La victoire en pleurant

Publié le 30 juin 2003 Lecture : 5 minutes.

Soudain, là-bas, au milieu du terrain, une longue silhouette s’effondre sur la pelouse de Gerland, à Lyon, les bras en croix. Seul. Sans le moindre accrochage avec un adversaire. Une scène comme on en voit peu sur les terrains de foot. Le n° 17 des Lions indomptables du Cameroun, Marc-Vivien Foé, Marco pour les coéquipiers et les amis, qu’on avait vu quelques minutes plus tôt lancé dans une longue chevauchée sur l’aile droite de la défense colombienne avant de se faire sécher sans dommages, gît, inerte, la tête légèrement penchée sur la droite, les yeux révulsés. Autour de lui, l’arbitre, mais aussi des joueurs colombiens, les premiers à demander les secours. Les secondes défilent, éternelles. L’arbitre se résout à se servir de son sifflet pour que les brancardiers s’ébranlent. Un corps quitte le terrain sur une civière qui manque de tomber.
Il est 19 h 36 à l’horloge de Gerland, ce jeudi 26 juin. Le match reprend. Ailleurs, sur la touche, puis dans les entrailles du stade, un autre s’engage, celui des médecins qui essaient de ranimer le Lion. Quarante-cinq minutes plus tard, ils avaient match perdu. L’annonce en est faite par le docteur Alfred Müller de la Fédération internationale de football (Fifa) devant un parterre de journalistes stupéfaits : « Foé est mort. Son coeur s’est arrêté de battre. On a essayé de le réanimer pendant quarante-cinq minutes, mais il n’y a pas eu de réaction… On l’a transporté au bloc réanimation du stade, mais ça n’a pas suffi. »
Marc-Vivien Foé avait 28 ans depuis le 1er mai. Celui qui n’aimait pas parler s’est définitivement tu. Stupeur à Gerland. « Sur la pelouse, rapporte l’envoyé spécial du quotidien L’Équipe, une infirmière psychiatrique s’occupe déjà de son fils, présent, comme toute sa famille, pour cette demi-finale de la Coupe des confédérations. »
La victoire et le deuil. Les Lions indomptables ont eu raison de la Colombie presque en même temps qu’ils apprenaient la mort du plus féroce d’entre eux, l’un de leurs éléments les plus dévoués. Un grand porteur d’eau, un joueur de devoir mais non sans caractère dans l’entre-jeu, toujours disponible, un Lion à l’allure dégingandée, plein d’endurance et d’abnégation, leur manquera pour écrire une autre page de leur épopée, celle qui a fait d’eux les meilleurs ambassadeurs de leur pays et de toute l’Afrique. Car Marc-Vivien Foé, à quelques exceptions près, a été de toutes les campagnes. Continentales et mondiales. De tous les échelons de la sélection nationale aussi, des cadets, dès 1990, alors qu’il brillait dans les compétitions scolaires à Garoua, dans le nord du Cameroun, à l’équipe première, en 1994 – à 18 ans -, en passant par les juniors (il y a retrouvé l’actuel capitaine des Lions, Rigobert Song) entraînés par une gloire du ballon rond camerounais Jean Manga Onguéné, qui les a menés au titre de champion d’Afrique en 1991. Sans oublier les espoirs.
Jusqu’au bout, Foé est resté attaché aux couleurs nationales (il les aura portées soixante-trois fois), comme, au Cameroun, il est resté fidèle à deux clubs : Fogape et Canon de Yaoundé. C’était un sentimental dévoué à son terroir. « À la fin de ma carrière, rêvait-il, fin 1998, je compte bien retourner vivre au pays, même si les enfants poursuivent leurs études en Europe. J’irai au village m’occuper de mes plantations. » À Yaoundé, il était en train de faire construire un centre de formation. En 1994, avec le soutien de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il s’était déjà investi dans des campagnes de lutte contre la poliomyélite dans son pays et au Burkina. Tout simplement « parce que je suis devenu footballeur grâce à mes deux pieds et mes deux jambes. Il s’agit d’amener le maximum de parents à faire vacciner leurs enfants afin de leur éviter d’être frappés par cette terrible maladie et pouvoir, peut-être, devenir une star du football… » Ce que n’est jamais devenu ce gaillard de 1,90 m pour 85 kilos, effacé au point de passer pour un timide, qui ne détestait rien tant que les micros et les caméras, le père d’une famille de trois enfants soucieux de préserver l’intimité des siens, qui vivent à Lyon, où il possède une maison, persuadé que la gloire peut être le deuil du bonheur.
Marié très jeune, il n’était pas féru de troisièmes mi-temps et s’en excusait presque : « Je ne suis pas un fêtard. Je n’ai jamais été porté sur les sorties et les boîtes de nuit. Mon mariage avec Marie-Louise se situait dans cette continuité. » Tout l’enfant de Nkolo, où il est né le 1er mai 1975, est dans ces propos tenus à Afrique Magazine, en novembre 1998. Il était alors sociétaire du Racing Club de Lens, où il avait retrouvé, quatre ans plus tôt, son compatriote François Omam Biyick, avant de découvrir le championnat anglais à West Ham, fin 1999, et de revenir en France, à Lyon, qui le prête pour la saison 2002-2003 à Manchester City et qui devait le récupérer après cette Coupe des confédérations. Il n’en sera rien pour les champions de France, un titre qu’ils avaient déjà remporté avec lui la saison précédente et qu’ils espéraient conserver grâce à lui.
Ils devront, et avec eux bien d’autres, porter le poids du deuil et celui de nombreuses questions. Marc-Vivien a-t-il succombé à un arrêt cardiaque ? À une rupture d’anévrisme ? Était-il un peu souffrant avant d’être retenu pour ce match, comme le bruit en a couru ? Comment les examens poussés auxquels est soumis tout sportif de haut niveau n’ont pu rien déceler auparavant ? L’a-t-on fait trop jouer ? Le calendrier en exige-t-il toujours davantage des joueurs ? Pour une fois, saura-t-on exactement la vérité médicale ? Nul doute que les conclusions de l’autopsie sont attendues et alimenteront les « escales » (comme on appelle les « maquis » au Cameroun) de Douala, Yaoundé et ailleurs sur le continent. Maigre consolation. Car les mêmes interrogations ont déjà couru dans le monde du football africain et demeurent jusqu’ici sans réponse.
En août 1989, le Nigeria, qui recevait à Lagos l’Angola en phase éliminatoire de la Coupe du monde, perdait Samuel Okwaraji, 25 ans, foudroyé en pleine rencontre. En 1997, au cours du match amical Espérance de Tunis-Olympique lyonnais, le talentueux latéral gauche tunisien Hédi Benrekhissa devait connaître la même fin, fauché en plein effort. Dans un cas comme dans l’autre, on se demande encore pourquoi et comment. En sera-t-il de même pour Marc-Vivien Foé ? La Fifa veut en tout cas prendre les devants. Dès le lendemain du décès, elle revenait avec force détails sur les circonstances, depuis les premiers soins jusqu’à l’arrivée du Lion (encore vivant) dans la salle de soin du stade, aussi bien équipée que l’hôpital, où il a été placé sous perfusion et sous oxygène. Et la Fifa de préciser : Quand le coeur a cessé de battre, « un traitement de réanimation a immédiatement commencé. Suivi d’un massage cardiaque. Le joueur est intubé puis placé sous assistance respiratoire, avant de recevoir un traitement d’électrochocs et un traitement médical intraveineux… »
Reste que, révèle la Fifa : « Le joueur souffrait de diarrhées deux jours plus tôt. À Saint-Étienne [non loin de Lyon], un diagnostic a été fait à l’hôpital après un test sanguin et les résultats étaient normaux. Il a été confirmé qu’il n’y avait aucune infection. Le traitement était constitué d’une perfusion de NACL et d’Imodium. Le soir du 25 juin, le joueur se sentait bien… » Le lendemain, il était mort…

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires