Algérie : au secours, le FIS revient !

Principal responsable de la décennie noire dans la mémoire collective, le Front islamique du salut (FIS) continue de hanter les esprits. Pourtant, la réhabilitation de ses anciens dirigeants est désormais d’actualité.

Ali Djeddi (à g.) avec le laïc Saïd Sadi, le 10 juin, à Zéralda. © DR

Ali Djeddi (à g.) avec le laïc Saïd Sadi, le 10 juin, à Zéralda. © DR

Publié le 30 juin 2014 Lecture : 5 minutes.

Depuis l’instauration, en 1989, du multipartisme, le Front islamique du salut (FIS), parti dissous par la justice en mars 1992) s’est invité dans le débat politique à l’occasion de chacune des trois révisions constitutionnelles qu’a connues l’Algérie : en 1996, en 2002 et en 2008. Il n’y a pas eu d’exception à la règle. L’amorce, le 1er juin, du processus de concertation nationale autour de la nouvelle Constitution – laquelle est censée fonder la IIe République promise par Abdelaziz Bouteflika lors de la dernière campagne présidentielle – a immanquablement relancé le débat autour du FIS, et plus précisément de la réhabilitation de ses dirigeants.

À qui la faute ? Au pouvoir ? À l’opposition ? Sans doute aux deux. Le premier a pris l’initiative d’inviter à la concertation deux membres fondateurs du "parti dissous" : le prédicateur Hachemi Sahnouni et Abdelkader Boukhamkham (ce dernier a décliné l’invitation, car il avait été sollicité en sa qualité de personnalité nationale et non en tant qu’ancien dirigeant du FIS, comme il se définit), ainsi que l’ex-seigneur de guerre Madani Mezrag, ex-patron de l’Armée islamique du salut (AIS, branche militaire du FIS, autodissoute en 2000), signataire avec l’armée, en 1997, d’une sorte de paix des braves, transformée quelques années plus tard en Concorde civile, puis en charte pour la paix et la réconciliation nationale.

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Quant à l’opposition, divisée comme jamais, ses différentes déclinaisons s’accordent sur un point : le retour des anciens du FIS est l’une des conditions d’une sortie durable de la crise politique.

Conférence nationale pour la transition démocratique

Regroupant les partis qui ont appelé à boycotter les élections, ainsi que des personnalités nationales, comme les anciens Premiers ministres Ali Benflis, Mouloud Hamrouche et Ahmed Benbitour, le doyen de la lutte pour les droits de l’homme Ali Yahia Abdennour, ou encore l’ex-président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, laïc) Saïd Sadi, la Coordination nationale pour les libertés et la transition démocratique (CNLTD) a organisé, le 10 juin, à Zeralda, station balnéaire à l’ouest de la capitale, une conférence nationale pour la transition démocratique, à laquelle a été convié Ali Djeddi, ancien dirigeant du FIS. Et si Ali Benhadj, ex-vice-président du parti et prédicateur de choc dans les années 1990, n’a pas fait le déplacement, "c’est pour éviter de porter préjudice à l’initiative de l’opposition", explique-t-il sur son compte Twitter (@alibenhadj).

Le FIS, un détail de l’histoire ?

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Les autres pôles de l’opposition ne sont pas en reste. Leader du contre-pouvoir au sein des institutions, Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des travailleurs, exige "une solution globale à travers un dialogue inclusif". Comprendre : en y associant l’ex-FIS. Les Frères musulmans, qui ont éclaté en plusieurs formations politiques, réclament également la réhabilitation du "parti dissous".

Abderrezak Mokri, président du Mouvement de la société pour la paix (MSP, maison mère des Frères musulmans), va jusqu’à s’interroger : "Est-il bon pour l’Algérie de s’arrêter sur le détail du FIS en laissant tranquilles ceux qui dilapident les richesses du pays ?" Le FIS, un détail de l’histoire ? Seule exception au sein des Frères : Amar Ghoul. Le patron du Rassemblement Espoir de l’Algérie (TAJ), fidèle allié de Bouteflika, s’est prudemment abstenu d’évoquer le sujet.

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Le retour des fantômes du passé n’est pas de la seule responsabilité du pouvoir et de l’opposition. Les "islamistes dissous" ont toujours excellé dans l’art de communiquer, même si, officiellement, ils n’ont aucune existence légale. Ainsi Ali Benhadj, interdit d’activité politique sur décision de justice, ne rate-t-il pas une occasion de se rappeler au bon souvenir du pouvoir. Aucune manifestation de l’opposition "légale" ou de syndicats autonomes n’échappe à son encombrante présence.

De même a-t-il brigué la magistrature suprême à trois reprises, tout en sachant que sa candidature serait immanquablement rejetée par le Conseil constitutionnel. Enfin, les soubresauts que connaissent les pays du Printemps arabe – Égypte, Syrie, Libye, Tunisie (son pays natal) – sont autant d’occasions pour lui de battre le pavé. Avec, à chaque fois, le même scénario. Il est interpellé, emmené au commissariat, puis relâché quelques heures plus tard. À force de récidive, le Savonarole de l’islamisme triomphant des années 1990 passe aujourd’hui pour un bouffon maladroit.

Du FIS d’hier, il ne reste que la chaîne de télévision Al Magharibia – basée à Londres et propriété d’Oussama Abassi, fils de Madani, ex-numéro un du FIS, aujourd’hui exilé au Qatar -,  qui constitue, malgré sa faible audience, la seule force de frappe de l’ex-parti islamiste.

Une influence très relative

"Il est peu probable qu’un FIS réhabilité retrouve le poids électoral de ses débuts", tempère Me Miloud Brahimi, ancien président de la Ligue des droits de l’homme. Principal responsable de la tragédie nationale (la guerre civile des années 1990) dans la mémoire collective, il ne bénéficie plus des conditions qui ont présidé à ses succès électoraux. Son slogan "l’islam est la solution" est définitivement passé de mode.

En outre, ses capacités de mobilisation dépendaient de mosquées qu’il ne contrôle plus. Par ailleurs, sa direction est vieillissante et ses fondateurs, jadis militants aussi démunis qu’exaltés, sont tous devenus de prospères barons de "l’import-import". Son appel à prendre les armes contre la République et son slogan "la démocratie est kofr ["mécréance"] car la souveraineté n’appartient pas au peuple mais à Dieu" avec, à la clé, 200 000 morts et des centaines de milliers de veuves et d’orphelins, ont fini par avoir raison de sa base électorale.

Quant à son influence sur les groupes armés, elle est très relative. Depuis qu’ils ont fait allégeance à Al-Qaïda, en septembre 2006, les maquisards qui se réclamaient du FIS ont désormais pour références Ayman al-Zawahiri et Abou Bakr al-Baghdadi plutôt qu’Abassi Madani ou Ali Benhadj. Privé de base militante et de branche militaire, le FIS continue pourtant de faire peur. Agité tantôt par les sécurocrates du pouvoir tantôt par les jusqu’au-boutistes de l’opposition, son spectre n’en finit pas de planer sur le débat politique.

Un seul courant, plusieurs emballages

L’article de la Constitution de 1996 interdisant toute référence religieuse dans le programme et l’intitulé des formations politiques n’a pas été amendé lors des révisions de 2002 et 2008. Cette mesure figure également dans la loi sur les partis adoptée par le Parlement en 2012. Il est donc peu probable qu’elle soit modifiée dans la nouvelle Constitution, en préparation.

Mais les formations du courant islamiste se sont adaptées à la législation en changeant leur nom et leur statut. Ainsi, le Hamas, de feu Mahfoud Nahnah, s’est-il, tout en conservant son acronyme arabe d’origine, rebaptisé Mouvement de la société pour la paix (MSP). D’autres ont pu conserver leur label, voire leur nom, comme El-Islah ("la réforme"), devenu Mouvement pour la réforme nationale (MRN), et Ennahda.

L’hémorragie qui a affecté le MSP a donné naissance à deux nouvelles formations : le Front du changement (FC), d’Abdelmadjid Menasra, et le Rassemblement Espoir de l’Algérie (TAJ), d’Amar Ghoul. Quant à Abdallah Djaballah, évincé d’Ennahda puis d’El-Islah, il a baptisé son parti le Front pour la justice et le développement (FJD). À Alger, les paris sont déjà ouverts pour imaginer le nouveau sigle de l’ex-FIS, qui devrait ressembler à s’y méprendre à l’original.

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