[Tribune] Algérie-Soudan : les ingrédients d’une révolution réussie

En Algérie comme au Soudan, les bouleversements politiques sont dus à trois éléments, selon Gilles Olakounlé Yabi : la détermination collective, la coordination et l’identification des mouvements de la société civile, et à l’intervention limitée des forces de défense et de sécurité.

Des manifestants dans la capitale soudanaise Khartoum, vendredi 12 avril 2019. © Anonymous/AP/SIPA

Des manifestants dans la capitale soudanaise Khartoum, vendredi 12 avril 2019. © Anonymous/AP/SIPA

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  • Gilles Olakounlé Yabi

    Économiste et analyste politique, Gilles Olakounlé Yabi est le fondateur de WATHI, think tank citoyen de l’Afrique de l’Ouest (www.wathi.org).

Publié le 4 mai 2019 Lecture : 3 minutes.

Il n’y a plus d’année sans grosses surprises politiques sur le continent, du nord au sud. Même l’Afrique centrale, qui abrite les dinosaures les plus résistants assis sur des ressources naturelles stratégiques considérables, commence à bouger. Lentement mais sûrement. En RD Congo, il y a eu pour la première fois depuis l’indépendance du pays une alternance politique pacifique et négociée à défaut d’être électorale, démocratique et vertueuse.

Après la démission forcée d’Abdelaziz Bouteflika en Algérie, la chute spectaculaire du Soudanais Omar el-Béchir, dans un pays stratégique faisant la jonction entre le centre, le nord et l’est du continent, ne peut qu’entamer, à défaut d’ébranler, la confiance de ses voisins, autocrates ou semi-autocrates, dont les régimes partagent les mêmes traits honnis par les manifestants soudanais. Immobilisme. Incapacité. Brutalité. Corruption. Et un certain mépris affiché par les gouvernants et leurs clans opulents pour les gouvernés.

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Des mouvements déterminés

En Algérie comme au Soudan, les bouleversements politiques dont on ne connaît pas encore les épilogues m’inspirent trois observations. Premièrement, la mobilisation populaire dans les rues a tenu dans la durée – trois à cinq mois face à des gouvernements et à des forces de sécurité pourtant capables de répression. Une mobilisation ne se décrète pas. Elle témoigne d’une énorme détermination collective et forcément d’une capacité d’organisation de la révolte par des hommes et des femmes compétents et convaincus de la justesse du combat pour le changement.

Ces acteurs de la société civiles ont réussi à entraîner dans les rues des milliers de leurs concitoyens

Deuxièmement, la mobilisation populaire a été portée et assumée par des mouvements de la société civile plutôt clairement identifiés et coordonnés. Au Soudan, l’Association des professionnels soudanais (APS) a pleinement assumé le rôle de meneur de la contestation. Ce sont des hommes et des femmes qu’on pourrait considérer comme faisant partie des classes moyennes, voire supérieures. Ils sont certes affectés par la crise économique qui a servi de déclencheur au mouvement de révolte, mais ne font pas partie des plus démunis.

Ces acteurs de la société civile, journalistes, médecins, avocats ou entrepreneurs, ont réussi à entraîner dans les rues des milliers de leurs concitoyens issus de catégories sociales très diverses, aussi bien dans la capitale que dans des villes secondaires. Ils ont aussi et surtout pensé, orchestré et orienté les manifestations en imaginant de nouveaux slogans à chaque nouvelle péripétie de l’affaiblissement du régime. Le départ de Béchir. Suivi de celui de son numéro deux, qui n’a tenu qu’un jour à la tête du Conseil militaire de transition. Puis celui du chef des services de renseignement, au cœur du dispositif de répression du régime. Et enfin, l’exigence, non encore satisfaite, de la nomination d’un gouvernement civil, ou dominé par des civils, au plus vite. On en est là au moment où ces lignes sont écrites.

En Algérie aussi, la démission de Bouteflika n’a pas suffi à mettre fin au mouvement de protestation : les revendications politiques se sont succédé, plus ambitieuses chaque fois. Cela traduit plus que de la détermination. Cela indique une capacité d’injecter de la stratégie, de la confiance en soi et de la lucidité dans la colère.

Les forces de défense et de sécurité n’ont pas ouvert le feu sur les foules, ou n’ont réprimé les manifestants que de manière limitée

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Une répression « limitée »

Troisièmement, les forces de défense et de sécurité, qui ont si souvent été perçues comme des alliés indéfectibles des régimes en place, n’ont pas ouvert le feu sur les foules, ou n’ont réprimé les manifestants que de manière limitée. Au Soudan, on dénombre entre 30 et 50 morts depuis le début des manifestations. C’est beaucoup, mais dans ce pays où chefs militaires, soldats et miliciens se sont distingués pendant des années par des crimes atroces et massifs, la répression aurait pu être plus sanglante. Et c’est cette armée que les manifestants sont allés solliciter pour les presser de déposer le président el-Béchir.

>>> À LIRE – Soudan : les manifestations s’étendent au Darfour, la répression aussi

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Quels que soient les développements dans les prochains mois, les évènements en Algérie et au Soudan rappellent que les mobilisations réussies en faveur de changements politiques historiques nécessitent une prise de responsabilité et de risque par une partie significative des hommes et des femmes des classes moyennes, voire aisées, y compris parmi ceux qui sont ou ont été associés aux abus des régimes au pouvoir.

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