Jeunes tués en Casamance : « L’hypothèse d’un conflit autour du trafic de bois est crédible »

L’armée sénégalaise poursuit ses opérations en Casamance, pour retrouver les auteurs du massacre de 14 jeunes bûcherons, samedi dernier, dans la forêt de Bourofaye. Si le mobile du meurtre demeure incertain, certains indices laissent à penser qu’il pourrait être lié au trafic illicite de bois dans la région. Une hypothèse jugée crédible par Haïdar El Ali, militant écologiste et ancien ministre de l’Environnement, qui appelle à une criminalisation de la coupe illégale de bois.

Haidar El Ali chez lui, près de Ziguinchor, en Casamance, en mai 2015. © Sylvain Cherkaoui pour Jeune Afrique

Haidar El Ali chez lui, près de Ziguinchor, en Casamance, en mai 2015. © Sylvain Cherkaoui pour Jeune Afrique

Publié le 12 janvier 2018 Lecture : 6 minutes.

Le meurtre d’un groupe de jeunes villageois par des hommes armés, samedi 6 janvier dans la forêt de Borofaye, en Casamance, a provoqué une vive émotion dans le pays. Depuis 2012, le calme était en effet revenu dans cette région marquée par un conflit qui perdure depuis plus de 35 ans entre différentes factions indépendantistes et les autorités de Dakar.

« Des blessés cherchant à s’enfuir ont été achevés »

Les faits se sont produits dans la forêt classée des Bayottes, où le trafic de bois est interdit. Un groupe de jeunes villageois a été attaqué par plusieurs hommes armés, qui n’ont pour l’instant pas été identifiés. « J’ai été arrêté par deux hommes armés dans la forêt. Ils m’ont contraint à leur remettre mon téléphone et à rejoindre d’autres personnes qui avaient été arrêtées avant moi », a raconté un rescapé, Amadou Diallo.

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« Ils m’ont emmené en profondeur (dans la forêt) où attendait le gros de la troupe, composée d’une vingtaine de gens armés. Ces derniers nous ont intimé l’ordre d’enlever nos chaussures et de nous coucher, puis ils ont tiré sur nous avant de se retirer. Moi, je n’ai pas été touché », a rapporté le jeune homme. « Des personnes blessées cherchant à s’enfuir ont été achevées. »

Un premier bilan faisait état de 13 victimes, mais un nouveau corps a été découvert, portant le bilan à 14 morts. L’armée sénégalaise a annoncé avoir déployé d’importants moyens sur le terrain pour « ratisser » la zone et retrouver les meurtriers. L’enquête n’a, pour l’instant, pas permis d’identifier les agresseurs.

Les meurtriers non identifiés

Dans un communiqué, l’une des branches des rebelles indépendantistes du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC), ont nié toute implication et condamné cette attaque. Ils ont également accusé des responsables administratifs et sécuritaires locaux d’être « à la tête d’un vaste réseau de coupe clandestine et de vente illicite du bois de teck ».

Haïdar El Ali, ancien ministre de l’Environnement de Macky Sall et militant environnementaliste de longue date qui a fait de la lutte contre la déforestation en Casamance l’un de ses principaux combats, revient pour Jeune Afrique sur le drame et, plus largement, sur le facteur d’instabilité que représente le trafic de bois dans cette région, enclavée entre la Gambie et la Guinée Bissau.

Les trafiquants ont coupé tellement d’arbres que les populations doivent s’aventurer dans des zones contrôlées par des groupes armés

Jeune Afrique : On évoque la possibilité d’un conflit autour du trafic illicite de bois, qui serait à l’origine du meurtre des 14 jeunes. Cette hypothèse vous paraît-elle crédible ?

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Haïdar El Ali : Il se pourrait bien que ces jeunes se soient malheureusement retrouvés face à des trafiquants qui leur ont tiré dessus. En Casamance, il faut bien comprendre que les ressources forestières (et halieutiques) sont en train de disparaître. Entre 2010 et 2015, environ 10 000 hectares de forêts sont partis en fumée. Une hécatombe principalement due aux activités d’une mafia chinoise très organisée, qui pille les forêts de Casamance. Résultat : les populations locales, dont beaucoup vivent de la coupe du bois, sont laissées sur la touche.

Dans la commune de Kolda – mais le même schéma se retrouve ailleurs – les trafiquants ont coupé tellement d’arbres que les populations locales doivent désormais s’aventurer dans des zones interdites contrôlées par des groupes armés. Ce qui occasionne forcément des tensions avec les trafiquants…

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Soupçonnés d’être impliqués dans ce massacre, les rebelles du MFDC ont évoqué pour leur part la responsabilité de fonctionnaires et de militaires « à la tête d’un vaste réseau de coupe clandestine ». Est-il déjà arrivé que des fonctionnaires soient impliqués dans ce trafic ?

Très souvent, car la coupe de bois représente une grosse manne financière. À titre d’exemple, on estime à 5 000 le nombre de conteneurs remplis de bois de vène en partance chaque année des ports gambiens pour la Chine. Cela représente environ 140 milliards de francs CFA. Avec de telles sommes, peut-on imaginer un seul instant qu’il n’y ait pas une complicité au plus haut niveau ?

Dans le cas gambien, ce trafic avait même été organisé par l’ancien président Yahya Jammeh en personne, à travers la société Westwood qui était dirigée par le Suisse Nicholae Bogdan Buzaianu.

Au Sénégal, les coupables sont connus. Mais tout le monde fait semblant de ne rien voir. Et pendant ce temps, les forêts sont décimées.   

Exploitations du bois en Guinée Bissau, pays frontalier de la Casamance où la Constitution interdit - en théorie - l'exportation de bois. © Sylvain Cherkaoui pour Jeune Afrique

Exploitations du bois en Guinée Bissau, pays frontalier de la Casamance où la Constitution interdit - en théorie - l'exportation de bois. © Sylvain Cherkaoui pour Jeune Afrique

Ce sont toujours les petits trafiquants que l’on arrête, jamais les gros poissons

Quelle est l’ampleur de la déforestation en Casamance ?

Dans les années 1950, on exploitait la forêt de Sébikotane, à 50 km de Dakar. Aujourd’hui, les pilleurs de forêts se sont déplacés à Kolda, en Casamance, à 700 km de la capitale. Entre-temps, le désert a progressé, avec un appauvrissement des sols et une disparition des pâturages pour le bétail.

Il y a environ un an et demi, avec mon association Oceanium, nous avions diffusé les images prises par un drone au-dessus du village gambien de Saré-Bodjo, à la frontière avec le Sénégal. C’était hallucinant, avec des files de camions de trente tonnes chargés de bois de vène en provenance des forêts de Casamance.

>>> A LIRE – Sénégal : Haïdar El Ali sonne l’alerte sur le pillage des forêts de la Casamance

Un autre exemple : lorsque j’étais ministre de l’Environnement, j’avais envoyé une équipe inspecter le poste de contrôle de Kaffrine, dans le centre-ouest du Sénégal. En l’espace de trois mois, ils avaient recensé 1 560 camions de trente tonnes chargés de bois de chauffe de Casamance. Dans le même laps de temps, on avait également compté 2 580 camions de charbon, alors que le quota annuel s’élève à seulement 3 000 camions.

C’est d’autant plus choquant que 80 % des permis d’exploitation proviennent de deux régions, Dakar et Diourbel, où il n’existe aucune forêt. En Casamance, les gens voient ainsi débarquer des camions en provenance de régions sans forêts.

Certes, c’est légal, car ces poids lourds disposent de permis. Par contre, dès que les populations locales coupent le moindre tronc, ils ont des problèmes avec les autorités.

le président gambien Adama Barrow et le Premier ministre chinois, Li Keqiang, en décembre 2017 à Pékin. © Nicolas Asfouri/AP/SIPA

le président gambien Adama Barrow et le Premier ministre chinois, Li Keqiang, en décembre 2017 à Pékin. © Nicolas Asfouri/AP/SIPA

La lutte contre le trafic de bois ne peut pas être l’affaire d’un seul gouvernement. Il faut renforcer notre coopération

Pourquoi les bois de Casamance sont-ils aussi prisés par les trafiquants ?

Les forêts de Casamance regorgent de bois de vène, assez semblable à celui du bois de rose de Madagascar. Les nouvelles classes moyennes chinoises en raffolent, ce qui occasionne une flambée des prix. D’où une très forte demande sur le marché international, qui alimente la déforestation illégale.

En 2016, l’État sénégalais avait annoncé des mesures fortes pour lutter contre la coupe illégale. Ces mesures ont-elles été suivies d’effets ?

Il y a eu des signes encourageants, à l’image du travail conjoint mené par les ministères de l’Environnement, de l’Intérieur et de la Défense pour renforcer leur présence sur le terrain. Des postes d’agents des eaux et forêts ont été créés dans des endroits où il n’y avait aucun contrôle. On constate aussi que les petits exploitants illégaux sont davantage ciblés par les autorités.

Il n’empêche : ce sont toujours les petits trafiquants que l’on arrête, jamais les gros poissons. Eux ont toujours les coudées franches pour mener à bien leurs affaires. La faute à notre législation actuelle, qui permet aux trafiquants de s’en tirer avec une amende. La mafia chinoise l’a d’ailleurs très bien compris : pourquoi écoper d’une lourde peine de prison pour trafic de drogues si l’on risque une simple amende pour coupe illégale de bois ?  

La chute de Yahya Jammeh avait laissé espérer des avancées dans la lutte contre le trafic de bois. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Dès son arrivée au pouvoir, le nouveau président Adama Barrow a fermé les dépôts de bois. Mais il les a rapidement rouverts pour une période d’environ deux-trois mois, avant de les refermer à nouveau.

En réalité, le trafic continue de plus belle, car la frontière entre nos deux pays est immense et poreuse. La lutte contre le trafic de bois ne peut pas être l’affaire d’un seul gouvernement. Il faut renforcer notre coopération.

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