Secteur pharmaceutique : « Il faut en finir avec l’actuel degré de complexité des chaînes d’approvisionnement »

Pour l’experte du cabinet Accenture Development Partnerships, la multiplicité des acteurs du secteur est à l’origine d’une grande partie des problèmes rencontrés par les patients africains pour accéder rapidement à des médicaments abordables et de bonne qualité. Elle préconise donc une restructuration de la filière, avec l’appui de capitaux privés.

Pharmacie à Yako © Renaud Van Der Meeren pour les Éditions du Jaguar

Pharmacie à Yako © Renaud Van Der Meeren pour les Éditions du Jaguar

Natasha Sunderji
  • Natasha Sunderji

    Responsable Santé mondiale pour le cabinet Accenture Development Partnerships

Publié le 17 janvier 2018 Lecture : 4 minutes.

En Afrique, les chaînes d’approvisionnement du secteur pharmaceutique comptent un grand nombre d’intermédiaires. Cette fragmentation pèse sur le prix payé par le patient, car chacun de ces intermédiaires prélève sa marge au passage. De ce fait, en dépit d’un coût de production bas, les médicaments vendus en Afrique subsaharienne sont souvent les plus chers au monde.

De ce fait, au Kenya, le prix final d’un médicament se décompose ainsi : 48 % pour le producteur, 22 % pour le grossiste, 21 % pour le détaillant et 9 % pour le reconditionnement de produit au niveau local. À titre de comparaison, la marge des grossistes aux États-Unis représente environ 4 % du prix final.

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La multiplicité des acteurs de la chaîne d’approvisionnement ralentit aussi énormément le cheminement des médicaments, comme on le voit par exemple au Mozambique, où les arrivages peuvent ainsi rester bloqués jusqu’à cinq mois dans un entrepôt. Ces ralentissements ne sont pas sans conséquence sur la qualité des médicaments, dont certains ont des durées de conservation limitées.

Nous avons besoin de grandes chaînes ayant les moyens de maîtriser leurs stocks

Les patients, ne parvenant pas à trouver sur le marché officiel le médicament dont ils ont besoin, vont alors se tourner vers le marché parallèle, et utiliser des médicaments de mauvaise qualité, voire contrefaits, ce qui peut avoir des conséquences dramatiques. Selon AfricaRenewal, les faux médicaments contre le paludisme et la tuberculose sont responsables à eux seuls d’environ 700 000 décès par an dans le monde.

>>> A LIRE – Dossier : Les laboratoires face aux trafics de faux médicaments

Si nous voulons réellement améliorer les conditions de vie en Afrique subsaharienne, il faut en finir avec l’actuel degré de complexité des chaînes d’approvisionnement, et consolider de grandes chaînes qui auront les moyens de maîtriser leurs stocks, de mettre en place des systèmes de traçabilité tout au long de la chaîne d’approvisionnement, garantissant la qualité des produits pharmaceutiques vendus au patient, tout en conservant un prix raisonnable.

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Le rôle de l’investissement privé

C’est ce qui s’est passé au Mexique, où le commerce pharmaceutique de détail, autrefois très éclaté, est désormais dominé par quelques grandes chaînes de pharmacies – dont Farmacias YZA (avec plus de 550 officines) et Farmacias Guadalajara (1 550 points de vente), tandis que les quatre plus grands distributeurs détiennent à eux seuls 58 % du marché et sont en mesure d’acheminer rapidement les médicaments et de réagir efficacement aux fluctuations de la demande.

Un réseau trop fragmenté ne peut être porteur d’innovations

Pour changer la donne et consolider la chaîne d’approvisionnement pharmaceutique, l’investissement privé a un rôle à jouer. LeapFrog Investments a par exemple investi dans la société Goodlife Pharmacy, une chaîne de pharmacie de détail qui touche aujourd’hui plus de 600 000 consommateurs, sur plus de 20 sites en Afrique de l’Est. Les capitaux apportés à Goodlife par LeapFrog vont permettre à la chaîne de déployer, dans les années à venir, une ambitieuse stratégie d’expansion au Kenya et au-delà – qui contribuera à faire émerger un grand acteur du secteur, porteur d’innovations qui ne pourraient pas venir d’un réseau fragmenté de centaines de petits détaillants.

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Pour les entreprises internationales, l’Afrique subsaharienne constitue une véritable zone de test – du fait de son contexte réglementaire, infrastructurel et des besoins de la population. La start-up Zipline, basée dans la Silicon Valley, a ainsi mis au point des drones avec système GPS intégré, susceptibles de livrer des colis équipés d’un parachute et pouvant peser jusqu’à 1,5 kg. Cette solution est actuellement utilisée au Rwanda pour acheminer des poches de sang et des vaccins dans les zones rurales.

Rationaliser les chaîne d’approvisionnement en substituant la technologie aux intermédiaires

Dans le même ordre d’idées, les autorités du Malawi et l’Unicef ont lancé un partenariat avec l’entreprise américaine Matternet pour tester l’utilisation de drones pour réduire les délais de dépistage du VIH chez les nouveau-nés.

À mesure que leur coût diminue, les drones et les autres innovations de ce type pourraient contribuer de façon importante à la rationalisation des chaînes d’approvisionnement pharmaceutiques (en particulier en se substituant aux intermédiaires), pour assurer à chacun des médicaments abordables et de qualité, et en permettant leur traçabilité.

À l’avenir, l’utilisation de solutions technologiques innovantes permettra sans doute de faire évoluer le business model du secteur et d’identifier les leaders du marché. En Afrique subsaharienne, ceux qui sauront reconnaître le potentiel du marché et qui agiront rapidement ne se contenteront pas d’en retirer des bénéfices financiers : ils contribueront aussi à sauver des millions de vies.

Ce texte est adapté d’une analyse publiée par la revue trimestrielle « Secteur privé & développement » de Proparco, filiale de l’Agence française de développement. Il est repris ici avec l’autorisation expresse de SP&D.
À suivre : Trois infographies pour comprendre l’explosion du marché du médicament sur le continent.

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