Bachir Ben Barka : « Mon père dérangeait la politique africaine d’Israël »

Le Mossad aurait joué un rôle-clé dans l’assassinat de Mehdi Ben Barka, selon un livre d’enquête du journaliste israélien Ronen Bergman, récemment publié aux États-Unis. Le fils de l’opposant marocain disparu en 1965 réagit à ces révélations.

Mehdi Ben Barka © AP/SIPA.

Mehdi Ben Barka © AP/SIPA.

CRETOIS Jules

Publié le 28 février 2018 Lecture : 5 minutes.

Jeune Afrique relevait dans sa dernière édition, la parution aux États-Unis le 30 janvier dernier de Rise and Kill First,  Prends l’initiative et tue le premier. Sous-titre de cette traduction d’un livre paru en hébreu : L’histoire secrète des assassinats ciblés d’Israël.

Son auteur, Ronen Bergman, est un journaliste israélien célèbre pour ses enquêtes sur les questions sécuritaires, nucléaires, ou encore son livre La Guerre secrète avec l’Iran. Dans son dernier ouvrage, il raconte l’histoire des assassinats ciblés organisés par le Mossad, le Shin Bet et le service de renseignements militaires.

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Ces derniers traquent à travers le monde leurs ennemis depuis des décennies, usant de moyens tout droit sortis de romans d’espionnage. Bergman revient notamment sur la disparition du dirigeant de la gauche marocaine et leader tiers-mondiste Mehdi Ben Barka, enlevé à Paris le 29 octobre 1965. L’enlèvement reste nimbé de mystères et la famille Ben Barka est toujours en quête de vérité.

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Le journaliste israélien, qui a eu accès à des sources rares au sein de l’appareil sécuritaire, assure que le Mossad a participé à l’élimination du leader marocain. Le fils de l’opposant, Bachir, Maître de conférences en mathématiques appliquées en France, milite activement, à la fois sur les fronts judiciaires et politiques, pour que l’enquête avance. Il co-anime notamment le Comité pour la vérité dans l’enlèvement et la disparition de Mehdi Ben Barka. Il revient ici sur « la piste israélienne » dont fait état Bergman.

Jeune Afrique : Le livre de Ronen Bergman apporte-t-il de nouveaux éléments qui changent votre perception des conditions de la disparition de votre père ?

Bachir Ben Barka : Pas complètement, tout simplement parce que Ronen Bergman écrit régulièrement dans la presse israélienne. En mars 2015, il avait déjà publié un article, avec un autre journaliste, dans le quotidien israélien Yedioth Aharonoth. Il s’agissait d’une enquête sur la possible implication du Mossad dans la disparition de mon père. J’étais d’ailleurs entré en contact avec lui par courrier électronique et nous avions échangé tous les deux. Le juge Cyril Paquaux, du tribunal de grande instance de Paris, avait de son côté envoyé une commission rogatoire en Israël, mais en vain…

Yasser Arafat, reçu par Hassan II à Rabat en décembre 1969. © Ministere de l’information du Maroc / Archives Jeune Afrique

Yasser Arafat, reçu par Hassan II à Rabat en décembre 1969. © Ministere de l’information du Maroc / Archives Jeune Afrique

Meir Amit, qui a dirigé pendant plusieurs années le Mossad, aurait entretenu un contact étroit avec Rabat

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Quand avez-vous, pour la première fois, entendu parler d’une possible implication d’agents israéliens dans la disparition de Mehdi Ben Barka ?

En 1967. Le New York Times avait alors repris des éléments parus dans le magazine israélien Bul en 1966. Le numéro en question avait été saisi et deux journalistes avaient comparu à huis clos devant un tribunal militaire. Les autorités françaises avaient tout de suite été alertées sur cette nouvelle piste.

Depuis, cette hypothèse revient de temps à autres. Un ancien membre du Mossad à Paris a, par le passé, fait des déclarations à la télévision qui allaient dans ce sens. Une des principales idées qui sous-tendent cette hypothèse est un soutien logistique des services israéliens aux services marocains en échange d’informations.

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Un des personnages-clés de l’enquête de Bergman est Meir Amit, qui a dirigé pendant plusieurs années le Mossad et qui aurait entretenu un contact étroit avec Rabat. Le journaliste cherche aussi à savoir si le chef du gouvernement d’alors, Lévi Eshkol, était au courant des projets d’Amit…

Les échanges passaient, selon Bergman, par l’intermédiaire d’Ahmed Dlimi, un général des forces armées marocaines, décédé en 1983. Cela correspond-il aux éléments déjà connus ?

Un certain nombre de pistes avancées par Bergman concordent avec d’autres, plus anciennes. Cela fait déjà un certain temps que l’on soupçonne les services marocains d’avoir permis à leurs homologues israéliens d’écouter les débats et les conversations des chefs d’État réunis lors d’un sommet de la Ligue arabe, en septembre 1965 à Casablanca. Et le nom de Dlimi revient souvent.

Existe-t-il des discordances avec les récits précédents ?

Il y a effectivement des différences, ça et là. Tout démêler est compliqué. Bergman, dans ses articles pour la presse israélienne, avançait que Dlimi était à Paris le 29 octobre 1965, le jour de l’enlèvement de mon père. Or il semblerait qu’il était plutôt à Alger à cette date.

Et Bergman parle parfois d’un appartement où aurait été emmené mon père ; mais d’autres récits concordants assurent qu’il aurait en fait été conduit dans une villa. Le problème est que nous savons que de fausses pistes sont parfois disséminées pour nous induire en erreur ou nous inciter à renoncer à chercher.

Mehdi Ben Barka (g.), avec le Premier ministre libyen après la conférence de Tanger (du 27 au 29 avril 1958). © Studio Kahia / Archives Jeune Afrique

Mehdi Ben Barka (g.), avec le Premier ministre libyen après la conférence de Tanger (du 27 au 29 avril 1958). © Studio Kahia / Archives Jeune Afrique

Ben Barka a présenté un rapport pour déciller les yeux des dirigeants arabes et en finir avec la politique de l’autruche

Pourquoi les services israéliens auraient-ils été les instruments de l’assassinat de votre père ?

Bergman, qui est un excellent journaliste, se concentre sur les renvois d’ascenseur entre services marocains et israéliens. C’est quelqu’un qui critique certaines pratiques des services mais n’aborde pas les questions politiques. Il ne parle pas du fait que Mehdi Ben Barka était devenu une épine dans le pied des autorités israéliennes.

En effet, lors d’un colloque international au Caire, en avril 1965, il avait décidé de mettre sur la table la question de la politique africaine d’Israël. Les Israéliens, déjà très proches de l’Afrique du Sud, essayaient de se rapprocher d’autres capitales africaines, y compris celles considérées comme progressistes, notamment en y expédiant des experts en agriculture.

L’Organisation de l’Unité africaine préférait s’abstenir de condamner trop durement la politique israélienne en Palestine. Ben Barka a présenté un rapport à ce sujet, pour déciller les yeux des dirigeants arabes et en finir avec la politique de l’autruche. Ils les incitaient à l’action sur le continent africain.

On sait aujourd’hui que cela a été très mal pris en Israël, dont des dirigeants de premier plan comme David Ben Gourion plaidaient ouvertement pour un rapprochement avec des pays africains.

Bergman sous-entend que les agents du Mossad pourraient avoir soufflé l’idée de tendre un piège à Mehdi Ben Barka, sous forme d’un tournage de film documentaire. Est-ce plausible ?

Pour moi, l’idée de piéger mon père en lui proposant de s’associer au projet du documentaire de « Basta ! » émanait des Marocains, et plus précisément du fameux « Larbi Chtouki », un officier des services de renseignement. Mais je ne remets pas en cause, en bloc, l’hypothèse de Bergman : les Israéliens pourraient bien leur avoir soufflé l’idée.

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