Nyamirambo, cité à part

Au sud de l’agglomération, ce quartier très peuplé est à la fois un carrefour cosmopolite et une véritable ville dans la ville…

Publié le 22 octobre 2007 Lecture : 4 minutes.

En kinyarwanda, Nyamirambo signifie, littéralement, « le lieu où l’on enterre les morts ». Donc, un cimetière. Historiquement, c’était même le seul de Kigali. Mais les temps ont changé. Aujourd’hui, Nyamirambo, au sud de la capitale, est à la fois une ville dans la ville et une cité à part. Quel que soit le bout par lequel on l’aborde, on ne peut échapper à sa principale caractéristique : ses deux mosquées peintes en vert et blanc, érigées à proximité l’une de l’autre. La première est ancienne, l’autre a été construite dans les années 1980, sous le régime de Juvénal Habyarimana, grâce à la magnanimité du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi qui, à l’époque, rêvait d’islamiser les régions « chrétiennes » du continent. En plus de ses écoles primaire et secondaire, ?la nouvelle mosquée compte un centre culturel dirigé par un ressortissant libyen. Si Nyamirambo est d’abord un quartier musulman, c’est parce que, explique un vieux Kigalois, à l’époque coloniale, les Belges avaient décidé d’y installer les adeptes de Mahomet, indésirables au centre-ville. Mais, paradoxalement, c’est aussi la partie la plus urbanisée de la capitale, par rapport aux autres quartiers, plus anciens : les rues y sont droites et bien tracées, le réseau électrique est dense.

Nyamirambo est aussi un carrefour cosmopolite. Plusieurs nationalités cohabitent avec les Rwandais. Et tous sont animés par une seule motivation : s’en sortir. Congolais, Burundais, Ougandais, Tanzaniens, Sénégalais, Gambiens, Maliens, Ivoiriens Ils sont tous là, s’activant dans les mille et une boutiques étonnamment bien ordonnées qui témoignent du dynamisme de ce quartier où l’on vend et achète de tout, du produit haut de gamme à la dernière des camelotes. Ibrahim Simba, musulman rwandais, affirme que chaque nationalité a sa chasse gardée. « Les Sénégalais vendent des vêtements, des bijoux et tiennent des ateliers de couture. Les salons de coiffure sont entre les mains des Congolais, dont beaucoup jouent dans des clubs de foot locaux. Les Burundais et les Ougandais règnent sur la mécanique. Les Tanzaniens sont surtout marabouts, alors que les Rwandais s’occupent essentiellement de l’alimentation. » À Nyamirambo, on peut manger du tieboudiene en entrant dans un restaurant sénégalais comme celui que dirige Fatou, arrivée de Dakar il y a sept ans. Elle se dit satisfaite de son affaire, et ne cache pas sa fierté de faire découvrir la cuisine de son pays à ceux qui ne la connaissaient pas. Plus loin, une autre enseigne révèle l’existence d’un restaurant malien. Des femmes légèrement voilées passent. Une certaine élégance se dégage de leur tenue. « Ici, la plupart des musulmans sont sunnites », relève Ibrahim Simba.
À Kigali, les salles de cinéma sont une denrée rare. S’il en existe une au Kigali Business Center (KBC), vers le centre-ville, Nyamirambo peut s’enorgueillir d’en posséder deux. La programmation, elle, est plutôt déroutante. Moyennant 500 francs rwandais (0,65 euro), le spectateur peut regarder un film. Mais il peut aussi bien assister à la retransmission de matchs de foot des différents championnats européens, de la Ligue des champions ou de l’UEFA ! Tout le monde, évidemment, n’a pas le câble ou le satellite. Ceci explique cela. Quant à ceux qui ne s’intéressent pas au football – ils sont plutôt rares -, ils peuvent aller jouer au billard dans un autre coin de Nyamirambo ou danser dans ses boîtes de nuit.

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Enfin, la réputation de ce quartier repose sur un phénomène pour le moins original, un spectacle qu’on ne trouve nulle part ailleurs. À la nuit tombante, tous les soirs entre 18 et 19 heures, une chose insolite se produit : la vente de chaussures. Comme par enchantement, des marchands, tous des hommes, sortent d’on ne sait où pour étaler leur marchandise sur le trottoir à peine éclairé. Tout y est : chaussures de ville, baskets, babouches, sandales Les clients, toujours intéressés, s’arrêtent, regardent, admirent, essayent. Certains achètent, après un marchandage bon enfant. D’autres poursuivent leur chemin, persuadés de trouver mieux ailleurs. Les initiés ont une explication à ce phénomène étrange : au centre-ville, il est interdit de vendre à même le sol. Depuis un certain temps, les autorités de Kigali font la chasse aux marchands ambulants. Ceux qui violent la règle ont affaire à la police. À Nyamirambo, les vendeurs savent que les forces de l’ordre interviennent rarement à partir d’une certaine heure. Et ils en profitent. Mais il n’y a pas que l’informel dans ce quartier. Beaucoup de commerces affichent le logo de la Fédération du secteur privé, l’organisation patronale rwandaise. Celle-ci encourage les uns et les autres à se faire enregistrer, afin de pouvoir participer aux différentes foires et expositions. L’essentiel, c’est aussi que ces commerçants soient en règle vis-à-vis du fisc. Confirmation en est donnée par Betty, une Congolo-Rwandaise qui vend du textile : elle montre son livre plein de chiffres, mais prend néanmoins le soin de cacher les montants consignés.

Seul endroit de la ville où l’on peut venir faire ses courses jusqu’à 22 heures, Nyamirambo laisse l’impression d’un quartier qui ne ferme jamais l’il, où les gens vivent à cent à l’heure. En dépit de la réputation que certains lui font – délinquance, prostitution, insécurité -, il attire de plus en plus de monde. Et devient un mélange de pauvres et d’employés de classe moyenne. La coexistence semble pacifique. Avec sa population très jeune, son lot important de chômeurs, Nyamirambo essaie de sortir la tête de l’eau à travers des associations et des coopératives. Les loyers sont bas, ce qui arrange beaucoup de monde, surtout ceux qui tiennent à ce quartier en mouvement presque perpétuel. Mais ils craignent déjà, si cela se confirme, d’être obligés de déguerpir : leur paradis serait également concerné par le plan d’urbanisation en cours. Mais les habitants du quartier n’en ont pas besoin : « Ici, nous avons tout ce qu’il nous faut. Ce n’est même pas la peine de nous demander d’aller vivre ailleurs. »

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