Michel Ocelot met l’Orient en 3D

Après Kirikou, le réalisateur français s’est lancé dans une nouvelle technique d’animation avec Azur et Asmar. Interview.

Publié le 29 janvier 2007 Lecture : 4 minutes.

Le succès de Kirikou et la sorcière, premier long-métrage du réalisateur Michel Ocelot, annonçait en 1998 le début d’une nouvelle ère pour le cinéma français d’animation. Ocelot mène alors en parallèle la réalisation d’une suite à Kirikou, et la concrétisation d’un nouveau projet personnel, Azur et Asmar. Six années furent nécessaires pour créer ce conte oriental ambitieux, bilingue français et arabe. L’histoire est celle de deux enfants élevés par la même nourrice. Azur, un garçon blond aux yeux bleus, est issu d’une famille riche ; Asmar, brun aux yeux noirs, est le fils de la nourrice maghrébine. Ce long-métrage a fait appel à des images de synthèse 3D. Une première pour Michel Ocelot, habitué à des techniques d’animation plus classiques.

Jeune Afrique : En 2006, plus d’une douzaine de longs-métrages d’animation à gros budgets ont été produits aux États-Unis, tous en 3D. Reste-t-il une place pour l’animation traditionnelle ?
Michel Ocelot : De même que la photo n’a pas remplacé la peinture, l’animation traditionnelle aura toujours une place face à l’informatique. Par exemple, U, le nouveau dessin animé de Solotareff et Elissalde, utilise un dessin au trait pas du tout réaliste, mais le spectateur y croit parfaitement. Sans rejeter définitivement les autres techniques, je me suis mis à la 3D pour expérimenter un nouveau support et pour gagner un peu de temps. Une des commodités du numérique est de permettre de corriger sans tout remettre en question. La 3D m’a permis entre autres de célébrer dans Azur et Asmar les bijoux berbères, leur splendeur, leur brillance et leurs mouvements. C’est d’une complexité impossible à atteindre par le dessin animé classique, même pas par les studios Disney de la grande époque.
Existe-t-il une spécificité de l’animation française ? À quelles conditions peut-elle avoir une audience internationale ?
Notre spécificité est peut-être d’être conscients d’une longue et riche histoire, qui est naturellement en nous, ce qu’on appelle la culture. C’est une palette dans laquelle puiser. La spécificité qu’on doit conserver, c’est le travail autonome et personnel, au lieu d’appliquer des recettes et d’obéir à des lois commerciales. De mon côté, j’ai toujours fait ce en quoi je croyais. Par exemple, j’ai représenté l’enfant Kirikou tout nu, et les femmes du village torse nu, malgré bien des oppositions. Mais c’était un message de santé et d’équilibre que je voulais transmettre de l’Afrique de mon enfance.
De même, Azur et Asmar est en français et en arabe, cette dernière langue n’étant pas sous-titrée, car je trouve intéressant de présenter une autre langue aux enfants, qui reste incompréhensible comme pour recréer l’embarras des émigrés. L’histoire, elle, reste tout le temps compréhensible. Je pense que ce genre de démarche volontaire, différente et sincère peut parler au monde entier.
Vous avez vécu une partie de votre vie en Guinée. Avez-vous également une expérience personnelle du Maghreb ?
Mon enfance passée à Conakry a été très riche, et l’envie d’un film en Afrique noire était en moi naturellement. En revanche, pour Azur et Asmar, je ne pensais pas au Maghreb au départ. Mon sujet était les gens qui ne s’entendent pas, qui se font la guerre, partout dans le monde, phénomène qui me préoccupe et m’épuise. Petit à petit, j’ai abandonné cette idée de guerre pour m’attacher davantage au quotidien des Français, à la mauvaise entente entre citoyens installés et citoyens récents, applicable à bien d’autres pays. En France, les citoyens récents étant majoritairement maghrébins, j’ai donc fait un film essentiellement maghrébin. J’en ai profité pour célébrer la brillante civilisation islamique du Moyen Âge. Selon moi, il existe une seule civilisation occidentale, qui a pris naissance en Mésopotamie, et qui est allée et venue autour de la Méditerranée sans qu’il y ait jamais de rupture.
Quand le monde romain s’est effondré, le monde islamique a repris le flambeau, qui a brillé de mille feux avant d’éclairer à nouveau l’Occident, passant par l’Andalousie et la Sicile. Azur et Asmar utilise des éléments maghrébo-andalous, et d’autres venus de l’Égypte, de la Syrie, du Liban et de la Turquie. Certains costumes sont maghrébins, ceux des garçons sont perses. Avant de me mettre au travail, je suis allé dans trois pays du Maghreb, d’où j’ai rapporté un carnet de voyage sous forme de photographies et de dessins. Mais je me suis surtout appuyé sur une bibliothèque de beaux-livres et Internet.
Pensez-vous qu’un nouvel âge d’or du monde arabe soit possible ? Quel serait le rôle de l’Europe ?
J’appelle ce nouvel âge d’or de mes vux, mais je ne le vois pas se dessiner. J’admire, par exemple, le Bagdad de la première moitié du Xe siècle. On y traduit à tour de bras du grec, du syriaque, du persan, on acquiert des connaissances de la Perse et de la Chine, on discute de tout, on étudie, on lit Abou Nawas Mais c’est du passé ! Depuis longtemps les traductions, les discussions et les audaces sont ailleurs. Le monde islamique est frustré, dépassé matériellement par un Occident actif, critique et créatif depuis des siècles. Quant au rôle de l’Europe Vos questions deviennent trop difficiles pour un pauvre marionnettiste. Je cherche, à mon niveau, l’entente entre les individus, sans attendre que des autorités signent des traités. Il faut s’informer sur la culture des uns et des autres, savourer les différences, en adopter quelques-unes, en admettre la relativité, pratiquer l’amitié entre frères et surs humains, et jouir de la vie.

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