Dépigmentation volontaire : un phénomène de société

L’éclaircissement de la peau, une pratique encore bien ancrée dans les usages des populations afro-descendantes. État des lieux et des risques pour la santé.

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eva sauphie

Publié le 7 juin 2017 Lecture : 3 minutes.

La dépigmentation volontaire ou artificielle (DV/DA) touche une grande partie de la population d’Afrique subsaharienne, majoritairement les femmes, et la diaspora installée en Europe. Parmi les régions francophones qui seraient les plus touchées par le phénomène, on compte le Togo – 59% des femmes utilisent régulièrement des produits éclaircissants selon le dernier rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé -, le Sénégal (27%) et le Mali (environ 25% toujours selon l’OMS).

Le blanchiment de la peau : un tabou

Une pratique culturelle qui est la conséquence de plusieurs facteurs esthétiques et sociaux. A tel point qu’elle se voit attribuer une kyrielle de dénominations dans les pays où la pratique est la plus courante : « akonti » au Togo, « Khessal » au Sénégal, « tchatcho » au Mali, « kobwakana » ou « kopakola » dans les deux Congo, ou encore « ambi » au Gabon, et « bojou » au Bénin. Tandis qu’au Niger, on parle de « décapage » et au Cameroun « de maquillage ».

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Autant de dissimulations linguistiques qui attestent aussi du caractère tabou de la pratique. « La personne qui se blanchit la peau ne le crie pas sur les toits. Elle va essayer de prétexter un métissage », confirme Catherine Tetteh, présidente de l’ONG Melanin Foundation, esthéticienne et chercheuse en santé publique. Un déni qui pousserait « certaines femmes à dépigmenter leurs enfants pour justifier leur teint clair, c’est alarmant », s’affole Catherine Tetteh.

A l’origine de la dépigmentation volontaire, plusieurs raisons

Uniformisation du teint, traumatisme postcolonial, statut socio-économique, beauté et séduction, influence de l’entourage proche, de la mode, des modèles et de la pub, tels sont les principaux critères qui poussent les populations à se blanchir la peau selon Nathalie Migan, docteure en pharmacie, auteure de l’Etude des agents dépigmentants et de leur utilisation détournée dans la dépigmentation volontaire (décembre 2013), et co-fondatrice de l’association Ewa Ethnik qui lutte contre la DV.

Son homologue confirme que l’histoire des afrodescendants est en soubassement : « l’esclavage, le colonialisme, tout cela n’est pas réglé ». La question du colorisme, soit « la stratification des ″races″ en fonction de l’intensité de la couleur de peau héritée du Code Noir », associe la peau claire à la beauté et à « un signe extérieur de réussite », précise Catherine Tetteh. Et de compléter : « La polygamie qui met les femmes en concurrence les pousse à être les plus belles, les plus désirées pour avoir le plus de faveurs, donc à avoir la peau la plus claire ». Une pression sociale qui amènerait principalement les femmes jeunes, âgées de 20 à 40 ans, à avoir recours au blanchiment, d’après l’étude menée par Nathalie Migan.

Des pratiques à risques

Selon le rapport de l’afssaps « Évaluation des risques liés à la dépigmentation volontaire » (octobre 2011), « les femmes procèdent à une ou plusieurs applications journalières, souvent durant plusieurs années ». Une routine qui n’est évidemment pas sans conséquences sur la santé. Les produits éclaircissants sont généralement à base de cortisone, de dérivés mercuriels ou d’hydroquinone, des molécules nocives pour la santé quand elles sont consommées à trop fortes doses et quotidiennement.

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« Il faut savoir que ce sont des médicaments qui sont détournés de leurs effets thérapeutiques. La cortisone va être appliquée en très grande quantité et mélangée à d’autres molécules sous forme de savon, de lait ou de crème dépigmentante prête à l’emploi. Les femmes laissent reposer et mélangent parfois ces trois substances. Les médecins sont catégoriques, au bout de quelques semaines, vous êtes dépendants », alerte Catherine Tetteh. Des usages qui font des ravages sur la peau mais aussi dans l’organisme.

Problème, la majorité des consommatrices ne connaissent pas les méfaits de ces produits, surtout dans les régions les plus reculées, souvent mal informées ou victimes de publicités mensongères, elles aggravent leur état de santé en ayant recours à des recettes DIY où les trois substances sont mélangées, et – pire encore – ajoutées à des substances comme l’eau de javel. Mais « ce ne sont pas les consommatrices qui sont à pointer du doigt, mais les autorités qui ferment les yeux », conclut la fondatrice de l’ONG.

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Lire la 2e partie du sujet : La dépigmentation volontaire, un problème de santé publique, mais…

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