonel Bojang, est recherché pour meurtres et tortures. Cela m’étonnerait que ces hommes aient gardé mon père en vie.

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Quels ont été les principaux crimes commis par le régime de Yahya Jammeh ?

Il y a eu de nombreux cas de disparitions forcées, de meurtres, de tortures… Environ 400 victimes se sont inscrites auprès du Centre gambien pour les victimes de violation des droits humains. Mais de nombreuses autres victimes ne se sont pas encore fait connaitre, en particulier dans les villages gambiens. Convaincre ces personnes de se mettre en relation avec l’association était un des objectifs de la conférence de presse que nous avons organisée le 21 octobre à Banjul. Nous avons aussi l’intention d’organiser des tournées dans les différentes régions de Gambie pour inciter les gens à nous rejoindre. Cela n’est pas facile, car nous partons de loin : certaines personnes ont toujours peur – ou honte – de dire qu’elles ont été victimes de Jammeh. La parole va mettre du temps à se libérer.

Les autorités gambiennes semblent se concentrer d’abord sur les questions de réconciliation nationale

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Comment comptez-vous procéder pour juger Yahya Jammeh ?

Il faut d’abord rassembler toutes les preuves contre lui. Il nous faut donc un maximum de témoignages de victimes. Nous allons mettre en place une base de données qui permettra aux victimes de s’inscrire facilement et de recenser les différents crimes qu’elles ont subis. Nous voulons aussi préserver leur anonymat quand elles le souhaitent, car certaines ne veulent pas que leur identité soit rendue publique.

La justice gambienne a-t-elle ouvert une enquête sur ces crimes commis par le régime Jammeh ?

Non. Les autorités gambiennes semblent se concentrer d’abord sur les questions de réconciliation nationale. Pour l’instant, poursuivre Jammeh en justice ne fait pas partie de leurs priorités.

Teodoro Obiang Nguema n’a rien à gagner à protéger Yahya Jammeh

N’est-il pas utopiste d’envisager un procès contre Yahya Jammeh tant qu’il bénéficie de la protection des autorités de Guinée équatoriale ?

Non, je ne pense pas. Je suis parfaitement consciente que cela va prendre des années, mais je pense que Teodoro Obiang Nguema n’a rien à gagner à protéger Yahya Jammeh. Sans oublier qu’il a aussi ses propres problèmes à gérer, comme la récente condamnation de son fils dans l’affaire des biens mal acquis en France.

Comment faire plier les autorités équato-guinéennes ?

Nous comptons solliciter l’Union africaine (UA) et tous les pays qui ont de l’influence sur Obiang. Nous allons essayer de lui imposer une pression judiciaire et financière de l’extérieur. Il finira par plier, car Jammeh ne lui apporte rien.

Espérez-vous organiser ce procès de Yahya Jammeh en Gambie ?

La majorité des victimes veulent que justice soit rendue dans leur pays. Elles souhaitent que ce procès se tienne en Gambie, autant pour y assister que pour le symbole que cela représente. Actuellement, la Gambie n’est pas encore prête à organiser un tel procès, mais elle le sera peut-être dans quelques années.

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