Tunisie : imbroglio sur la détention de l’expert de l’ONU Moncef Kartas

L’arrestation il y a plus d’un mois en Tunisie d’un chercheur chargé par l’ONU d’enquêter sur les trafics d’armes en Libye tourne à l’imbroglio diplomatique, Tunis peinant à justifier la détention de cet expert bénéficiant théoriquement d’une immunité.

Moncef Kartas, membre du panel d’experts de l’ONU pour la Libye. © YouTube/War and Peace Talk

Moncef Kartas, membre du panel d’experts de l’ONU pour la Libye. © YouTube/War and Peace Talk

Publié le 1 mai 2019 Lecture : 3 minutes.

Moncef Kartas, un binational allemand et tunisien, a été arrêté le 26 mars à son arrivée à l’aéroport de Tunis. Il est toujours en détention, après avoir été accusé d’espionnage par les autorités tunisiennes, un crime passible de la peine de mort.

Les Nations unies, qui réclament des éclaircissements, martèlent que M. Kartas était à Tunis en mission et bénéficiait d’une immunité diplomatique en tant que membre du panel d’experts du comité des sanctions sur la Libye.

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« Nous sommes très préoccupés par le fait qu’à ce jour, le gouvernement tunisien n’a fourni aucune réponse adéquate » sur les raisons de cette arrestation, a indiqué mi-avril le porte-parole de l’ONU Stéphane Dujarric.

L’immunité diplomatique de M. Kartas peut être levée par le Secrétaire général de l’ONU mais uniquement sur demande de Tunis. Or, la Tunisie n’a pas fait de démarche en ce sens, selon l’ONU.

Après un silence initial, des chercheurs et universitaires du monde entier, pour certains collègues de M. Kartas, ont réclamé publiquement mardi sa libération immédiate.

« Graves questions » 

« La détention de Moncef Kartas pour des motifs fallacieux et en violation de son immunité soulève de graves questions concernant l’État de droit en Tunisie », ont estimé la centaine de signataires dans une pétition publiée dans des journaux européens.

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Soulignant qu’ »aucun élément de preuve n’a été présenté », ils insistent sur « l’éthique irréprochable » du chercheur.

Les avocats tunisiens de M. Kartas ont déposé mardi une demande de libération, faisant valoir le manque d’éléments étayant les accusations portées contre lui.

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« L’un des principaux éléments à charge est un appareil donnant accès aux données publiques concernant les vols d’avions civils et commerciaux », a indiqué à l’AFP son avocate, Sarah Zaafrani.

Or, cet appareil, un RTL-SDR, soumis à une autorisation en Tunisie, lui servait « uniquement pour la surveillance du trafic aérien à destination de la Libye, afin d’identifier les vols susceptibles d’être liés à des violations de l’embargo sur les armes », explique-t-elle.

Le parquet tunisien a indiqué le 11 avril avoir placé M. Kartas sous mandat de dépôt dans le cadre d’une enquête sur « l’acquisition d’informations sécuritaires liées à la lutte contre le terrorisme et la diffusion de ces informations en violation de la loi ». Il n’a pas répondu aux demandes de l’AFP pour davantage de précisions.

En mars, les autorités tunisiennes avaient indiqué que M. Kartas était soupçonné « d’espionnage au profit de parties étrangères », sans les identifier.

Le ministère de l’Intérieur avait affirmé avoir saisi « des documents secrets contenant des données détaillées sensibles » ainsi que « des équipements technologiques interdits dans notre pays, qui peuvent être utilisés pour brouiller ou intercepter des communications ».

Selon la défense de M. Kartas, les questions lors des auditions se sont jusque là concentrées sur ses activités en lien avec la Libye, pays voisin où des camps rivaux se combattent pour le pouvoir.

« Dangereux précédent »

La justice tunisienne semble décidée à garder M. Kartas en prison le temps de l’instruction, qui peut durer plusieurs mois, s’inquiètent les avocats.

La famille de M. Kartas déplore ne pas avoir eu de contact direct avec lui depuis son arrestation.

Pour des proches, il pourrait avoir touché une corde sensible en Tunisie en cherchant à identifier les auteurs des violations de l’embargo sur les armes visant la Libye, dans le cadre de son travail pour le comité des sanctions de l’ONU.

« Cette arrestation entrave le travail d’un panel de l’ONU, dont le rôle est particulièrement important actuellement, avec la reprise des combats et des informations sur des convois d’armes étrangers », déplore Wolfram Lacher, chercheur à l’Institut allemand pour les Affaires internationales et la Sécurité, et ami de M. Kartas.

Divers pays étrangers sont soupçonnés d’apporter un soutien militaire ou logistique aux forces rivales en Libye, celles du maréchal Khalifa Haftar qui a lancé le 4 avril une offensive pour s’emparer de Tripoli et celles du Gouvernement d’union nationale, seul exécutif reconnu par la communauté internationale.

« C’est un dangereux précédent pour les enquêteurs de l’ONU », souligne M. Lacher. « Cette arrestation est clairement instrumentalisée, sans qu’on puisse comprendre ce qui se passe en coulisses ».

Cet incident survient au moment où la Tunisie veut obtenir un siège de représentant non permanent au Conseil de sécurité des Nations unies pour 2020-2021.

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