Rachid Talbi el-Alami : «L’État doit se désengager des secteurs producteurs»

Personnage clé du gouvernement Jettou, le ministre de l’Industrie, du Commerce et des Télécommunications trace pour J.A.I. les grandes lignes de son programme de modernisation du tissu industriel et économique chérifien.

Publié le 25 août 2003 Lecture : 5 minutes.

Agé de 45 ans, Rachid Talbi el-Alami fait partie des jeunes technocrates lancés dans le bain par le Premier ministre Driss Jettou. Coordonnateur du Rassemblement national des indépendant (RNI) dans la province de Tétouan, sa région natale, depuis 1996, et membre de la commission centrale de ce parti depuis 2001, cet enfant du Nord, marié et père de deux enfants, est titulaire d’un Ph.D. en gestion et finance à l’université de New York, aux États-Unis. Expert en décentralisation et système financier local auprès des agences et banques donatrices, il a créé et géré de nombreuses sociétés d’investissement à Casablanca et à Tétouan, et piloté, pour le compte de donateurs internationaux, la reconstruction des infrastructures dans les territoires palestiniens. Élu en 1992 membre puis vice-président de la commune urbaine de Sidi el-Mandri, à Tétouan, il est aussi, depuis cette date, membre de la Chambre de commerce, d’industrie et des services de cette ville du Nord marocain, et, depuis 1997, membre de son assemblée provinciale. Issu de l’une des régions les plus pauvres du royaume, Alami est sensible aux questions sociales. Membre de l’Association internationale de planification stratégique pour la lutte contre la pauvreté dans le secteur urbain, il est partisan d’une économie de marché qui préserve les intérêts des classes moyennes et des populations démunies. Il trace, ici, les grandes lignes de son programme de modernisation du tissu industriel et économique marocain.
J.A./l’intelligent : La progression du Produit intérieur brut (PIB) marocain au cours des vingt dernières années ne s’est pas accompagnée d’une progression équivalente de la valeur ajoutée industrielle…
Rachid Talbi el-Alami : Personnellement, je préfère ne pas prêter une attention excessive aux chiffres. Ce sont des indicateurs significatifs, quand ils sont bien calculés et interprétés à bon escient. Mon objectif n’est pas de les faire bouger dans un sens ou dans un autre. Ce qui m’intéresse, c’est la marche que l’on impulse à l’économie, les dynamiques qui la traversent et sa tendance générale. L’output dépend de ce processus.
Comment se présente, justement, ce processus ?
Jusqu’ici, c’est l’État qui a supporté le poids du développement économique. Mais le service public, on le sait, n’est pas particulièrement performant. En cédant aux privés certaines entreprises publiques, comme Maroc Télécom ou la Régie des tabacs, le gouvernement espère améliorer le rendement global de ces entreprises. L’État doit se désengager des secteurs producteurs pour jouer un rôle d’incitateur, de « facilitateur » et de régulateur de l’activité économique, qui est désormais l’affaire des opérateurs privés. Ces derniers, qui ont toujours évolué dans un environnement protégé, doivent apprendre, eux aussi, à supporter la concurrence sur leur propre marché. Des efforts d’adaptation sont donc nécessaires de part et d’autre.
Nous allons organiser bientôt une conférence nationale qui regroupera les représentants des secteurs public et privé, ainsi que des experts internationaux en provenance des États-Unis, de l’Union européenne et du monde arabe. Objectif de cette conférence : réfléchir sur les moyens à mettre à la disposition des secteurs public et privé en vue de les aider à améliorer leurs performances respectives. La conférence aboutira à un « Livre blanc » qui définira une nouvelle stratégie pour l’industrie marocaine dans les dix prochaines années. Cette stratégie prendra en ligne de compte l’ouverture des frontières du Maroc dans le cadre de ses engagements internationaux vis-à-vis de l’Union européenne et de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), l’intégration économique régionale et la conquête de nouveaux marchés.
Nous mettrons aussi l’accent sur les secteurs essentiels de notre économie, qui seront traités de manière transversale afin que les problèmes, qu’ils soient communs ou particuliers, soient traités dans une vision à long terme. Des études sectorielles ont ainsi été lancées.
Quand la conférence aura-t-elle lieu ?
À la rentrée prochaine, en septembre ou en octobre. La date exacte n’est pas encore fixée. Nous attendons les recommandations des études.
Est-ce que vous avez déjà une idée des orientations ?
Nous avons élaboré des programmes d’action pour chacun des secteurs clés de l’industrie marocaine. Celui relatif au textile-habillement doit cependant être rectifié en tenant compte des effets prévisibles du démantèlement des accords multifibres (AMF), qui nous lient à l’Union européenne, et qui est prévu en 2005.
Le secteur des équipements auto connaît lui aussi un grand développement. Nous allons lancer bientôt, en collaboration avec le constructeur français Renault, qui s’apprête à acquérir 38 % du capital de la société marocaine (Somaca), détenus jusqu’ici par l’État, un programme pour construire 30 000 véhicules économiques par an, dont 15 000 destinés au seul marché local. Le prix de vente du véhicule ne devrait pas dépasser 70 000 dirhams (7 000 euros).
Le tissu industriel marocain est-il prêt pour relever le défi de l’ouverture totale des frontières prévue en 2012 ?
L’État a mis en route plusieurs programmes pour aider les industriels à se préparer à cette échéance. Parmi les actions envisagées : l’équipement de plusieurs zones industrielles. Il y en aura au moins une par région. Certaines seront spécialisées, notamment dans les filières du textile et du « cuir et chaussures ». Nous allons créer également deux technopoles spécialisées dans les nouvelles technologies de l’information, l’une à Rabat et l’autre à Casablanca. Au total, 4 700 hectares de terrain seront mis à la disposition des industriels.
Si notre valeur ajoutée manufacturière est encore faible, c’est parce que nous avons joué à ce jour un rôle de sous-traitants. Nous allons développer le taux d’intégration de nos produits, notamment en important les matières premières de certains pays de la région auxquels nous lient des accords de libre-échange.
Nous essayons également d’améliorer l’environnement général des affaires, en mettant en place des cadres réglementaires, fiscaux et financiers adaptés aux besoins des diverses activités.
Le code du travail, qui était critiqué par tous les partenaires sociaux, est en cours de négociation et verra le jour pendant les mois à venir. Le nouveau texte préserve les intérêts des patrons et des travailleurs.
Pour lutter contre les pesanteurs bureaucratiques, le gouvernement travaille à la simplification des procédures administratives. Par ailleurs, des mécanismes d’aide et d’appui aux entreprises sont en train d’être mis en place, notamment :
– des centres de médiation qui seront créés au sein des chambres de commerce, d’industrie et des services ;
– des centres techniques pour développer la recherche-développement et l’innovation ;
– un fonds d’aide à la mise à niveau, financé à hauteur de 50 % par l’État et de 50 % par l’Union européenne, dans le cadre du programme Meda 2, mettra 400 millions de dirhams (40 millions d’euros) à la disposition des entreprises (à des taux d’intérêt très attractifs) pour les inciter à améliorer leur compétitivité ;
– des programmes de qualité, de certification, de normalisation…
Grâce à ce dispositif assez complet, nous espérons aider l’entreprise marocaine à se mettre à niveau, à se restructurer, à moderniser son management, à améliorer sa productivité, à respecter les standards internationaux de qualité, à réduire ses coûts de production… bref à être compétitive sur son propre marché et, pourquoi pas, à l’extérieur.

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